Voici l'article de l'Equipe à l'origine de la polémique :
Mais où sont passés les 450 000 euros de Melvyn Jaminet après son transfert de Perpignan à Toulouse ?
Derrière le transfert de Melvyn Jaminet de l'USAP à Toulouse en 2022, un montage financier éveille les soupçons. Il implique le Stade Toulousain et un intermédiaire, Arnaud Dubois, qui était encore avocat en ce temps-là.
Ce n'est pas donné à tout le monde d'être recruté par le Stade Toulousain. Ça, on le savait. Ce qu'on ne savait pas, c'est qu'il pouvait en coûter très cher. Prenez Melvyn Jaminet. Voilà un joueur, révélation de la tournée australe du quinze de France en juillet 2021 alors qu'il évoluait en ce temps-là en Pro D2 à Perpignan et qu'il n'avait même pas une seule minute de vol en Top 14 ; voilà un buteur longue distance reconnu, jeune, JIFF, international (11 sélections à l'époque) qui a dû sortir quasiment un demi-million d'euros de sa poche pour rejoindre Toulouse. S'il fallait résumer en une phrase, on pourrait écrire que l'arrière titulaire du quinze de France - il l'était en ce temps-là - a payé pour jouer au Stade Toulousain. Factuellement, c'est ce qui s'est passé. Qu'un joueur de rugby de ce pedigree s'endette dans de pareilles proportions pour endosser son propre transfert, l'histoire semble insensée.
Remontons le temps : le 21 juin 2022, le Stade Toulousain officialise le recrutement de Melvyn Jaminet, 25 ans aujourd'hui, en provenance de Perpignan et ce pour un bail de trois saisons. « Ce qui est vrai, disait quelques mois auparavant François Rivière, président de Perpignan, c'est que Melvyn n'a pas renoncé à la clause de sortie anticipée qui figure dans son contrat. Il pouvait la dénoncer avant la fin du mois de février, il ne l'a pas fait. Ça veut donc dire qu'il se réserve la possibilité d'aller dans un autre club, ni plus ni moins. »
Melvyn Jaminet s'était engagé à dédommager l'USAP à hauteur de 450 000 €. (L'Equipe)
Ce qui est tout aussi vrai, c'est que Perpignan n'a aucune envie de voir Jaminet partir et n'ouvrira pas de porte pour négocier un transfert avec un autre club. Voilà pourquoi, en prévision d'une proposition qu'il ne voudrait pas laisser passer, le joueur a renégocié son contrat. Il y gagne financièrement - son salaire a été réévalué - et, surtout, une clause libératoire a été ajoutée. Comme cela apparaît noir sur blanc sur la notice présentant l'activité de la société Jaminet Consulting, le joueur acquiert le droit de résilier de façon anticipée son contrat en s'engageant à verser 450 000 € à l'USAP.
« Quand il a prolongé avec l'USAP, Melvyn Jaminet avait exprimé la possibilité de pouvoir se libérer pour éventuellement signer dans un plus grand club, confirme Bruno Rolland, directeur général de l'USAP. Cette clause est prévue par les règlements de la Ligue, homologuée par la Ligue, avec une date butoir. C'est la seule clause autorisée dans les contrats et c'est le joueur qui est redevable de l'indemnité, pas le club destinataire. De par l'existence de cette clause, on n'est pas dans le cadre d'un transfert classique avec une négociation de club à club. » Courant janvier 2022, Jaminet adresse à l'USAP un courrier afin de faire valoir son droit au départ anticipé.
