USAP – Le coach Patrick Arlettaz: "Le supporter catalan me ressemble : il aime bien l'ouvrir devant tout le monde"
À 4 ans, supporter, il assistait aux matches de l’USAP depuis le pesage du stade Aimé-Giral au bras de son grand-père.S’émerveillant de la technique du 3e ligne Jacques Tisseyre et de la pugnacité du 2nde ligne Jean-François Imbernon. À 46 ans, désormais entraîneur, Patrick Arlettaz s’impose au bord du terrain de cette arène.Menant à la baguette cette USAP fraîchement promue en Top 14, sous l’œil averti du public catalan, qu’il voit « intelligent » et proche de lui, car « grande gueule » et « qui n’aime pas avoir honte. »
Patrick Arlettaz, enfant, quel supporter étiez-vous ? Quels sont vos souvenirs dans les gradins du stade Aimé-Giral ?
J'avais 4/5 ans la première fois que je suis allé à Aimé-Giral avec mon grand-père. J'y allais tout le temps, du côté pesage là-bas, pas en tribune officielle, et donc là où c'était sans doute le plus folklorique, le plus passionnel. Les souvenirs que j'en ais c'est les gens qui vivaient le match en plein, mimaient les gestes des joueurs sur le terrain, et participaient au match. Quand on parle de 16e homme, c'est une partie importante du soutien, des critiques, tout ce qui fait partie de la vie d'un supporter. Mais en étant toujours au rendez-vous, et toujours avec cette attente de pouvoir être fier de son équipe. Et c'est ça qui était le plus marquant.
Des joueurs dans votre mémoire transcendaient la foule de supporters au stade ? En existe-t-il de comparable aujourd'hui au sein de votre collectif ?
C'était pas toujours les joueurs les plus doués, les plus beaux, les plus clinquants, mais c'était des joueurs qui représentaient un peu l'esprit du rugby comme on l'entendait en Catalogne. L'année du titre de champion de France de Top 14 le 6 juin 2008 (USAP-Clermont, 22-13) par exemple avec Jean-Pierre Pérez et David Marty, qui correspondaient justement à cet état d'esprit. Avant ça y'avait Jacques Tisseyre, qui a été un joueur important des années 70. J'en citerai plein. Jean-François Imbernon, qui est toujours présent là-dessus. Y'en a beaucoup...
Chez nous, y'a Mathieu Acebes qui est incontournable sur ce qu'il véhicule en terme de valeurs. Enzo Forletta, qui est issu du cru, et qui parle aux supporters. Le parcours de Lifeimi Mafi, qui n'est pas du tout catalan, il a marqué aussi de son empreinte son passage à l'USAP. Tous ces joueurs-là peuvent se réunir sur leurs capacités à combattre, à jamais rien lâcher, à être rudes à la tâche, c'est cette mentalité-là qui correspond au public catalan. Et si en plus on y greffe du talent par-dessus, effectivement ça devient carrément des idoles.
Pensez-vous cette ambiance à Aimé-Giral anxiogène ? D'antan, la sanction était-elle immédiate ?
Elle l'est ! Le public catalan ne vient pas au stade pour faire la fête. Il vient pour voir son équipe dominer, gagner, avoir le visage qu'il a envie de voir. Ce n'est pas un prétexte pour retrouver les copains, pour participer à une ambiance. C'est très différent de l'ambiance basque. Je le dis tout le temps, pour les Basques, le match est un prétexte à se retrouver, faire la fête, chanter, boire des bières. Les supporters catalans, eux, se déplacent pour voir un match de rugby, pour être fiers de leur équipe.
La grande nouveauté, si je fais le parallèle avec ce qui se passe maintenant, c'est que le public catalan jusqu'à maintenant n'était fier de son équipe que quand elle gagnait. Et en plus, c'était difficile, il fallait qu'elle gagne et qu'elle gagne avec tous les préjugés qu'elle avait dans la tête, toute cette caricature. C'est-à-dire : il fallait qu'elle gagne en étant rugueuse, en étant dure sans jamais rien lâcher. Cette saison, qui à moi me fait énormément plaisir parce que ça montre que tout ce que j'ai dit cet été, c'est-à-dire y'a pas plus de cons en Catalogne qu'ailleurs, c'est la vérité, c'est que le public est conscient que les résultats sont difficiles, qu'on a une équipe qui est sans doute inexpérimentée à ce niveau. Dans laquelle il manque certaines individualités. Mais elle lui reconnaît le visage qu'il a envie de voir de l'USAP. Et c'est ça qu'ils viennent rechercher les supporters.
