"Si on ne croit pas à une aide de l'Etat, autant tout arrêter et aller faire du canoë en Corse, parce qu'on ne s'en sortira pas." Ce lundi, quelques heures avant une assemblée générale de l'USAP dématérialisée, Covid oblige, le président François Rivière a réagi aux propos de la ministre déléguée aux Sports Roxana Maracineanu, qui a démenti samedi une aide de 40 millions à destination du rugby.
Les propos de la ministre déléguée aux Sports Roxana Maracineanu ont-ils fait l'effet d'une douche froide ?
Ce n'est absolument pas le cas. La ministre nous a habitués à avoir parfois des prises de position un peu décalées et étonnantes. Sur le fond, si l'Etat ne nous aide pas, on est morts : il n'y a plus de rugby professionnel en France. Mais si elle a voulu rappeler par là que la contrepartie de cette aide est une plus grande responsabilité des clubs, alors oui, elle a raison. Des milliers d'entreprises ont besoin d'être aidées… Que le gouvernement mette un certain nombre de jalons à l'attribution de ces aides, je trouve ça responsable. Sur la forme de sa présentation, je ne suis pas certain que c'était approprié, au cours d'un déplacement, de lâcher ça. Si elle veut nous faire le théorème de la baballe, la cacher sous un verre et nous faire comprendre qu'on ne sera plus aidé, à trois ans de la Coupe du monde de rugby, je vous l'annonce : il n'y a plus de rugby. Je ne peux pas y croire.
Qu'entendez-vous par cette responsabilité accrue des clubs ?
Un exemple. Que le gouvernement veuille vérifier que les clubs ont des pertes réelles liées à des stades vides, je trouve ça normal, même si je ne vois pas comment un club pourrait tricher. Sur le premier mois, on a eu un stade à 5000 places, donc on a fait quelques petites recettes qu'on a perdues pas la suite dans le cas du huis clos. Dans ce cadre, que le gouvernement vérifie la perte réelle en termes de chiffre d’affaires, c'est normal. Pour le chômage partiel, je vous garantis à l'USAP que nous n'y avons pas mis une personne dont le cas n'ait été motivé. Et qu'il y ait des contrôles pour vérifier que les bureaux sont vides, c'est normal. Ce qui m'agace sur la forme de ce que la ministre a dit, c'est qu'on pourrait avoir l'impression qu'on se ferait un peu taper sur les doigts. Arrêtons dix secondes, on est tous des chefs d'entreprise et on ne va pas demander à l'Etat d'indemniser un préjudice qu'on n'a pas vécu. On n'est pas en classe : il n'y a pas la maîtresse d'école et les élèves. On est tous dans le même bateau. En ce moment, la plupart des clubs financent le maintien d'un spectacle sur les deniers personnels des actionnaires majoritaires, des PGE*, et donc d'une dette.
"On ne voit rien venir"
Au-delà du rugby, partagez-vous le sentiment que le sport professionnel n'est pas protégé ?
Ce n'est pas tout à fait vrai. Sur la première partie de l'année, il y a eu le chômage partiel et l'exonération des charges patronales. Le geste fort a eu lieu jusqu'au 30 juin. Mais depuis la fin de l'été, nous sommes face à l'absence d'une décision et je pense que ça ne se limite pas au sport mais qu'il faut y inclure le secteur de la culture. Pour l'instant, (il cite Perrault) c'est un peu "sœur Anne, ne vois-tu rien venir ?" On nous parle de décisions depuis longtemps mais on ne voit rien venir. La situation est suffisamment sévère pour ne pas perdre du temps en époumonages à la six-quatre-deux.
Aurez-vous encore des leviers pour faire face à l'absence d'aides ?
Cette année, j'ai prévu une perte pour l'USAP d'un à 1,5 million d'euros, que j'ai provisionnée. Deuxièmement, nous avons fait un PGE d'un peu plus de deux millions. Voilà ce que nous avons pour tenir, mais je ne ferai pas prendre de risques supplémentaires pour l'USAP au-delà des sommes que je viens d'indiquer.
Que pensez-vous de la proposition de Didier Lacroix, président du Stade Toulousain, de passer d'un Top 14 à un Top 12 ?
Il devrait faire un Top 1, comme ça, il serait sûr d'être champion. Ca fait des années que certains veulent une ligue fermée avec 12 clubs, ce n'est pas lié à la crise actuelle. Je pense juste le contraire : ce n'est pas un Top 14 mais un Top 16 qu'il faut. Si on veut équilibrer la deuxième moitié du tableau, il faut deux poules de huit et deux clubs de plus de taille moyenne. Quel rugby on veut ? Est-ce qu'on veut un rugby de télévision pour faire plaisir à une super élite de cols blancs et de puissances financières ? Ou est-ce qu'on veut un rugby des territoires ?
*Prêts garantis par l'Etat
Recueilli par P. C