Jaminet obligé de s'endetter pour dédommager l'USAP
Au mois d'avril 2022, Jaminet lui-même annonce dans L'Equipe qu'il rejoint le Stade Toulousain. À l'époque, il lui restait deux années de contrat avec l'USAP « Quand le Stade Toulousain vous contacte, c'est difficile de refuser. Toutes les conditions étaient réunies pour y aller. En signant à Toulouse, avec l'ambition qu'a ce club et les joueurs qu'il y a, je ne ferai que progresser. C'est un risque, mais je pense que pour progresser il faut de la concurrence. » Jaminet prend effectivement un risque mais pas uniquement d'un point de vue sportif. En effet, pour payer son bon de sortie, il contracte deux emprunts personnels : un de 150 000 euros et un autre de 300 000 euros. Qu'un international doive s'endetter dans de telles proportions pour être transféré, qui plus est dans le plus grand club de France et d'Europe, est une curiosité qui engendre une première question : comment Toulouse comptait s'y prendre pour que Jaminet rentre dans ses frais ?
Melvyn Jaminet, le transfert qui a coûté cher
« Ah bon ?, sursaute le président François Rivière quand on lui fait part de certains doutes. Je suis un peu étonné parce que dans mon souvenir, ce transfert s'est bien passé. La somme due à l'USAP a été payée et même très bien payée par le Stade Toulousain ». On lui demande s'il est sûr de cela, il se ravise. « Oui, vous avez raison. Ça me revient. C'est Jaminet qui a payé, c'est lui qui devait indemniser le club. Ce qui se passe après ? Je pense que le Stade Toulousain a dû compenser au joueur ce qu'il a payé à l'USAP. Ce qui est logique, c'est que lorsqu'un joueur quitte un club pour un autre plus riche, plus puissant, il doit avoir de meilleures conditions salariales. À mon avis, Jaminet a dû gagner le double de ce qu'il touchait à Perpignan et pouvait donc rembourser sans problème. Ou alors, Jaminet avait des petits sous de côté pour payer l'indemnité. » Les hypothèses du président Rivière sont intéressantes.
Si l'histoire a déraillé, c'est justement parce que le Stade Toulousain n'a pas compensé auprès de Jaminet la valeur de ses emprunts. Ni sous la forme d'une prime à la signature, qu'il aurait fallu déclarer dans le salary-cap. Ni en le « payant le double de ce qu'il percevait à Perpignan » (à Toulouse, sa rémunération mensuelle tournait autour de 20 000 euros), ce qui aurait alourdi d'autant la masse salariale. Quant aux « petits sous de côté », la réalité des emprunts, confirmée auprès de nous par Melvyn Jaminet lui-même, atteste du contraire.
« Il faut aider le gamin »
La deuxième question est la suivante : pourquoi le Stade Toulousain n'a pas versé à Jaminet une prime à la signature couvrant ses crédits personnels, ce qui aurait aussitôt tout soldé. Le bon sens bute sans fin sur la même explication, la seule vraisemblable : pour ne pas avoir à inclure ces 450 000 euros à une masse salariale qui touchait déjà le plafond autorisé par le règlement salary-cap ? Sinon, comment expliquer qu'aujourd'hui, le président Lacroix, en privé, se dise prêt à verser l'argent dû à Jaminet, désormais joueur de Toulon et ce depuis novembre 2023 ? Les discussions entre Toulon et Toulouse se poursuivent. Selon nos informations, le président du RCT Bernard Lemaitre a même directement demandé, au moins une fois, à son alter ego toulousain de se débrouiller pour que Jaminet touche ce qui lui est dû.
« Il faut aider le gamin », répète le président du Stade Toulousain. Mais comment justifier une transaction de cette nature aujourd'hui, près de quinze mois après le départ de Jaminet vers le Var ? Cette question s'est peut-être aussi posée au moment où Toulon a payé à Toulouse une indemnité de l'ordre de 500 000 euros pour libérer Jaminet de ses dix-neuf mois de contrat restants. Mais encore une fois, déclarer cette somme dans le salary-cap aurait engendré un dépassement du plafond autorisé.
