COURSE À HANDICAPS
Après une frustrante défaite au poteau à Castres, nos favoris s’en allaient donc fouler le dernier pré sur lequel ils s’étaient imposés loin de leur écurie, il y a plus d’un an déjà, chez un adversaire basque qu’on ne connaît que trop bien, avec sa casaque rouge et blanche qui nous a tant fait de misères par le passé, et sur lequel l’ombre impressionnante de son président et de son influence plane toujours, y compris du côté de l’autorité suprême du championnat, où son attelage avec notre président pourrait lui valoir la loge présidentielle. Influence réelle ou fantasmée sur le monde du rugby en général et sur les arbitres en particulier, difficile de faire la part des choses, mais de voir le pur-sang américain du BO rentrer à son box basque pour un problème de visa vers la Grande-Bretagne, où il se rend régulièrement, ne risquait pas de dissiper cette aura nébuleuse. Quoiqu’il en soit, le prix d’Aguilera ne se présentait pas sous les meilleurs auspices pour notre USAP : face à un BO finalement très peu diminué et devant gagner à tout prix, notre équipe se trouvait pour sa part amputée d’éléments difficilement remplaçables, à commencer par ses meilleurs chevaux de trait, seuls vraiment capables de faire tenir l’équipe sur ses sabots, le rappel in extremis de Vahaamahina et l’absence de Dan Leo du squad samoan pour leur match de vendredi constituant la cerise sur le gâteau en la matière… Certes, l’USAP n’a que trop l’habitude des événements contraires cette saison, mais cela faisait beaucoup, d’autant que la pluie et le terrain lourd s’annonçaient du côté du Pays Basque, et que l’équipe mise en place par nos entraîneurs ne semblait pas vraiment constituée de nageurs, ces chevaux qu’un propriétaire n’engage que par temps de pluie, alors que le BO alignait devant un bataillon de percherons, pas forcément mobile, mais très efficaces sur terrain lourd, et surtout retrouvait son jockey-vedette, Yach le Terrible, jamais aussi à l’aise lorsque le jeu se déroule au trot et qu’il peut gérer à l’aide de ses coups de sabots diaboliquement précis. Autant dire que vu la configuration, l’USAP partait avec un sévère handicap et que jouer sa victoire représentait une bien grosse cote. Mais sait-on jamais, se disait-on, cette équipe a été capable de nous surprendre, restait à voir comment elle allait essayer de surmonter tous ces obstacles.
Et à peine l’autostart avait-il lancé les chevaux que les Biarrots annonçaient la couleur. D’abord par une chandelle sous laquelle, se croyant au derby d’Epsom, Ian Balshaw manquait de peu une réception qui l’aurait sans doute mené à notre ligne d’arrivée. Mais c’est un autre adage anglais qui sonnait, encore une fois, à nos oreilles fatiguées de l’entendre… « no scrum, no win », comme le montraient ces premières mêlées où, à une exception près, nos montures de première ligne semblaient mal ferrées à l’arbitre, en particulier un Jérôme Schuster qui avait du mal à s’harnacher à ses homologues. Le Yach ne manquait pas les occasions pour donner 6 longueurs d’avance à ses troupes, un handicap déjà lourd dans une rencontre dont on savait d’avance qu’elle n’atteindrait pas les sommets de la folle chevauchée castraise et qu’elle nous ferait plus sûrement réviser notre table de 3. Pourtant, face au vent, nos joueurs essayaient de mettre du rythme dans ce match, en lançant notamment un de ses seuls chevaux de trait suffisamment caparaçonné pour les gros contacts, à savoir notre inusable Henry, qui permettait un premier mouvement d’ampleur, hélas achevé sur un en-avant et une nouvelle mêlée pénalisée. Dans l’ensemble, l’USAP essayait de se mettre en selle, mais trop de fautes d’inattention et de transmission, à l’image d’un duo Mélé-Hume qui avait bien du mal à se coordonner. Malgré tout, un joli coup de collier de Lifeimi Mafi nous donnait l’occasion de réduire l’écart, et d’inscrire, ce qu’on ne savait pas encore, nos seuls gains de la journée par une pénalité de notre jockey. Hélas, rien ne changeait dans ce match, qui restait cantonné au rythme de trot très terre à terre que les conditions imposaient. Et dans ce cadre, face au vent, les coups d’éclat de nos joueurs, telle cette fantastique ruade de notre Riton national envoyant Ngwenya en orbite, ne pesaient pas bien lourd face au minimal mais pragmatique jeu biarrot, fait de densité physique et de jeu au pied précis. Du coup, malgré une belle défense, deux nouvelles pénalités mettaient l’USAP sous le joug de son adversaire, avec un écart de neuf points qui paraissait déjà presque rédhibitoire, tant nos joueurs semblaient avoir les sabots embourbés.
