Dans la série: les religions sont bonnes pour la santé (tiré du figaro.fr).
Le claquement des pâles brise le silence et étouffe le chant des oiseaux. L’hélicoptère tourne en rond à basse altitude autour puis au-dessus de Mea Shearim et de Beth Shemesh. Le gouvernement sort ce mardi matin ses moyens de surveillance aérienne pour veiller au respect des consignes de confinement liées à l’épidémie de coronavirus dans les quartiers ultraorthodoxes de Jérusalem. Au sol, des patrouilles de police dispersent les rassemblements de prière de rue et des barrages filtrent la circulation automobile.
«Il n’y aura plus de prière autre qu’individuelle et les regroupements de plus de deux personnes sont interdits», a prévenu le chef du gouvernement, Benyamin Nétanyahou.
Des mesures auxquelles la frange la plus extrême des milieux haredim ne se plie pas de plein gré. Des cérémonies religieuses se poursuivent en petits comités sans respect des consignes de distanciation sociale. Et il est courant que les forces de l’ordre qui diffusent leurs recommandations par mégaphone soient accueillies par des jets de pierre, maudites et traités de «nazis».
En Israël, les extrémistes juifs religieux sont devenus un problème de santé publique. Le gouvernement qui peine à faire passer ses messages de prévention envisage de boucler leurs enclaves où vivent dans des situations de forte promiscuité des familles composées souvent de plus de dix personnes.
À Bnei Brak, un habitant testé sur trois est contaminé et le nombre de malades a été multiplié par huit en quelques jours. Des images en provenance de cette ville ultraorthodoxe de 200 000 habitants de la banlieue de Tel-Aviv ont choqué l’opinion publique. Alors que les habitants du pays sont cloîtrés chez eux,
des centaines de personnes ont participé, collées les unes aux autres, à une marche funéraire dans la nuit de samedi à dimanche. Ils suivaient une ambulance qui transportait la dépouille du rabbin Tzvi Shenkar, une figure haredim radicale connue pour son engagement contre le service militaire obligatoire. Les policiers n’étaient pas intervenus pour éviter une émeute.
Depuis, le maire, Abraham Rubinstein, a appelé les résidents à la raison.
«Le taux d’infection est le plus dangereux d’Israël et les prévisions sont terrifiantes. Vous devez comprendre: c’est une question de vie et de mort!» a-t-il lancé. Pendant des semaines, il avait pourtant fui les restrictions et autorisé le mariage d’un parent devant sa maison. Ce n’est que lorsque sa femme et des proches ont été diagnostiqués positifs qu’il a changé de cap. Son homologue de Ramat Gan, Carmel Shama, est confronté à la colère de ses administrés laïcs qui lui demande de construire en urgence un
«mur de protection» le long de la frontière entre son agglomération et Bnei Brak la religieuse sur le modèle de celui séparant Israéliens et Palestiniens en Cisjordanie. Face à la pandémie, le ministre ultraorthodoxe de la Santé, Yaakov Litzman, a, pour sa part, promis de mettre la cité sous cloche.
Bnei Brak et Jérusalem sont les épicentres de la contamination. La moitié des malades atteints de coronavirus traités dans les grands hôpitaux du pays sont des patients issus d’une communauté qui représente 10 % de la population.
Montrés du doigt, les haredim ont mis plus de temps que d’autres à s’adapter à la nouvelle donne. Ils n’ont pris conscience de l’urgence sanitaire qu’il y a peu. Le 9 mars à Mea Shearim, ils célébraient joyeusement Pourim avec des défilés carnavalesques comme si de rien n’était, tandis que dans le centre de Jérusalem, la fiesta religieuse était empreinte de retenue et ne rassemblait guère les foules. Le manque d’informations explique en partie le comportement d’une communauté déconnectée des médias de masse. Environ la moitié des ultraorthodoxes n’ont pas de smartphones. Les magasins de téléphonie mobile vendent des appareils non reliés à internet qui bloquent la plupart des applications de messagerie.
C’est la volonté bénie de Dieu qu’en temps de peste, le rassemblement des étudiants pour l’apprentissage de la Torah ne cesse pas et ce seront les jours qui mèneront à la venue du Mess
Une affiche placardée sur une synagogue
Lorsque les écoles et les universités ont fermé, les écoles religieuses sont restées ouvertes car la «Torah protège et sauve». Lorsque le 25 mars, le gouvernement a bouclé les synagogues et les yéshivots, les centres d’étude du talmud - des sites religieux où un tiers des malades ont contracté le virus -, la décision a dans un premier temps été diversement interprétée par les rabbins auxquels obéissent les fidèles. La majorité a suivi les injonctions mais les plus sectaires, régis par leurs propres règles, ont joué et continuent à jouer les prolongations. Une affiche placardée sur une synagogue résume l’état d’esprit du quartier de Mea Shearim où les croyants mettent en cause l’existence même de l’État d’Israël.
«C’est la volonté bénie de Dieu qu’en temps de peste, le rassemblement des étudiants pour l’apprentissage de la Torah ne cesse pas et ce seront les jours qui mèneront à la venue du Messie», peut-on y lire.
D’autres avis placardés sur les murs des ruelles étroites appellent directement à enfreindre les consignes. Ici, les habitants ne défendent pas seulement un mode de vie, mais mènent un combat idéologico-religieux. Ils ne veulent pas d’un gouvernement qu’ils ne reconnaissent pas et de ses experts qui leur disent comment lutter contre le fléau. Au grand dam de Benyamin Nétanyahou qui a durci le ton dans une allocution prononcée lundi soir. Il avait été placé quelques heures plus tôt en quarantaine après la contamination au Covid-19 de sa conseillère en charge des relations avec la communauté… ultraorthodoxe.