Contacté, le Stade Toulousain s'est exprimé par la voix de son directeur financier Jean-Philippe Rey : « Pour être totalement transparents, nous sommes sur ce sujet dans une procédure avec la Ligue nationale et le salary-cap manager. Il ne nous appartient pas de commenter alors que les conclusions ne sont pas rendues. On veut dénouer, comprendre les tenants et aboutissants et faire la clarté avec la Ligue et le contrôleur salary-cap. » Même son de cloche du côté du salary-cap manager qui confirme lui aussi « être en pleine procédure confidentielle et ne pas pouvoir commenter quoi que ce soit. »
Toulouse, l'autre victime du montage ?
À ce moment de l'histoire, en novembre 2023, la plus-value du Stade Toulousain sur l'opération Jaminet - pas d'indemnité versée à l'USAP, même indirectement, mais une indemnité perçue de la part du RCT - n'était connue de personne, ou de pas grand monde. En tout cas pas de Bernard Lemaitre, le patron du club toulonnais. L'état-major du RCT n'a appris la situation financière de Jaminet qu'au moment où il réfléchissait à sanctionner ou non le joueur suite à la diffusion d'une vidéo sur les réseaux sociaux où il proférait des propos à caractère raciste alors qu'il se trouvait, l'été dernier, sous pavillon quinze de France, en pleine tournée en Argentine.
Réalisant que Jaminet avait le couteau sous la gorge - il n'a toujours pas fini de rembourser son « crédit transfert » - et que le scandale dans lequel il était fourré risquait de l'empêcher de décrocher quelque contrat d'image que ce soit, le RCT s'est montré à l'écoute et disposé à trouver une solution. Suspendu 34 semaines par la commission de discipline de la FFR, Jaminet venait d'apprendre que son salaire au RCT serait divisé par deux.
« Effectivement, à partir de ce moment-là, le RCT a examiné la situation de Melvyn sous tous les angles, avec ses conseils, indique un protagoniste du dossier. Et a réalisé qu'il y avait des sommes qui lui étaient dues à la suite de sa pérégrination entre Perpignan et Toulouse. Des sommes qui ne lui ont pas été payées. » Si aujourd'hui, Lacroix et le Stade Toulousain se disent prêts à aider Jaminet financièrement, c'est bien qu'il y a eu un problème dans le premier circuit prévu.
Plusieurs sources pensent que Jaminet « s'est fait avoir », mais Toulouse aussi. Il y aurait dans cette histoire, dont Jaminet est la victime principale, un autre tiroir. Ceux qui l'ont ouvert racontent qu'en fait, le président Didier Lacroix comptait dès le début dédommager le joueur de ses emprunts et qu'il pensait même avoir déjà « aidé le gamin », avant de comprendre qu'il n'en était rien. La somme aurait donc été versée par un autre canal par le Stade Toulousain mais, nous assurent plusieurs interlocuteurs engagés dans ce dossier, quelqu'un l'a indûment conservée.
Une étrange connexion Limoges-Tahiti-Toulouse
Cette déviation nous amène vers une improbable connexion Limoges-Tahiti-Toulouse et vers Arnaud Dubois, ancien avocat au barreau de Limoges devenu, en juillet 2024, président du directoire du Biarritz Olympique, le club où joue par ailleurs Kylian Jaminet, le grand frère de Melvyn. Pour relier Dubois au transfert de Melvyn Jaminet vers Toulouse, il faut passer par le 18 avenue de Landouge, à Limoges.
C'est à cette adresse qu'est domiciliée Cynthia Teinaore, gérante de la société Rugby Store NC (NC pour Nouvelle-Calédonie), à laquelle l'arrière international a confié son image, enregistrée au registre du commerce de Papeete, à Tahiti. C'est aussi au 18 avenue de Landouge qu'est par exemple domiciliée la société Bleu et Jaune Invest, dirigée par Mourad Finances puisque Mourad Boudjellal était conseillé par maître Dubois dans le cadre du rachat du club de foot de Hyères. « 18 avenue Landouge, c'est l'adresse de mon comptable », nous dit Cynthia Teinaore.
