L’ÂME DES GUERRIERS
Il fallait avoir la foi en son USAP, ce samedi, alors que se profilait le rendez-vous contre le double champion de France. La foi de se rendre à Barcelone dans un contexte difficile ne favorisant pas les déplacements, fussent-ils intra-catalans, la foi pour faire face à un Stade Toulousain quasiment au complet et clairement venu pour nous châtier, et plus encore la foi en une équipe en chantier et minée sur ses fondations par une infirmerie qui n’est pas près de fermer… Et en particulier, il fallait la foi du charbonnier pour se dire que notre mêlée si diminuée allait tenir face à ce qui se fait de mieux en Europe (voire dans le monde…) dans ce secteur, après avoir souffert le martyre au bout d’une heure contre les solides mais bien moins puissants bayonnais. Pour ce qui est du premier point, l’aspect clairsemé des tribunes du stade Lluis Companys nous montrait tout de suite qu’il n’y avait pas eu de miracle sur ce plan-là, et le stade au moins à moitié vide contrastait cruellement avec le chaudron du quart de finale de H Cup contre Toulon. Mais en cette période, pour un match de saison régulière, et avec une USAP en chantier, il était peut-être difficile d’attendre mieux… Pour le reste, le scepticisme semblait de mise, quand ce n’était pas la certitude d’une victoire de la machine toulousaine qui hantait les esprits des supporters. Pourtant, on ne pouvait que prier la Sagrada Familia que la nouvelle famille usapiste allait se transcender, tant la victoire était nécessaire pour entretenir la flamme de l’espoir et confirmer les belles promesses de ce groupe et de son encadrement. Pour cela, nous retrouvions deux de nos plus belles poutres en seconde ligne, ainsi que notre Farid, infatigable prêcheur de l’esprit catalan, par ses courses, ses plaquages et sa rage de vaincre. Cette foi était indispensable pour renverser la montagne toulousaine, mais suffirait-elle ? Sans doute pas, le jeu de l’USAP était appelé à s’élever vers des sommets jamais atteints cette saison, et le plus vite possible, la composition des bancs de touche faisait terriblement craindre la dernière demi-heure du match à tout supporter non aveuglé par sa foi.
Ces spéculations et rêveries de supporter solitaire (seul dans sa tête, mais bien accompagné au Café Six, quand les membres les plus éminents de la penya garnissaient les tribunes barcelonaises) étaient brutalement interrompues par une entame telle qu’on la craignait : une faute bête dans nos 22, une mêlée, une pénalité pour Toulouse, et 0-3 au bout d’une minute. Autant dire que le scepticisme s’instillait immédiatement chez les supporters minés par les déceptions que nous sommes depuis deux ans. Hommes de peu de foi que nous étions ! La réplique, immédiate, prenait la forme d’une merveille d’attaque placée, sur un ballon gagné dans les cieux par l’aérien Adrien : transmission de notre saint James à son apôtre Zaza, alors que nos avants rentraient leur course pour attirer tout le milieu de terrain stadiste, ledit Zaza envoyait alors une merveille de passe (les mauvaises langues parleront de miracle, je ne me le permettrai pas…) au chevalier Gavin qui transmettait à son frère d’armes Farid, lequel enrhumait un Vincent Clerc sans conviction puis renversait le redoutable McAlister pour aplatir un essai splendide. On se pinçait, mais on ne rêvait pas, l’USAP venait de marquer sur sa première occasion en prenant de vitesse la ligne de ¾ toute internationale du Stade. Cependant, il ne fallait pas que cette banderille fût un feu de paille. Et quand Toulouse reprenait le score sur une pénalité de mammouth, suite à une mêlée à nouveau enfoncée, on avait encore du mal à vraiment espérer. Pourtant, l’évidence allait nous apparaître : plus que la foi, l’USAP avait aujourd’hui le feu sacré : pas le feu stupide et destructeur qui a ravagé notre région cet été, mais celui qui permet de se sublimer et d’aller plus loin qu’on ne s’en serait crus capables. Cela commençait avec une fantastique percée d’un Farid Sid faisant passer Vincent Clerc pour un enfant de chœur et permettait à notre buteur de nous refaire passer devant, cela continuait avec une défense acharnée qui ne laissait pas un pouce de terrain aux terribles attaquants toulousains, et même par une mêlée victorieuse. Mais on n’avait encore rien vu, car arrivait le moment magique de l’USAP, convertie au jeu de mouvement, comme touchée par l’esprit du Barça : cela commençait par une superbe attaque dans la défense toulousaine rebondissait dans les 22, et Gavin envoyait une passe au pied que Yohan Huget ne captait pas, permettant à Bertrand Guiry d’accepter l’offrande. Le mouvement permanent continuait et mettait Toulouse au supplice, dans le sillage d’un Taofifenua faisant passer ses adversaires pour des juniors, comme