A quand les plus-values ?
La Chronique d’Els de P@ris
A quand les plus-values ?
Décidément, le diable se niche dans les détails. Un ballon passé maladroitement, plus par souci de continuité du jeu que par réelle nécessité, par Hume à Tuilagi qui ne l’attend pas comme ça, permettant à Kockott, alors que le match n’en est qu’aux préliminaires, d’envoyer son ailier à dame contre le cours du jeu. Plus tard, le même ballon inutilement rendu au pied par Strockosh, sans doute par prudence, pour l’éloigner de notre ligne d’essai, ou pour soulager ses copains, alors que les Catalans avaient fait l’effort de le récupérer dans leur camp et que notre ami Ecossais pouvait lancer une contre-attaque ou passer par le sol. Un choix qui privilégie la sécurité (envoyer le ballon loin de notre ligne) mais qui se révèle en réalité un poison dangereux car en se débarrassant du ballon, il en fait cadeau à la contre-attaque castraise qui n’en demandait pas tant... Pour finir en beauté par une touche lancée longue par Terrain (on se demande vraiment bien quel capitaine de touche a eu cette idée saugrenue à cet instant du match, à quelques minutes du coup de sifflet final) et malheureusement pas droite alors qu’on est devant et qu’il suffit de mettre la balle au chaud…
Trois (petits) loupés, trois erreurs d’appréciation, trois choix erronés ou maladresses coupables. Le diable, on l’a dit, se niche dans les détails. On pourrait ajouter cette remise en jeu minimaliste de Hooks aux 40, parfaitement lue par les joueurs du CO, qui se termine mal. J’en ai sûrement oublié.
Ces ratés sont microscopiques à l’échelle du match et du volume de jeu produit par l’USAP. Et pourtant, ils lui coûtent une fois encore la victoire et la privent de trois petits points de plus au classement, l’empêchant de coller ce soir au peloton de tête. Et nous revoilà en train de pester contre l’arbitrage, contre les circonstances (en priant pour qu’elles finissent par s’atténuer), contre le reste du monde alors qu’il suffisait de si peu pour que le destin ne change d’âne.
L’USAP a réalisé à Castres son meilleur match à l’extérieur depuis très longtemps, elle a produit son meilleur rugby depuis Barcelone, et encore peut-être le contenu du match et la qualité de la continuité de son jeu étaient-ils supérieurs à celui de Montjuich. Et voilà une nouvelle fois qu’elle échoue si près du port pour trois petits détails et quelques autres. Que faut-il en conclure ? Qu’en ces jours de Toussaint, on ne sait toujours pas tuer les matchs ? Qu’en ces temps halloweenesques, on est toujours prêts à faire des cadeaux ? Ou plus simplement, que le diable se niche dans les détails ?
Avançons deux autres hypothèses. La première n’est pas à l’avantage du corps arbitral. Je veux bien que les Catalans aient commis des fautes et même qu’elles aient été plus nombreuses que celles de nos adversaires du jour, que cela suffise pour les vouer à l’enfer. Mais j’aimerais qu’on m’explique pourquoi l’équipe qui choisit de jouer, d’attaquer tous les ballons, d’accélérer le jeu et d’assurer sa continuité, est plus sanctionnée que celle qui subit, ralentit les sorties de balle, recule et fait le dos rond, même si elle joue par ailleurs très bien les quelques rares coups qu’on lui offre. En ces temps où de « pauvres » pigeons pleurent de se voir plumer et arrivent à faire passer la défense de leurs plus-values pour une cause d’intérêt national, il faudrait que l’USAP apprenne elle aussi à se faire respecter pour ce qu’elle apporte au PIB du rugby hexagonal.
L’autre hypothèse est que le parti pris, totalement fou, des Catalans ne les amène parfois à perdre un peu de lucidité et que l’énergie dépensée à porter, à soutenir, à passer, à franchir, à contourner, mais aussi à bloquer, à plaquer, à gratter ne finisse par entraîner beaucoup de fatigue que l’envie, l’enthousiasme et la fougue masquent la plupart du temps, sauf en quelques instants cruciaux qui nous valent cher. Le carton jaune ramassé au pire moment par Guirado n’a pas d’autre explication.
A l’arrivée, le spectateur neutre pourra se dire qu’il a assisté à l’un des meilleurs matchs du Top 14 depuis le début de la saison, à l’un des plus disputés et surtout à l’un des plus débridés. Le supporter catalan, une fois ravalé sa nouvelle déception, devra se rappeler que les Castrais ont eu besoin de 4 ans de vécu collectif pour arriver à se faire peur face à nous, alors que les Catalans qui produisent de match en match un des rugbys les plus complets du championnat n’ont passé que trois mois passés ensemble.
Si le sage Villepreux a regardé le match, il devrait avoir l’honnêteté de reconnaître que, désormais, pour voir du mouvement général, de l’alternance, de l’intelligence situationnelle, de l’adaptation collective, du replacement offensif efficace, c’est l’USAP qu’il faut regarder jouer. Le rugby catalan est train de changer d’époque. Même au temps de Brunel, en 2009, il ne produisait pas autant de jeu. Il lui reste à mettre le réalisme et l’efficacité au niveau de la production.
Souvent, dans un match de ce calibre, les commentateurs paresseux parlent des « intentions de jeu ». Mais, à ce stade, les Catalans ont dépassé l’intention. Ils sont dans la réalisation. Ils ne veulent pas jouer, ils jouent. Oh, tout n’est pas parfait. Hook devrait soigner ses remises en jeu que Talés (Talés !) réussit mieux que lui. Le jeu au pied reste un point noir, qui laisse encore à désirer. Mais devant comme derrière, et surtout avants et trois-quarts ensemble réalisent des mouvements de grande envergure qui laissent croire que le meilleur est devant.
A cette certitude collective, il faut ajouter des satisfactions individuelles. On savait que Mas était indispensable, que Charteris savait tout faire, y compris décaler son ailier, que Tuilagi remonté comme un coucou des Iles a l’avantage de consommer beaucoup d’adversaires, libérant du même coup des espaces aussi vastes que le Pla Guilhem, qu’Hook était un grand buteur et que Planté ou Guiry savent mieux qui quiconque déchirer le rideau adversaire. Mais on a vu aussi à Castres un Guirado majuscule, un Tao tarentulesque et carnassier dans le blocage des gros Castrais, un Mélé, rapide et malin, et un Haugthon de rêve dans le double rôle du faux lent et du vrai rapide. Même Léo s’est mis à l’unisson d’un groupe.
« Il n’est pas nécessaire de réussir pour entreprendre » disait-on au temps de Guillaume d’Orange. L’USAP en a fait sa devise au point d’avoir montré à Castres le jeu le plus entreprenant qui soit. La défaite ne doit pas lui enlever cet état d’esprit réjouissant. Mais il va falloir penser à toucher rapidement les plus-values de ce jeu débridé. L’USAP doit éliminer un peu de naïveté, se faire aimer des arbitres, être plus forte encore quand elle perd le ballon et développer ce qui lui fait encore défaut : l’instinct du tueur.
Car il ne faudrait pas qu’en faisant du jeu l’alpha et l’oméga de son projet, l’USAP ne transforme un Strockosh en Bon Samaritain. Ou comme le disait Michel Audiard : « Il ne faut pas prendre les enfants du Bon Dieu pour des canards sauvages ».