Il n'a pas été simple de situer ni de contacter madame Teinaore, aujourd'hui établie en Nouvelle-Calédonie. Outre Rugby Store NC, elle gère cinq autres sociétés, dont Pacific Heart. inscrite également au registre du commerce de Papeete. L'objet social de cette société est très large : promotion, réalisation, vente de concerts, de journaux ou revues, d'événements sportifs ; secrétariat d'artistes ; régie publicitaire ; merchandising ; import-export ; gestion immobilière... D'après nos informations, le Stade Toulousain a signé un contrat avec Pacific Heart, pour un montant de l'ordre de 500 000 euros selon plusieurs sources, une somme proche des emprunts de Melvyn Jaminet. Il était question du développement de la marque Stade Toulousain à l'international.
« C'était pour un stage, un match et un développement sur le long terme, détaille Cynthia Teinaore. Ce qui aurait été énorme ! Ils ne sont pas venus. Ils ont préféré le Japon, où il y a plus d'argent. Voilà, ça s'est mal fini. Ce qui est sûr, c'est que je ne travaillerai plus avec le Stade Toulousain. » Sans entrer dans les détails, elle évoque un litige financier avec le club vingt-trois fois champion de France et six fois vainqueur de la Coupe des champions.
Pourquoi une telle somme payée à Pacific Heart ?
Est-ce qu'Arnaud Dubois était lié au contrat entre Pacific Heart et Toulouse ? « Oui, il avait essayé de les convaincre de mener à bien le projet, répond Cynthia Teinaore. C'est lui qui m'avait mis en relation avec le Stade Toulousain quand leurs joueurs étaient bloqués pendant le confinement en Nouvelle-Calédonie (dont Peato Mauvaka). Mais je n'ai joué aucun rôle dans un transfert quelconque de joueur. Vous me parlez de 450 000 euros ? Non, franchement, on ne parle pas le même langage. Vous me sortez une somme qui sincèrement est « rêvante ». J'ai rien à voir là-dedans, je ne suis qu'une Polynésienne sur une île perdue qui aime le rugby. »
Melvyn Jaminet, à Toulon depuis novembre 2023, a vu son salaire divisé par deux après la diffusion d'une vidéo, cet été, où il tient des propos racistes. En analysant alors la situation financière de son joueur, le RCT a découvert que des sommes importantes étaient toujours dues à Jaminet, qui n'a pas fini de rembourser son « crédit transfert ». (E. Garnier/L'Équipe)
La tenue d'une réunion, récemment, entre Didier Lacroix, Me Chevalier, l'avocat du club de Toulon, et Romain Détré, un proche de Dubois, pourrait également permettre de faire un lien entre ce dernier et la résolution de l'ardoise liée au transfert de Jaminet. C'est par un compte au nom de maître Arnaud Dubois, entré dans le tour de table sur proposition de l'agent de Jaminet, que sont passés les 450 000 euros de Jaminet pour indemniser l'USAP.
Tout en étant l'avocat de Jaminet dans ce dossier de transfert, Me Dubois facturait par ailleurs des conseils au Stade Toulousain, ce qui pourrait caractériser un conflit d'intérêts. Selon un protagoniste, le montage aurait été imaginé par Arnaud Dubois puis aurait été validé par Didier Lacroix. Arnaud Dubois n'a pas souhaité réagir sur ce point.
Dans le montage décrit par plusieurs sources, la somme payée par le Stade Toulousain à Pacific Heart intrigue. D'autant qu'en définitive, malgré l'investissement consenti, le « projet Fidji » a très vite été abandonné par le Stade Toulousain. Interrogé quant à son rôle dans ce transfert, il a paru bien embêté : « C'est compliqué parce que je ne suis plus avocat et je ne sais pas du tout comment réagir par rapport au secret professionnel. J'ai besoin d'avoir des autorisations. Je vais appeler mon ancien bâtonnier. Je ne peux pas vous parler au téléphone, je vais voir le match France-Galles si ça vous intéresse. » Toute personne s'approchant du Stade de France est-elle libérée du secret professionnel ? « Non, c'est pour qu'on se rencontre, sourit Dubois. Je ne vous dirai rien de plus là-bas. »
Mais où sont passés les 450 000 euros de Melvyn Jaminet après son transfert de Perpignan à Toulouse ?
