ginza
Passe du temps sur le forum
eh oui! mais c'est qui qui a commencé ? déjà en 1914 on s'était plaint de l'arbitrage
un aperçu de cette époque :
La Belle Époque touchait à sa fin, mais le Roussillon avait surmonté la grande crise viticole, il exportait ses fruits par le chemin de fer. L’embellie économique rendait les gens festifs au point que le carnaval dura, cette année-là, un mois. Les joueurs de Perpignan étaient tous français, la plupart portaient la moustache en croc, comme dans « Les Brigades du Tigre ». Aucun ne dépassait le mètre quatre-vingt. Le pilier gauche Albert Joué pesait 79 kg pour 1,72 m. L’ailier Paul Serre était le fils d’un pasteur protestant, il finirait sa vie comme chef du service pub de Peugeot. Ce 3 mai 1914, c’est le centre et capitaine Félix Barbe, négociant en vin, qui monta à la tribune recevoir le trophée à l’issue d’un match dramatique. C’est lui qui avait marqué l’essai à quatre minutes de la fin.
BARRAGE IMPROVISÉ
Pour son premier titre, le club avait eu droit à un parcours particulièrement haletant, rarement une odyssée fut à ce point marquée par le suspense. En effet, la formule ne prévoyait pas de demi-finale, mais deux poules de quatre qui envoyaient directement le premier en finale. Tarbes avait survolé la poule A ; mais en poule B, Perpignan avait dû faire face à une égalité à trois avec le tenant du titre Bayonne, et Toulouse. L’USFA (ancêtre de la FFR) fut pris de court et improvisa un règlement bancal : tirage au sort qui préserva Toulouse, et qui obligea Perpignan et Bayonne à disputer un barrage donné… deux fois à rejouer, du jamais vu ! Le premier match gagné par l’ASP fut annulé à cause de la médiocrité de l’arbitre (on croit rêver). Le second, joué au stade de la Route à Thuir, vit les deux équipes se livrer un duel de toute beauté selon les canons de l’époque, il fallut recourir à la prolongation. Mais après 120 minutes, le score était toujours nul (6-6), les Perpignanais avaient relevé le défi des Basques, considérés comme les maîtres de l’offensive. L’arbitre M. Donadieu eut une syncope tant le rythme était échevelé et le docteur Paul Voivenel, célèbre chroniqueur écrivit : « Ce fut le roi des matches. Les yeux s’agrandissaient, les ombres s’allongeaient aux plis des visages, l’argent du ciel s’estompait de bronze avec la tragique lutte de la mélancolie qui nous envahissait. Quel combat de titans… » Il fallut faire un match d’appui, à Bayonne et l’ASP habité par une confiance en or massif s’imposa in extremis, encore sur un essai de Barbe. La dynamique catalane fut trop forte pour des Toulousains impressionnés en demie (6-0) et Perpignan se retrouva propulsé en finale contre Tarbes dont les joueurs se reposaient depuis plus d’un mois, clé d’une forme éblouissante.
DES ATTAQUES SIGNÉES… JOFFRE
Cette finale est restée indélébile pour plein de raisons : l’expulsion précoce du talonneur tarbais Félix Fauré pour brutalité, puis la blessure du pilier René Duffour (non remplaçable et condamné à jouer les figurant sur la pelouse) : les 50 premières minutes magnifiques des Bigourdans à treize contre quinze : le renversement insensé de Perpignan mené 7 à 0 (score imposant à l’époque) avec l’ultime essai de Barbe à la conclusion d’une longue action déployée. Mais le score n’était alors que de 6 à 7. Un quasi-débutant réclama alors le ballon. Aimé Giral avait 18 ans, il était encore au lycée, à la veille de passer son bac. Pas un bruit ne vint perturber sa concentration, même les bouillants supporters tarbais, remontés contre l’arbitre, se turent pour laisser le jeune ouvreur tenter et réussir la transformation de sa vie… La dernière. Jamais il ne commencerait ses études d’architecture… Car la dramaturgie de la finale ne fut qu’une paille à côté de ce qui se passa dans les mois qui suivirent sur les champs de bataille du Nord et de l’Est. Un peu plus d’un plus tard, en Champagne, un éclat d’obus vint trancher la jeune vie d’Aimé Giral en perforant son poumon. En souvenir de sa transformation et de son sacrifice, on baptisa le stade de sa ville à son nom. Mais semblable honneur aurait pu revenir à six de ses coéquipiers (Lida, Couffé, Lacarra, Nauté, Schuller, Fournier), tous morts durant le conflit ainsi que Jean Laffon, vice-président du club. Aucune autre équipe ne vécut semblable saignée. L’historien Renaud Martinez en a donné les raisons objectives à l’Académie Jean-Michel Canet (Cercle des historiens du rugby catalan), L’équipe de 1914 cumulait tous les facteurs de risques statistiques : la tranche d’âge la plus exposée, la forte proportion de sous-officiers qui chargeaient en avant de leurs troupes et la fatalité de la régionalisation des unités jusqu’en 1916. Les hasards des engagements et des batailles pouvaient faucher d’un seul coup des villages ou des cantons entiers. Hélène Legrais, qui a écrit un roman sur Aimé Giral*, précise : « Le Maréchal Joffre, général en chef, était de Rivesaltes. Il aimait à envoyer des Catalans en première ligne car, disait-il très fier, ils ne reculaient jamais. C’était un général offensif et sa tactique a prévalu au début de la guerre, jusqu’à son remplacement en 1916. Tous les joueurs de l’USAP sont morts en 14 et 15. » Sur le terrain des passions nationalistes, l’offensive à outrance fut bien moins gratifiante que sur les pelouses…
Pour ceux qui veulent en savoir plus
https://www.leslibraires.fr/livre/1634187-les-disparus-de-la-grande-guerre-saint-jean-la--renaud-martinez-ed-l-agence