La nausée
Emmanuel Massicard 13 aoû 2018
On aimerait, parfois, s’être trompé. Avoir sur-réagi et dramatisé une situation qui n’en méritait pas tant. Et regretter pour de bon le titre anxiogène que vous lisiez il y a dix jours, en ouverture de ce même journal :
"Ce rugby qui détruit." Certains nous l’ont d’ailleurs assez reproché, depuis.
D’autres ont condamné - et même viré - le professeur Jean Chazal, sommité mondiale de la neuro-chirurgie, pour avoir osé parler du danger des commotions cérébrales et qui appela même à une "révolution" dans l’interview qu’il nous accorda récemment. Là encore, on aurait préféré qu’il se trompe, lorsqu’il pointait du doigt les manques de nos institutions ou des joueurs, les travaux de façade et la violence de notre sport, exacerbée très au-delà du raisonnable.
La coïncidence aura voulu que, une semaine plus tard, un môme de 21 ans meure, dans le vestiaire, lors d’un match amical de présaison. En plein mois d’août entre un club de Pro D2 et un autre de Fédérale 1, après avoir reçu un plaquage viril, mais correct. Victime de plusieurs malaises, dont le dernier fut fatal….
Vraiment, nous aimerions avoir tort. L’ego se fait tout petit face à la vie d’un homme. La vérité est pourtant là : sinistre, froide et cruelle. Louis Fajfrowski, 21 ans, est donc mort à la sortie du terrain quelques semaines après Adrien Descrulhes, 17 ans, décédé lui dans son lit un soir de match. En janvier dernier, un dimanche de prime-time quand le rugby français est censé montrer ce qu’il a de plus beau, le terrible accident de Samuel Ezeala (commotionné après un choc avec Virimi Vakatawa) avait déjà heurté les consciences avant que l’on se félicite, tous, de son prompt rétablissement. Cette fois, commotion ou pas, le drame est bien là.
Alors, désolé, mais nous ne fermerons pas les yeux. Pas question de céder à la complicité. Midi Olympique continuera ainsi de donner la parole à tous les Chazal du monde qui viendront éclairer le débat, prêts à se pencher sur la santé des joueurs et sur l’avenir de ce jeu évoluant contre sa propre nature. Un jeu de plus en plus destructeur, qui met ses propres acteurs en danger à force de collisions à très grande vitesse. Un jeu de plus en plus con - on se répète, hélas - à force d’oublier la moitié de son ADN: la recherche de l’évitement qui lui conféra longtemps une force créatrice enviée par tant d’autres disciplines.
Il n’est plus temps de se bercer d’illusions sans quoi, c’est sûr, nous risquons d’avoir d’autres nausées et de pleurer d’autres Louis. Il n’est plus temps de croire que les seules mesures mises en place feront des miracles et nous protègeront du danger qui plane. Il y a désormais urgence et il faut agir pour voir, demain, le rugby changer radicalement dans son approche du jeu, en assumant ses maux actuels et la propre menace qu’il génère pour avoir cédé au tout physique.
Ne rêvez pas, c’est une révolution qui nous attend, initiée par le haut de la pyramide au service de sa base et plus encore de sa jeunesse. Pour redonner une part d’humanité à ce jeu et lui assurer un avenir que nous serions, tous, fiers d’offrir à nos gamins.