Derrière le transfert de Melvyn Jaminet de l'USAP à Toulouse en 2022, un montage financier éveille les soupçons. Il implique le Stade Toulousain et un intermédiaire, Arnaud Dubois, qui était encore avocat en ce temps-là.
Ce n'est pas donné à tout le monde d'être recruté par le Stade Toulousain. Ça, on le savait. Ce qu'on ne savait pas, c'est qu'il pouvait en coûter très cher. Prenez Melvyn Jaminet. Voilà un joueur, révélation de la tournée australe du quinze de France en juillet 2021 alors qu'il évoluait en ce temps-là en Pro D2 à Perpignan et qu'il n'avait même pas une seule minute de vol en Top 14 ; voilà un buteur longue distance reconnu, jeune, JIFF, international (11 sélections à l'époque) qui a dû sortir quasiment un demi-million d'euros de sa poche pour rejoindre Toulouse. S'il fallait résumer en une phrase, on pourrait écrire que l'arrière titulaire du quinze de France - il l'était en ce temps-là - a payé pour jouer au Stade Toulousain. Factuellement, c'est ce qui s'est passé. Qu'un joueur de rugby de ce pedigree s'endette dans de pareilles proportions pour endosser son propre transfert, l'histoire semble insensée.
Remontons le temps : le 21 juin 2022, le Stade Toulousain officialise le recrutement de Melvyn Jaminet, 25 ans aujourd'hui, en provenance de Perpignan et ce pour un bail de trois saisons. « Ce qui est vrai, disait quelques mois auparavant François Rivière, président de Perpignan, c'est que Melvyn n'a pas renoncé à la clause de sortie anticipée qui figure dans son contrat. Il pouvait la dénoncer avant la fin du mois de février, il ne l'a pas fait. Ça veut donc dire qu'il se réserve la possibilité d'aller dans un autre club, ni plus ni moins. »
Melvyn Jaminet s'était engagé à dédommager l'USAP à hauteur de 450 000 €. (L'Equipe)
Ce qui est tout aussi vrai, c'est que Perpignan n'a aucune envie de voir Jaminet partir et n'ouvrira pas de porte pour négocier un transfert avec un autre club. Voilà pourquoi, en prévision d'une proposition qu'il ne voudrait pas laisser passer, le joueur a renégocié son contrat. Il y gagne financièrement - son salaire a été réévalué - et, surtout, une clause libératoire a été ajoutée. Comme cela apparaît noir sur blanc sur la notice présentant l'activité de la société Jaminet Consulting, le joueur acquiert le droit de résilier de façon anticipée son contrat en s'engageant à verser 450 000 € à l'USAP.
« Quand il a prolongé avec l'USAP, Melvyn Jaminet avait exprimé la possibilité de pouvoir se libérer pour éventuellement signer dans un plus grand club, confirme Bruno Rolland, directeur général de l'USAP. Cette clause est prévue par les règlements de la Ligue, homologuée par la Ligue, avec une date butoir. C'est la seule clause autorisée dans les contrats et c'est le joueur qui est redevable de l'indemnité, pas le club destinataire. De par l'existence de cette clause, on n'est pas dans le cadre d'un transfert classique avec une négociation de club à club. » Courant janvier 2022, Jaminet adresse à l'USAP un courrier afin de faire valoir son droit au départ anticipé.
