LA MESSE EST DITE
À l’heure enfin printanière où le Top 14 s’apprête comme tous les ans à vivre les sommets de passion que constituent les phases finales, jusqu’à la grand-messe du stade de France, notre USAP se retrouvait donc à tutoyer les premiers bancs de l’église avec, qui sait, la possibilité de communier avec les grands au mois de mai. Cependant, depuis le cruel revers contre Castres, l’USAP n’est plus vraiment maîtresse de ce destin doré, puisque nous avion besoin que nos voisins et adversaires languedociens échouent dans leur tentative de convertir les Bayonnais, croyants frustes mais souvent exaltés dans leur stade. Cette défaite, en plus de nous ramener à l’humilité des pauvres pénitents que nous étions encore en début de saison, avait rappelé l’épuisement physique et moral de nombre de nos prêcheurs, ainsi que nos réguliers péchés de gourmandise, absous de justesse contre Toulouse et Biarritz. Du coup, notre bon évêque Marc avait décidé d’insuffler un nouvel esprit, en faisant rentrer massivement des frères qui étaient bien peu sortis de leurs cellules ces dernières semaines : l’adversaire, déjà condamné au purgatoire, semblait s’y prêter, ainsi que la perspective d’une dispute décisive contre des dialecticiens parisiens toujours redoutables. Le 5 de devant prenait une allure expérimentale, avec le retour d’une seconde ligne qui avait tant donné lors des grandes processions de 2009 et 2010, un novice à la mêlée, et un arrière revenu de l’enfer des croisés. On pouvait légitimement craindre sur le plan de la mêlée, même si l’église agenaise est loin d’être celle qui repose sur les piliers les plus solides. Quoiqu’il en soit, le message de Don Marco à ses ouailles était simple : convertir rapidement des Agenais résignés à la cause de notre résurrection, pour ne pas leur donner l’envie de faire de ces dernières vêpres à Armandie le lieu d’un baroud d’honneur. Au moins, quel que serait le résultat de la mission montpelliéraine en terre basque, le temps ne serait pas aux regrets, et on écarterait d’un revers de manche l’éternelle hypothèse d’un miracle biarrot dans la course à l’Europe. Quoiqu’il en soit, quand les deux équipes rentraient sur la pelouse, on n’était pas rassurés, mais on ne demandait qu’à croire à une fin de saison en apothéose...
En règle générale, dans ce genre de cérémonie de fin de saison, l’équipe déjà fixée sur son sort veut faire plaisir à ses fidèles en proposant une célébration débridée et électrique comme une messe gospel. Un des enjeux était donc de calmer ces visées hétérodoxes et de remettre tout ce monde dans le droit chemin. Hélas, on sait que la dialectique et la casuistique rigoureuses sont des disciplines que nos joueurs maîtrisent mal, et qu’eux-mêmes ne sont pas exempts de cet esprit peu rationnel… Cependant, l’entame était catalane, Guitoune se faisant signaler, sur le pré où il est entré dans les ordres ovales, par une belle percée, hélas mal relayée, ce qui n’était qu’un signe annonciateur… Et comme Mélé laissait en cours de route trois points abordables, on voyait tout de suite revenir les vieux démons de notre saison, entre choix hasardeux et manque de réalisme. Cela dit, l’USAP n’était pas la seule à bafouiller ses évangiles rugbystiques, et la rencontre partait sur un faux rythme, entre maladresses des uns, péchés de gourmandises des autres… Fautes vénielles pour le moment, mais on sentait bien que le sort pouvait tout aussi bien frapper les deux équipes, ce qui n’était pas la façon idéale de poser les bases de notre jeu. Et ce qui devait arriver arriva : sur une touche catalane perdue, nos centres ouvraient grand les portes de notre ciel, le jeu rebondissait sur Agulla qui, malgré un retour d’une lenteur cérémonielle et d’une lisibilité biblique, échappait à nos frères convers et donnait une véritable offrande à son compatriote du pays du pape… Et comme Raphaël Lagarde s’avérait plus précis que notre buteur, l’USAP se retrouvait en pénitence, avec au moins 7 Pater et Ave à déclamer pour espérer le pardon… Fort heureusement, nos joueurs retrouvaient un peu leurs esprits, et sur un belle inspiration Mélé-Michel, Armand Batlle se fendait d’un superbe saut de l’ange pour aller porter la balle en terre promise. Même si notre buteur ne semblait pas décidé à s’amender, cela faisait déjà moins désordre. Cependant, il paraissait évident que les fondations de notre édifice tanguaient, notamment en mêlée, où le pauvre Jérôme Schuster n’en finit pas de souffrir le martyre, quel que soit son vis-à-vis. Malgré son énervement, chaque mêlée ressemblait à un calvaire et, vu que la touche n’était pas touchée par la grâce non plus, l’USAP commençait à avoir du mal à garder le ballon, ce qui permettait aux agenais de prendre un peu plus d’air au score. Le drame, c’est qu’à cet habituel péché en conquête, nos joueurs ajoutaient une inefficacité qui confinait à l’auto-flagellation : d’abord sur une magnifique récupération de Joffrey Michel sur le coup de renvoi, gâchée par un relais de notre Zaza manquant singulièrement de conviction. Ensuite sur une série de groupés pénétrants puis de pick and go s’enferrant dans les filets agenais. Enfin, sur un chapelet de maladresses qui ne débouchait que sur une pauvre pénalité à la sirène. À 35 mètres en face, on pouvait imaginer que notre buteur allait sermonner les locaux. Que nenni ! Tapant en cloche contre le vent, il trouvait le moyen d’être trop court, renvoyant notre équipe aux vestiaires avec, on l’espérait la ferme intention de faire pénitence d’une première période aussi indigente…