Et si l'USAP montre un beau visage, et si en plus il y a la victoire, à ce moment-là ça se déclenche, la fête, le fait d'y avoir participé avec des copains. Ce n'est que là que le plaisir d'être ensemble prend son essence. Pas avant. Et ça c'est une caractéristique du public catalan. Et c'est pour ça que c'est anxiogène. Parce que y'a toujours cette crainte de ne pas trouver exactement ce que l'on veut sur le match. Quand vous appelez 4 copains et que vous allez au stade, vous savez que vous allez être avec 4 copains au stade, donc y'a aucune raison de s'angoisser si vous vous foutez un tout petit peu du spectacle qui va vous être donné. Quand c;est le spectacle qui régit un peu votre humeur, et l humeur de votre semaine en plus, effectivement c est anxiogène. Vous avez peur de ne pas retrouver ce que vous souhaitez au stade donc vous êtes en danger par rapport à ça.>Et je crois que ce qui fait que le soutien du public est comme ça, là, c est qu ils ont bien compris que l équipe pouvait rencontrer des difficultés à gagner. Par contre, ce qu ils veulent voir tout le temps sur le terrain c est un visage qui correspond à ce qu eux aiment dans le rugby. C est-à-dire une équipe qui lâche rien, qui donne tout et qui a aussi de la qualité dans le jeu. Ce qu ils espèrent tous c est qu on soit payé pour nos efforts par des victoires.
On se souvient, au début dans la Pro D2, d un désamour entre le public et son équipe. Puis vous prenez les commandes et vous déclarez Ici c est le pire endroit pour perdre, mais le meilleur pour gagner .
Ce qui a changé maintenant c est qu il est suffisamment intelligent pour savoir que le rapport de force est un tout petit peu différent. Sans être abattu, en ayant de l espoir, en se disant qu on va quand même y arriver. Comme moi d ailleurs. Mais il est conscient que le rapport de force a changé. Ce que je disais donc je le pense toujours : d ailleurs les deux ans et demi de Pro D2 qui sont passés ont été traumatisants pour les joueurs, et pour beaucoup de joueurs qui sont encore dans les vestiaires ici. Mais par contre les un an et demi qu on a passé ensuite, avec en apothéose ce titre de Pro D2, ont montré à tout le monde que ce que je disais était vrai, c est vraiment le meilleur endroit pour jouer au rugby quand on gagne, et quand on réussit à atteindre les objectifs. Je n ai aucun doute sur le fait que ça sera extraordinaire si on arrive à se maintenir, ça sera peut-être même à hauteur de ce qui s est passé l année dernière. C est cette quête là qu on est en train de vivre. Mais ce n est plus le pire endroit pour perdre
Les supporters ont intégré le fait qu on pouvait avoir plus de défaites que de victoires cette saison parce que la logique du rapport de force veut ça. Mais par contre ce qu ils veulent trouver c est une équipe qui leur ressemble et dont ils peuvent être fiers. La chose qui maintient tout le monde maintenant, à part lors du premier match contre le Stade français (perdu à domicile lors de la 1 journée de Top 14, 46-15), c est que l on a toujours fini les matches avec beaucoup de déception mais jamais avec de la honte. Et moi je suis comme les supporters catalans : mon métier est fait de réjouissances, de satisfactions, et de déceptions, fortes. On sait quand on est entraîneur de rugby que c est notre lot. Par contre, je ne supporte pas d avoir honte à la fin du match. Et pour l instant ça n est pas arrivé. C est ça que reconnaissent les supporters. Ils ne finissent pas un match en ayant honte. Et ça le supporter catalan, ne le supporte pas d avoir honte, de devoir se cacher. Vous savez tous les supporters catalans ressemblent un tout petit peu à ce que je suis moi. Sa grande gueule, il aime bien l ouvrir devant tout le monde mais quand vous avez honte, vous avez un seul échappatoire, celui de vous taire. Mais on naime pas se taire ici. Donc c est pour ça qu on supporte pas la honte. On n a pas envie d être obligé de se taire. On aime bien continuer à chanter, à faire les fanfarons, et à dire à tout le monde qu on est les plus forts. On ne peut faire ça que si on na pas honte. La honte inhibe. On ne peut pas être extraverti si on a honte. Et on est quand même un public passionnel qui aime bien être extraverti.
Quand ça nous touche dans notre essence forcément ça nous met en difficultés. Ce lien recréé avec le public, ça vient de votre identité, votre catalanité, ou d un petit je-ne-sais-quoi dans votre personnalité ?
Ça serait très prétentieux de dire que c est dû à moi. On y a tous participé là-dedans. Je crois que les premiers acteurs ce sont les joueurs. Ils ont appris que ce public-là ne supportait pas le manque de combativité, ne supportait pas le manque de fierté. Ça a été un effort de tout le monde. Ça a été notre premier objectif. On sait qu à l USAP, de toute manière on n aura pas le plus gros budget, on l avait déjà pas en Pro D2, et là carrément en Top 14 on est 14 budget. Donc on sait bien qu on va pas pouvoir lutter là-dessus. Mais on sait à quel point le public est important. Et notre premier questionnement a été de se dire comment on peut faire en sorte que ce public nous soutienne et nous aide à pouvoir réussir nos objectifs. Et l année dernière si on a réussi à faire ce qu on a réussi à faire, c est pas nous tous seuls, c est avec le public. Le public a aidé. Mais vraiment. Il a eu une grande part dans ce titre-là. Les joueurs se sont attachés à rendre fier ce public parce qu'ils savaient que ce public allait les aider en contre partie. Et on a tous axé là-dessus, c est le fait d un seul homme. On a tous mis notre pierre là-dedans.