Jaminet obligé de s'endetter pour dédommager l'USAP
Au mois d'avril 2022, Jaminet lui-même annonce dans L'Equipe qu'il rejoint le Stade Toulousain. À l'époque, il lui restait deux années de contrat avec l'USAP « Quand le Stade Toulousain vous contacte, c'est difficile de refuser. Toutes les conditions étaient réunies pour y aller. En signant à Toulouse, avec l'ambition qu'a ce club et les joueurs qu'il y a, je ne ferai que progresser. C'est un risque, mais je pense que pour progresser il faut de la concurrence. » Jaminet prend effectivement un risque mais pas uniquement d'un point de vue sportif. En effet, pour payer son bon de sortie, il contracte deux emprunts personnels : un de 150 000 euros et un autre de 300 000 euros. Qu'un international doive s'endetter dans de telles proportions pour être transféré, qui plus est dans le plus grand club de France et d'Europe, est une curiosité qui engendre une première question : comment Toulouse comptait s'y prendre pour que Jaminet rentre dans ses frais ?
Melvyn Jaminet, le transfert qui a coûté cher
« Ah bon ?, sursaute le président François Rivière quand on lui fait part de certains doutes. Je suis un peu étonné parce que dans mon souvenir, ce transfert s'est bien passé. La somme due à l'USAP a été payée et même très bien payée par le Stade Toulousain ». On lui demande s'il est sûr de cela, il se ravise. « Oui, vous avez raison. Ça me revient. C'est Jaminet qui a payé, c'est lui qui devait indemniser le club. Ce qui se passe après ? Je pense que le Stade Toulousain a dû compenser au joueur ce qu'il a payé à l'USAP. Ce qui est logique, c'est que lorsqu'un joueur quitte un club pour un autre plus riche, plus puissant, il doit avoir de meilleures conditions salariales. À mon avis, Jaminet a dû gagner le double de ce qu'il touchait à Perpignan et pouvait donc rembourser sans problème. Ou alors, Jaminet avait des petits sous de côté pour payer l'indemnité. » Les hypothèses du président Rivière sont intéressantes.
Si l'histoire a déraillé, c'est justement parce que le Stade Toulousain n'a pas compensé auprès de Jaminet la valeur de ses emprunts. Ni sous la forme d'une prime à la signature, qu'il aurait fallu déclarer dans le salary-cap. Ni en le « payant le double de ce qu'il percevait à Perpignan » (à Toulouse, sa rémunération mensuelle tournait autour de 20 000 euros), ce qui aurait alourdi d'autant la masse salariale. Quant aux « petits sous de côté », la réalité des emprunts, confirmée auprès de nous par Melvyn Jaminet lui-même, atteste du contraire.
« Il faut aider le gamin »
La deuxième question est la suivante : pourquoi le Stade Toulousain n'a pas versé à Jaminet une prime à la signature couvrant ses crédits personnels, ce qui aurait aussitôt tout soldé. Le bon sens bute sans fin sur la même explication, la seule vraisemblable : pour ne pas avoir à inclure ces 450 000 euros à une masse salariale qui touchait déjà le plafond autorisé par le règlement salary-cap ? Sinon, comment expliquer qu'aujourd'hui, le président Lacroix, en privé, se dise prêt à verser l'argent dû à Jaminet, désormais joueur de Toulon et ce depuis novembre 2023 ? Les discussions entre Toulon et Toulouse se poursuivent. Selon nos informations, le président du RCT Bernard Lemaitre a même directement demandé, au moins une fois, à son alter ego toulousain de se débrouiller pour que Jaminet touche ce qui lui est dû.
« Il faut aider le gamin », répète le président du Stade Toulousain. Mais comment justifier une transaction de cette nature aujourd'hui, près de quinze mois après le départ de Jaminet vers le Var ? Cette question s'est peut-être aussi posée au moment où Toulon a payé à Toulouse une indemnité de l'ordre de 500 000 euros pour libérer Jaminet de ses dix-neuf mois de contrat restants. Mais encore une fois, déclarer cette somme dans le salary-cap aurait engendré un dépassement du plafond autorisé.
Contacté, le Stade Toulousain s'est exprimé par la voix de son directeur financier Jean-Philippe Rey : « Pour être totalement transparents, nous sommes sur ce sujet dans une procédure avec la Ligue nationale et le salary-cap manager. Il ne nous appartient pas de commenter alors que les conclusions ne sont pas rendues. On veut dénouer, comprendre les tenants et aboutissants et faire la clarté avec la Ligue et le contrôleur salary-cap. » Même son de cloche du côté du salary-cap manager qui confirme lui aussi « être en pleine procédure confidentielle et ne pas pouvoir commenter quoi que ce soit. »
Toulouse, l'autre victime du montage ?