Et en effet, on pouvait croire à cette volonté de rédemption, tant nos joueurs se jetaient dans ce second acte comme la vérole sur le bas clergé. Mais hélas, les belles intentions et les beaux sermons s’envolent vite s’ils ne sont pas suivis d’exemples et d’arguments bien concrets. Et on ne sait que trop que s’il y a quelque chose dont l’USAP ne manque pas cette année, c’est de vin de messe, tant elle vendange à tour de bras… Ce match était en quelque sorte un modèle du genre : un une deux Michel (pourtant très inspiré)-Tuilagi mal conclu, puis une touche ratée en bonne position, avant une percée de Mélé où Marty jetait le ballon comme s’il était habité par le démon… Camper sur les terres adverses sans rien y prendre, l’USAP s’adonnait à son péché mignon. Et comme dans pareil cas, la punition ne tardait pas, sous la forme de deux pénalités obtenues par les Agenais pour quelques secondes passées chez nous. Et Lagarde, comme touché par la grâce, enquillait 20 mètres plus loin que là où notre buteur n’avait pu atteindre l’autel… La parabole éternelle du « dominer n’est pas gagner » était particulièrement cruelle, d’autant que suite à un nouvelle punition en mêlée, le jeune Tao était obligé de partir 10 minutes en pénitence sur la touche. Et curieusement, cette sanction semblait donner des forces aux 14 frères restant sur le pré. Une première pression permettait à notre novice de montrer ses talents de buteur, avant qu’une autre ne nous donne l’opportunité de revenir à portée de jet d’eau bénite. Hélas, notre guide, aveuglé par l’hubris, ce péché de démesure, décidait de jouer vite et d’abandonner les trois points, à la fureur de notre évêque, qui ne sait que trop que quand on ne respecte pas les règles sacrées et l’esprit de ce jeu, on en est rapidement punis. Cela prenait la forme de nouvelles occasions ratées, mais surtout d’actions agenaises forçant notre verrou aussi facilement qu’un saint ouvre les portes du paradis : et si le péché d’orgueil de Lagarde nous donnait un sursis, l’excellent frère Tian ne manquait pas l’occasion de nous amener à une grande contrition et à beaucoup d’humilité par un nouvel essai. Le baroud d’honneur conclu par Romain Tao était aussi vaillant qu’inutile, et l’USAP voyait la honte de la défaite et d’une manière qui tenait de l’hérésie avivée par la nouvelle de l’échec des Montpelliérains dans la paroisse BAB, qui aurait transformé le match amical du 4 mai en grande célébration œcuménique…
Faut-il pour autant mettre notre équipe au bûcher après ce nouveau fiasco ? Certes, il est évident que certains de nos joueurs semblent bien légers pour les rudes débats du Top 14, et que la rotation appelée par nombre de fidèles trouve rapidement ses limites. Nous ne sommes pas là pour pointer un doigt vengeur sur tel ou tel, mais il est manifeste que certains joueurs ne doivent pas avoir la conscience tranquille, tant ils paraissent loin de leur niveau. Au-delà de ces cas, on a retrouvé notre USAP, avec ses qualités d’enthousiasme, mais qui utilisées sans modération deviennent des péchés, parfois mortels. Cette incapacité à poser le jeu, à gérer temps forts et temps faibles, est aussi la marque de fabrique d’une équipe en construction, manquant de leaders affirmés (ou dont les leaders semblent parfois en pleine traversée du désert), mais aussi d’une équipe usée, qui n’a plus l’énergie d’une foi renversant les montagnes. L’USAP finira donc au 7e rang, au milieu de la basilique du Top 14, la plus puissante du moment, ce qui semble juste vu ses qualités et ses lacunes. Et si Clermont et Toulon avaient la bonne idée de soumettre l’Europe à leur culte, cela nous ramènerait dans la cour des grands, ce que peu osaient espérer en début de saison. L’USAP inspire à nouveau une certaine foi, même si des questions demeurent, notamment sur les fondations que constituent la conquête et le jeu d’avants, elle doit être consolidée par un recrutement ciblé, ainsi que par un plus grand vécu collectif. Mais avant de parler d’avenir, il reste un dernier rendez-vous dans notre Cathédrale, qui devra résonner au moins aussi fort que contre Toulouse, avec ce choc contre des Parisiens venus aussi chercher le salut par les caves du Vatican rugbystique. Il faudra être forts et lucides pour s’ouvrir les portes d’une nouvelle finale, dans cette terre de foi qu’est l’Irlande, le week-end de Pentecôte. La messe française est peut-être dite, mais notre ferveur peut encore convertir l’Europe, pour que l’esprit saint catalan s’élève à nouveau, peut-être pas jusqu’à l’épectase, mais au moins jusqu’aux lueurs célestes !