Le second acte de ce cross country démarrait avec le vent dans le dos de notre USAP. De quoi se rassurer, même si le passé nous a montrés que nos joueurs ne savent généralement pas trop quoi faire d’un vent favorable. En effet, jouer avec le vent, a fortiori sous la pluie, nécessite un jeu au pied performant, ce qui, depuis que Jérôme Porical a tourné casaque, n’est plus très courant de par chez nous. De plus, la conquête, même en touche, commençait à connaître des ratés, ce qui faisait quand même beaucoup pour espérer quoi que ce soit. Et sur une nouvelle erreur d’inattention de notre jockey, nos joueurs se retrouvaient une nouvelle fois à la faute, voyant s’éloigner encore plus l’encolure des rouge et blanc. Pire, nos cavaliers semblaient perdre leurs nerfs, tel notre capitaine se chauffant comme un jeune poulain fougueux avec Ian Balshaw, se rappelant peut-être leurs chevauchées passées sur les stades internationaux… Quoiqu’il en soit, notre jeu au pied ne nous permettait absolument pas de tirer parti du vent, et nos maladresses n’étaient compensées que par celles de nos adversaires, guère plus brillants que nous, mais visiblement mieux drivés et ayant moins tendance à flotter. L’USAP passait même tout près de la chute à l l’heure de jeu, quand Farid Sid était logiquement exclu 10 minutes pour un coup de sabot déloyal et que le BO se trouvait à deux doigts de franchir la ligne. Cependant, après ce temps faible, le sang neuf injecté par nos coaches semblait faire du bien à l’équipe, même si le jeu au pied toujours aussi défaillant nous interdisait de capitaliser ce renouveau. L’USAP prenait le dessus devant, et commençait à camper dans les 22 mètres du BO, cherchant désormais un essai synonyme d’un bonus défensif auquel on n’aurait pas misé un kopeck quelques minutes plus tôt. Mais on ne le sait que trop, cette année, la dernière ligne droite n’est vraiment pas la spécialité de nos favoris. Faute de fraîcheur ou de lucidité, nos chevaux on t la mauvaise habitude de se transformer en bourrins s’affolant et faisant un peu n’importe quoi. Et ces dernières minutes ne firent pas exception à la règle : dominateurs en mêlée (enfin), l’USAP ne parvenait pas à transformer le jeu et à mettre de la vitesse sans flotter dans tous les sens. Et comme monsieur Péchambert ne semblait pas disposer à sanctionner trop sévèrement la mêlée biarrote, l’image d’un Cazenave mettant un temps interminable à sortir le ballon, donnant l’impression de ne pas savoir quoi en faire, pour finir par lancer une action butant sur le premier obstacle… À l’arrivée, il n’y avait pas photo, et tout le monde, du Six à Perpignan, avait envie d’oublier rapidement ce match très oubliable…
Finalement, pas grand-chose à garder de ce petit match. L’USAP a accumulé trop de handicaps pour espérer exister : dans un projet de jeu fait pour le galop par temps sec, sans les éléments permettant de stabiliser l’édifice, sans une charnière capable de guider l sans jeu au pied ne serait-ce que correct, il était quasi-impossible d’exister sous une pluie battante, face à une équipe jouant sa survie et réputée pour son amour du terrain lourd et du jeu bridé. Le match a donc mis en lumière les lacunes les plus criantes de notre équipe, certes fortement diminuée. Mais, si on peut se dire que le retour de nos montures internationales pourra stabiliser l’édifice devant et creuser un sillon dans lequel nos ¾ pourront galoper, on ne voit pas comment nos lacunes dans la gestion du jeu et dans le jeu au pied pourront être gommées. Or, la période qui s’annonce risque de nous mettre plus souvent dans des conditions favorables aux nageurs qu’aux étalons et aux pur-sang, déjà que le jeu du Top 14 se prête difficilement aux grandes chevauchées… Développer un projet ambitieux oui, mais il ne faudra pas oublier les bases, sous peine de finir par figurer davantage comme une attraction de cirque que comme un concurrent sérieux. Après, la course est loin d’être finie, et quand on voit le Racing chuter contre l’obstacle a priori le plus facile de sa saison, on peut se dire que tout peut arriver. Il faut maintenant franchir les deux haies agenaise et montpelliéraine dans notre Aimé-Giral, et la phase aller, à défaut d’être extraordinaire, pourra être jugée correcte, à l’échelle d’une écurie en pleine construction, faut-il le rappeler. En attendant s’offrent à nous trois semaines de pause internationale, admirablement ouvertes par nos cavaliers bleus, avec notre Bus qui nous a montré à quel point il nous avait fait défaut du côté d’Aguilera. Le temps pour nos lads de continuer à construire, avant, espérons-le, d’avoir un groupe enfin au complet et capable de cravacher pour couper la ligne d’arrivée dans le peloton de tête !