À ce moment de l'histoire, en novembre 2023, la plus-value du Stade Toulousain sur l'opération Jaminet - pas d'indemnité versée à l'USAP, même indirectement, mais une indemnité perçue de la part du RCT - n'était connue de personne, ou de pas grand monde. En tout cas pas de Bernard Lemaitre, le patron du club toulonnais. L'état-major du RCT n'a appris la situation financière de Jaminet qu'au moment où il réfléchissait à sanctionner ou non le joueur suite à la diffusion d'une vidéo sur les réseaux sociaux où il proférait des propos à caractère raciste alors qu'il se trouvait, l'été dernier, sous pavillon quinze de France, en pleine tournée en Argentine.
Réalisant que Jaminet avait le couteau sous la gorge - il n'a toujours pas fini de rembourser son « crédit transfert » - et que le scandale dans lequel il était fourré risquait de l'empêcher de décrocher quelque contrat d'image que ce soit, le RCT s'est montré à l'écoute et disposé à trouver une solution. Suspendu 34 semaines par la commission de discipline de la FFR, Jaminet venait d'apprendre que son salaire au RCT serait divisé par deux.
« Effectivement, à partir de ce moment-là, le RCT a examiné la situation de Melvyn sous tous les angles, avec ses conseils, indique un protagoniste du dossier. Et a réalisé qu'il y avait des sommes qui lui étaient dues à la suite de sa pérégrination entre Perpignan et Toulouse. Des sommes qui ne lui ont pas été payées. » Si aujourd'hui, Lacroix et le Stade Toulousain se disent prêts à aider Jaminet financièrement, c'est bien qu'il y a eu un problème dans le premier circuit prévu.
Plusieurs sources pensent que Jaminet « s'est fait avoir », mais Toulouse aussi. Il y aurait dans cette histoire, dont Jaminet est la victime principale, un autre tiroir. Ceux qui l'ont ouvert racontent qu'en fait, le président Didier Lacroix comptait dès le début dédommager le joueur de ses emprunts et qu'il pensait même avoir déjà « aidé le gamin », avant de comprendre qu'il n'en était rien. La somme aurait donc été versée par un autre canal par le Stade Toulousain mais, nous assurent plusieurs interlocuteurs engagés dans ce dossier, quelqu'un l'a indûment conservée.
Une étrange connexion Limoges-Tahiti-Toulouse
Cette déviation nous amène vers une improbable connexion Limoges-Tahiti-Toulouse et vers Arnaud Dubois, ancien avocat au barreau de Limoges devenu, en juillet 2024, président du directoire du Biarritz Olympique, le club où joue par ailleurs Kylian Jaminet, le grand frère de Melvyn. Pour relier Dubois au transfert de Melvyn Jaminet vers Toulouse, il faut passer par le 18 avenue de Landouge, à Limoges.
C'est à cette adresse qu'est domiciliée Cynthia Teinaore, gérante de la société Rugby Store NC (NC pour Nouvelle-Calédonie), à laquelle l'arrière international a confié son image, enregistrée au registre du commerce de Papeete, à Tahiti. C'est aussi au 18 avenue de Landouge qu'est par exemple domiciliée la société Bleu et Jaune Invest, dirigée par Mourad Finances puisque Mourad Boudjellal était conseillé par maître Dubois dans le cadre du rachat du club de foot de Hyères. « 18 avenue Landouge, c'est l'adresse de mon comptable », nous dit Cynthia Teinaore.
