Article ( constat ) intéressant...sur un sujet tabou...
Des mutations physiques étonnantes
« C’était un sport d’évitement, de stratégie, c’est devenu un sport de destruction ». Ce constat, largement partagé dans le monde du rugby, est étayé par de nombreux travaux statistiques. « Le nombre de rucks (mêlées ouvertes), donc le nombre de contacts a explosé ces dernières années, explique Adrien Sedeaud, chercheur à l’IRMES. Du coup, les clubs s’arment en conséquence, certaines études ont parlé de course à l’armement. »
Depuis 1987, d’une coupe du monde à l’autre, tous les 4 ans, les joueurs internationaux prennent en moyenne 1,5 kg. C’est deux fois plus que la population générale. Néanmoins, cette prise de poids n’a pas été toujours linéaire. « Les All Blacks sont passés, pour les joueurs arrières, de 85 kg à 95 kg en moyenne entre 1995 et 1999, poursuit Adrien Sedeaud, et pour les avants, on est passé de 100 kg à 110 kg sur la même période. Ces prises de masse sur de si courtes périodes, n’ont été observés que dans les sports US. »
Des analyses troublantes dans le rugby français
La France a-t-elle été épargnée par le phénomène ? Peut-être un peu… En tout cas, les statistiques sur l’évolution physique des joueurs du XV de France ne font pas apparaître les mêmes « atypicités » que pour certaines équipes de l’hémisphère sud. Mais une étude rendue publique en 2009 par l’Agence française de lutte de contre le dopage (AFLD) va sérieusement écorner l’image de « sport propre » du rugby. L’AFLD avait réalisé des prélèvements capillaires sur 138 sportifs, dont 30 rugbymen. D’après les analyses, 5 d’entre eux, soit 16,7%, avait pris des stéroïdes (de la DHEA). L’analyse capillaire n’étant pas reconnue par le code mondial antidopage, ces résultats sont restés anonymes. Mais elle a marqué les esprits. Tout comme les « profilages sanguins » que l’agence avait également réalisé dans la foulée du Tour de France 2008, afin de voir si d’autres sports pouvaient être concernés par le dopage sanguin. « Concernant le rugby, nous avions vu d’énormes variations durant les périodes de trêve, se souvient Jean Pierre Verdy, qui était le directeur des contrôles de l’AFLD à cette époque. Cela signifiait que les sportifs récupéraient d’une manière incroyable, ou alors qu’ils avaient pris des produits pour les y aider. Les scientifiques évoquaient la prise d’EPO, ou des transfusions sanguines, voire les deux. »
Des joueurs « écartés » de l’équipe de France en raison de soupçons
Des variations de paramètres physiologiques anormales chez des rugbymen de haut niveau ? Christian Bagate admet qu’il en a déjà vu. Cet ancien joueur de bon niveau, médecin et dirigeant de club a été en charge de la lutte antidopage à la Fédération française de rugby pendant près de 20 ans. Cet homme très secret a toujours contesté l’existence d’un dopage « organisé » au sein de son sport, comme on a pu le voir dans certaines équipes cyclistes par exemple. Mais quand nous sommes allés le rencontrer, à Bègles, où il vit, il nous a lâché une explication qui peut permettre de comprendre que parfois, certains joueurs incontestables à leur poste n’aient pas été sélectionnés. « Quand vous êtes en équipe de France, on multiplie les analyses, explique-t-il. Et parfois, on a vu des choses qui nous faisaient douter. C’est arrivé, rarement mais c’est arrivé. On ne l’a jamais dit, mais c’est arrivé. Et ces joueurs, ils ont compris. Ils se sont remis à travailler pour essayer de revenir. Mais comme par hasard, c’était toujours des joueurs qui avaient quelqu’un dans leur environnement qui les conseillait de façon pas toujours très honnête. »
Des préparateurs physiques aux méthodes suspectes
Ces « conseillers » aux méthodes parfois douteuses sont connus dans le milieu du rugby. « C’est une vraie spécificité de ce sport, explique Damien Ressiot, l’actuel directeur des contrôles à l’AFLD. Il y a dans le rugby des préparateurs physiques itinérants, qui ne sont pas attachés à un club. Certains sont très compétents, d’autres plus douteux. Ces gens, marginaux, nous en avons identifié dans le passé, et leur présence perdure. »
L’un d’entre eux était clairement dans le collimateur de la FFR et de l’AFLD. Alain Camborde, décédé en 2015 dans un accident de la route, avait notamment officié auprès des clubs de Pau, Biarritz, et de l’équipe nationale argentine. Dans les brochures qu’il éditait, il revendiquait de suivre près de 150 joueurs professionnels dont quelques membres de l’équipe de France. Et puis, un jour de 2011, les gendarmes découvrent des cachets de clenbuterol, un stéroïde anabolisant. Néanmoins, la justice qui le condamnera à 3 mois prison avec sursis pour « importation et détention de marchandises prohibées et exercice illégal de la profession de pharmacien » ne retiendra pas les accusations de dopage de sportifs. Pourtant les autorités antidopage avaient de forts soupçons. Jean-Pierre Verdy révèle qu’il y a eu dans cette affaire « une mauvaise collaboration entre les douanes et la gendarmerie ce qui a débouché sur un beau raté ».
Des soupçons étayés notamment par des analyses sanguines étranges, pratiquées sur des rugbymen professionnels entre 2006 et 2008. 150 joueurs ont présenté des taux d’hormones thyroïdiennes anormales. Ces variations peuvent permettre de soupçonner la prise de produits dopants tels que l’hormone de croissance. « On a repéré qu’ils jouaient tous dans la même région, dans le Sud de l’Aquitaine, se souvient Christian Bagate. On a essayé de comprendre, et on a vite repéré qu’ils avaient tous le même préparateur physique », dit-il sans livrer son nom.
Une rapide vérification permet pourtant de l’identifier : Alain Camborde. Lors de son audition devant la commission d’enquête sénatoriale sur le dopage, Bernard Laporte, le sélectionneur de l’époque avait dû admettre que cette affaire était remontée jusqu’à ses oreilles. Il a reconnu en avoir parlé avec les joueurs internationaux suivis par Alain Camborde : « Je leur ai dit qu’il y avait des suspicions, mais eux étaient catégoriques : ils m’ont dit qu’ils faisaient confiance à ce mec. Je sais que ça engendré plein de doutes. Mais bon, ça n’a été que des rumeurs ». Fermez le ban.