La Chronique d’Els de P@ris
Pompes et circonstances
Worcester est une ville du nord-ouest de l’Angleterre, connue pour sa belle cathédrale du XIIIème siècle, sa célèbre sauce aigre douce, la Worcestershire, qui entre idéalement dans la préparation du tartare, et pour son compositeur Edward Elgar, à qui l’on doit le très fameux « Pomp and Circumstances ». Même si vous ne connaissez pas le titre, l’air vous est forcément familier. Une marche majestueuse, un peu pompière même, qu’adorent les Britishs, qui la jouent pour les remises de diplômes et autres circonstances, et qui est à la musique classique ce que le rugby local est à notre jeu préféré : un raccourci simplet, entêtant, un peu lourd et légèrement désespérant.
Côté coups de pompes, on a été verni. Il n’y a qu’à comparer la gestion de remises en jeu de Goode et de celles de Hook pour comprendre que ni la lumière ni son salut ne viendraient de ce côté-là pour l’USAP. Tauma
o en a aussi encaissé un sérieux (de coup de pompe) en première mi-temps face à l’écossais Euan Murray avant de recevoir dans le même mouvement un coup bien senti et un carton jaune… On ne donnait pas cher de sa peau à notre remuant pilier gauche. Il a fallu ensuite un miracle, en ce jour de la Saint Nicolas (!), pour qu’on le retrouve après la mi-temps transfiguré.
Côté circonstances, ce n’était pas mal non plus. Un déplacement à Worcester un jeudi soir en Amlin Cup avait tout d’un piège obscur. Promesse tenue et bien tenue. Après la réception de l’USAP, l’image de cette cité prospère n’aura guère progressé ni côté climat (une pluie ininterrompue), ni côté rugby. Les bien-nommés Warriors pratiquent un rugby d’une laideur et d’une pauvreté à pleurer que l’on peut résumer en une équation basique : je prends, je tombe, je fais un petit tas, je conserve juste ce qu’il faut, je libère lentement. Un jeu à une passe dans le meilleur des cas. C’est triste et ennuyeux à mourir, mais parfois ça gagne. Surtout un jeudi soir pluvieux, avec un trio d’arbitres gallois heureux là-dedans comme des poissons dans l’eau et une USAP encore branchée sur le courant alternatif.
Un piège obscur
Worcester, ce n’est pas qu’une conquête rugueuse qui nous a fait bien du mal une mi-temps. C’est aussi, bonne idée en ces temps de crise, un gestionnaire prudent, dénommé Andy Goode dont la lenteur est à désespérer le supporter anglais habitué à la gestuelle d’un Wilkinson et dont la bonhommie rappelle davantage celle d’un Loulou Pariès, ouvreur du XV de France des années 70 célèbre pour sa bedaine, même si le « Goode Boy » de Worcester est à la différence de son prédécesseur affublé d’un mélange étrange de calvitie et de cheveux longs. Mais ce « Goode save the Queen » bien peu élégant a fini par marquer tous les points de son équipe, y compris un essai digne d’une tranchée de la Bataille de la Somme, marqué en rampant dans la boue bien au-delà de ce qui est normalement autorisé par la patrouille.
Il a su faire, le bougre, ce que notre maître gallois à nous n’a pas pu faire : déplacer intelligemment, jouer autour de ses gros, ne prendre aucun risque. Du rugby façon livret A quand les nôtres se croyaient encore chez Lehman Brothers. Enfin, soyons honnêtes : à la différence d’autres matchs, ils ont compris qu’il ne fallait pas confondre le Sixways Stadium en décembre avec Montjuich en septembre et s’ils ont porté beaucoup la balle, ils avaient décidé d’attendre l’Espagne pour se livrer au charme secret du mouvement général. Et encore, ça dépendra du temps : le Pays Basque en hiver, ce n’est pas forcément mieux que l’ouest de l’Angleterre.
Evidemment, il ne suffit pas de batailler en un improbable combat digne de la bataille de Crécy pour mériter de continuer à rêver un peu à une issue favorable en cette Amlin Cup. Coupe d’Europe oblige, il faut également composer avec le traditionnel arbitre anglo-saxon. On n’en dira pas plus, même si finalement on a vu bien pire.
Et puis, USAP oblige, on pouvait compter soit sur une entame ratée (elle a eu lieu) soit sur le désormais célèbre quart d’heure catalan (le trou noir). On a eu les deux avec un plus ou moins gros passage à vide par mi-temps (avec surtout une mauvaise gestion en deuxième de la supériorité numérique, puis de l'avance au score), avec son lot d’erreurs en tout genre jusqu’à cette chandelle de Hook à quelques minutes de la fin du match sur laquelle Planté se plante à son tour en beauté, en récoltant dans le même mouvement une blessure au genou et un carton jaune. Comme le jeu flamboyant et le mouvement continu des Catalans s’accommodent mal des grandes eaux, on était parti pour revivre dans ce stade le remake d’un affreux déplacement à Aguiléra.
Tous les ingrédients du scénario catastrophe étaient en effet réunis. La première mi-temps a tenu toutes ses (mauvaises) promesses : renvoi direct en touche, ballons tombés, mêlée chahutée, arbitrage à l’anglo-saxonne, pluie de pénalités, la plupart incompréhensibles, et carton jaune. De quoi imaginer le pire. Avec pourtant la sensation que quand l’USAP tenait le ballon, ces Warriors faisaient tout à coup pâle figure. Confirmation sur l’essai de funambule de Cazaneve, passé dans un trou de souris le long de la touche après une merveille de raffut et de passe d'une main dans le mouvement d’un Tao déchainé.
Un redressement encore improductif
Que s'est-il passé après le drook de Hop avant les citrons et surtout après la mi-temps ? Un miracle ? Une remontée de bretelles ? Un réveil tardif ? Le coaching intelligent ? Tout cela à la fois sans doute. Un peu plus d’intelligence, une conservation exacerbée du ballon et une volonté de fer. Et un match énorme de la jeune deuxième ligne, parfaite dans les contests. Jusqu’à cette situation à 15 contre 13 où l’on doit tuer le match et où l’on ne fait que l’égratigner. Jusqu’à cette pénalité sifflée contre Mafi qui nous fait perdre 3 points au classement : la faute était-elle avérée ? Imaginaire ? Fantasmée ? Rien ne sert de disserter. Il suffit de se rappeler que la situation était coupable, qu’on était dans notre camp, qu’on défendait comme des morts de faim, qu’on était en Angleterre et que Mafi trainaît quand même un peu à sortir du regroupement. Toutes les conditions pour que le sieur au sifflet ne s’en prive pas. Il eût mieux valu rester chez eux et faire des petits tas.
Et voilà une fois de plus l’USAP qui échoue d’un rien sur une terre adverse. Une fois de plus, on passe quelques minutes de trop à côté de nos pompes. Une fois de plus, notre redressement reste improductif.
On se consolera en pensant que, défaite bonifiée ou victoire, le chemin à faire reste le même : il faut gagner à Giral, de préférence un peu mieux que les Anglais ne l’ont fait à Worcester. En espérant que le temps sera sec, l’arbitre plus clément et l’intelligence du jeu présente 80 minutes. Pour nous permettre de poursuivre l'aventure en grande pompe.
Comme disait le romancier Jean Vautrin, dans la dédicace d’un de ces livres : « Aux circonstances, pour qu’elles s’atténuent ».