Il n'a pas été simple de situer ni de contacter madame Teinaore, aujourd'hui établie en Nouvelle-Calédonie. Outre Rugby Store NC, elle gère cinq autres sociétés, dont Pacific Heart. inscrite également au registre du commerce de Papeete. L'objet social de cette société est très large : promotion, réalisation, vente de concerts, de journaux ou revues, d'événements sportifs ; secrétariat d'artistes ; régie publicitaire ; merchandising ; import-export ; gestion immobilière... D'après nos informations, le Stade Toulousain a signé un contrat avec Pacific Heart, pour un montant de l'ordre de 500 000 euros selon plusieurs sources, une somme proche des emprunts de Melvyn Jaminet. Il était question du développement de la marque Stade Toulousain à l'international.
« C'était pour un stage, un match et un développement sur le long terme, détaille Cynthia Teinaore. Ce qui aurait été énorme ! Ils ne sont pas venus. Ils ont préféré le Japon, où il y a plus d'argent. Voilà, ça s'est mal fini. Ce qui est sûr, c'est que je ne travaillerai plus avec le Stade Toulousain. » Sans entrer dans les détails, elle évoque un litige financier avec le club vingt-trois fois champion de France et six fois vainqueur de la Coupe des champions.
Pourquoi une telle somme payée à Pacific Heart ?
Est-ce qu'Arnaud Dubois était lié au contrat entre Pacific Heart et Toulouse ? « Oui, il avait essayé de les convaincre de mener à bien le projet, répond Cynthia Teinaore. C'est lui qui m'avait mis en relation avec le Stade Toulousain quand leurs joueurs étaient bloqués pendant le confinement en Nouvelle-Calédonie (dont Peato Mauvaka). Mais je n'ai joué aucun rôle dans un transfert quelconque de joueur. Vous me parlez de 450 000 euros ? Non, franchement, on ne parle pas le même langage. Vous me sortez une somme qui sincèrement est « rêvante ». J'ai rien à voir là-dedans, je ne suis qu'une Polynésienne sur une île perdue qui aime le rugby. »
Melvyn Jaminet, à Toulon depuis novembre 2023, a vu son salaire divisé par deux après la diffusion d'une vidéo, cet été, où il tient des propos racistes. En analysant alors la situation financière de son joueur, le RCT a découvert que des sommes importantes étaient toujours dues à Jaminet, qui n'a pas fini de rembourser son « crédit transfert ». (E. Garnier/L'Équipe)
La tenue d'une réunion, récemment, entre Didier Lacroix, Me Chevalier, l'avocat du club de Toulon, et Romain Détré, un proche de Dubois, pourrait également permettre de faire un lien entre ce dernier et la résolution de l'ardoise liée au transfert de Jaminet. C'est par un compte au nom de maître Arnaud Dubois, entré dans le tour de table sur proposition de l'agent de Jaminet, que sont passés les 450 000 euros de Jaminet pour indemniser l'USAP.
Tout en étant l'avocat de Jaminet dans ce dossier de transfert, Me Dubois facturait par ailleurs des conseils au Stade Toulousain, ce qui pourrait caractériser un conflit d'intérêts. Selon un protagoniste, le montage aurait été imaginé par Arnaud Dubois puis aurait été validé par Didier Lacroix. Arnaud Dubois n'a pas souhaité réagir sur ce point.
Dans le montage décrit par plusieurs sources, la somme payée par le Stade Toulousain à Pacific Heart intrigue. D'autant qu'en définitive, malgré l'investissement consenti, le « projet Fidji » a très vite été abandonné par le Stade Toulousain. Interrogé quant à son rôle dans ce transfert, il a paru bien embêté : « C'est compliqué parce que je ne suis plus avocat et je ne sais pas du tout comment réagir par rapport au secret professionnel. J'ai besoin d'avoir des autorisations. Je vais appeler mon ancien bâtonnier. Je ne peux pas vous parler au téléphone, je vais voir le match France-Galles si ça vous intéresse. » Toute personne s'approchant du Stade de France est-elle libérée du secret professionnel ? « Non, c'est pour qu'on se rencontre, sourit Dubois. Je ne vous dirai rien de plus là-bas. »