quand il réussissait avec une facilité déconcertante une « Ibanez » avec Guilhem, qui gambadait joyeusement jusqu’en terre promise. Et même si notre artilleur manquait un peu trop la cible, nos favoris continuaient à marcher sur l’eau, et Strokosch sur la défense toulousaine pour conclure une nouvelle attaque féroce. La pause arrivait avec un cinglant 27-6 et le bonus offensif dans la musette : même dans nos rêves les plus fous, qui aurait pu croire à un tel scénario ? Malgré cette incrédulité, la méfiance restait de mise : on n’avait pas de peine à imaginer la délicatesse de l’homélie que Guy Novès déclamait à ses ouailles, ce qui augurait d’une reprise tendue, d’autant que notre fer de lance Farid, mais aussi Forian Cazenave, avaient déjà du renoncer…
Mais, alors que nous nous demandions comment l’USAP allait tenir en ce début de second acte, le scénario de rêve continuait : une nouvelle attaque nous amenait dans les 22 des Toulousains, qui se mettaient à la faute. Et alors que nous nous contentions largement des trois points à venir, captain Zaza faisait preuve d’une clairvoyance qui a si souvent fait défaut à notre équipe ces derniers temps, et envoyait le nouveau converti Richard Haughton se promener dans le jardin stadiste qui paraissait rempli de statues de plâtre plutôt que de redoutables rugbymen. On avait l’impression d’être en lévitation, de ressentir quelque chose de disparu depuis deux ans. Cependant, la blessure d’un Marty qu’on n’avait pas vu à ce niveau depuis bien longtemps, et la réaction toulousaine, bien évidemment sur mêlée, le seul secteur à son niveau samedi, nous ramenaient sur terre : malgré cette large avance, on ne savait que trop que nos adversaires avaient le talent pour renaître de leurs cendres en quelques minutes, et ce d’autant que, malgré des actions toujours aussi intéressantes, on sentait bien que le souffle commençait à manquer à nos joueurs. Clerc était tout près de marquer mais se faisait reprendre par notre pilier volant, mais le Stade multipliait les fautes, dont une poussait Florian Fritz vers la sortie. On pouvait alors penser que la cause était entendue, mais l’USAP, peut-être trop euphorique, s’exposait trop : après une grosse occasion d’essai, un contre toulousain aboutissait à une vendange spectaculaire d’un Vincent Clerc décidément à l’état de spectre, avant qu’une relance hasardeuse de nos 22 mètres ne permette à Yannick Nyanga de marquer son traditionnel essai contre notre équipe. On sentait alors que nos joueurs ne tenaient guère plus qu’à l’envie, mais cela suffisait à contenir les attaques toulousaines, et même à planter quelques contres, et le coup de sifflet final arrivait, dans une ambiance de joie et de communion entre une équipe et son public, le genre d’ambiance qui manquait tellement à tous. On sentait bien, depuis Clermont, qu’une équipe était en train de naître. La route est encore longue, mais on a la confirmation que ce groupe est lancé et uni dans la bonne direction.
Hélas, ce qui aurait du être la plus belle fête usapiste depuis des mois avait déjà basculé dans le drame. Sitôt arrivés dans les vestiaires, nos joueurs apprenaient le décès brutal de leur conducteur de bus, Paul Okesene. Paul était bien plus qu’un chauffeur de bus : venu des Samoa faire carrière en France, il imposa pendant des années sa puissance sur les terrains de rugby à XIII avant de s’installer dans notre pays catalan, où il devint l’ami des joueurs, et même un grand frère pour tous les îliens qui venaient fouler les pelouses catalanes. On peut imaginer l’effet qu’a pu produire un tel choc sur nos joueurs, passant en une seconde de l’euphorie au désarroi. Mais l’histoire de ce match et celle de Paul ont un point commun : qu’on vienne des Samoa, des Tonga, d’Angleterre, d’Écosse ou d’Argelès, on naît Catalan, mais on le devient également, et l’image de Paul Okesene tenant son drapeau samoan au sommet du Canigou en est la plus belle illustration. Il y a 10 ans Perry, Rimas, Marius, Greg étaient des étrangers. Ils sont devenus des Catalans véritaples à force de combat, dans la victoire comme dans la défaite, mais toujours avec une foi inébranlable en ces valeurs d’abnégation et de solidarité collective qui sont celles de l’USAP. Sur le match d’hier, Alasdair, Luke, Lifeimi, Jérémy, ont montré samedi qu’ils marchaient sur le même chemin. Reste maintenant à confirmer et à durer, et le voyage à Paris ne laissera que peu de temps : il faudra se méfier d’une bête blessée qui nous a fait tant de misères par le passé, mais nul doute que l’âme de nos guerriers sera au rendez-vous, surveillée avec bienveillance par celui qui vient de les quitter. En tous cas, Els de P@ris sera bien là, et poussera ses petits en espérant que les stades d’athlétisme continuent à sourire à l’USAP !