USAP-Mont-de-Marsan: Enzo Selponi, l’ouvreur-mystère
Critiqué ou adoré, Enzo Selponi nourrit le débat. Décryptage d’un ouvreur atypique.
Pour diverses raisons, aucun ouvreur n’a fait l’unanimité à l’USAP depuis Manny Edmonds. Dix ans plus tard, Enzo Selponi n’échappe pas à la règle. Le grand incompris possède pourtant ce petit grain de folie qui le rend magnétique. Mais au sens propre : il attire les uns, repousse les autres. Et d’ailleurs, ça lui ressemble plutôt bien. « Tu l’aimes, tu l’aimes pas : il s’en fout », acquiesce l’arrière Julien Farnoux. Depuis plusieurs semaines, au gré des interviews, les acteurs du vestiaire catalan ont esquissé un portrait à plusieurs mains d’Enzo Selponi.
Selponi honni
Fin octobre, le coach Patrick Arlettaz se faisait ethnologue. « Quand on perd et qu’on ne correspond pas aux attentes du public catalan, c’est le pire endroit au monde pour jouer au rugby, jurait-il. Mais quand on est en osmose avec lui, quand on lui donne beaucoup sans rien attendre en retour, c’est le plus bel endroit pour y jouer. » En trois saisons à l’USAP, Enzo Selponi a goûté les deux extrêmes. Une ombre d’amertume noircit le visage de ses coéquipiers à l’évocation de ce paradoxe. « Ce qui est arrivé sur lui, cette année, ce n’est pas normal, s’emporte Farnoux, la mine sombre à l’évocation de la pénalité manquée face à Colomiers. Quand ça prend une ampleur comme ça... Même s’il ne lit pas la presse ou qu’il n’ouvre pas le journal, ça revient aux oreilles. J’adore ce public. Mais par contre, s’il y a bien quelque chose que je ne supporte pas, c’est de juger un joueur comme ça. C’est devenu de la mauvaise foi. » Autour de Selponi, staff et coéquipiers ont fait bloc.
Déterminant pour sa progression à l’USAP, Patrick Arlettaz avait notamment titularisé l’ouvreur dès le match suivant. « Bien sûr, il a fait des boulettes, mais au final ça l’a fait grandir, estime l’ailier Jean-Bernard Pujol. Il a d’autant plus de mérite qu’il a réussi à passer au-delà de ça, à se reconcentrer, à rebosser, à faire l’unanimité et faire taire tout le monde. On n’est pas dans l’intimité mais quand tu es seul, ça ne doit pas être simple. Il a dû traverser des moments pas faciles. Passé ça, je pense que ça fait un mec mentalement plus fort sur des matches à enjeu, à pression. » Agacé, le trois-quarts Mathieu Acebes protège son partenaire : « Bien sûr, les supporters ont leur avis. Quand t’es bon c’est normal, personne ne te le dit trop. Les gens ne te parlent que de ce que tu n’as pas bien fait. Faut pas oublier qu’on n’est pas des machines. » Une question demeure : pourquoi les erreurs de Selponi retiennent-elles autant l’attention ?
Le virus du jeu
« Il est dix : forcément quand tu fais une gaffe, tout le monde la voit, explique Pujol. Une touche directe, une pénalité, une interception... Tout se voit. Tu es maître du jeu, meneur de jeu, quand tu faillis automatiquement ça retombe sur toi. Tu as une responsabilité plus grande. » Son idole, François Trinh-Duc, a été nourri à la même mamelle que lui, au Pic Saint-Loup. « Je regardais tout son jeu, confiait Selponi en novembre. François, c’est le numéro 10 que j’aurais aimé être. » Au fur et à mesure des années, il s’est forgé sa propre personnalité. « Il a son style bien à lui, je l’accorde, accepte Farnoux. C’est pas un pivot, un dix à l’anglaise qui sera passeur et va mettre des quilles tout l’après-midi. »
Un chiffre vaut tous les mots : Enzo Selponi est le Catalan qui a créé le plus de brèches cette saison (18). Il démontre également une belle capacité à casser les placages. En somme, l’ouvreur numéro 1 de l’USAP pèse sur les défenses adverses. « Il sent le rugby, tout simplement », acquiesce Acebes.
Porté sur l’attaque, sa complémentarité avec Tom Ecochard dépasse le simple goût du risque.Elle remonte loin, jusqu’à son adolescence au Pôle espoirs de Béziers. Surclassé en équipe de France -20 ans, il disputera également un tournoi avec le vice-capitaine de l’USAP. « Physiquement, pour un demi d’ouverture, il est très dur, il va très vite, esquisse Ecochard. C’est un joueur qui sent les coups pour attaquer la ligne. Quand ça avance, il aime prendre ses ballons à plat et c’est très dur à arrêter parce que c’est un troisième centre. Il a de la qualité, du physique, de très belles passes. C’est un joueur complet qui essaye d’être encore plus régulier dans son jeu au pied. » Pour gommer ses lacunes, Selponi met les bouchées doubles. Lors de la dernière intersaison, il s’inflige des séances supplémentaires. Chaque semaine, l’entraînement terminé, il s’exerce face aux perches, lutte perpétuelle pour augmenter sa fiabilité. « Il ne maîtrise pas encore le poste à 100 %, mais beaucoup plus qu’il y a un an et demi », juge Arlettaz.
La succession de Potgieter
La belle entente avec Tom Ecochard aurait pourtant dû être contrariée en début de saison. Le recrutement de Jacques-Louis Potgieter offrait une concurrence de taille à Selponi. Expérimenté, complet, fiable : la tendance des premiers matches faisait du Sud-Africain le numéro 1 dans la tête des coaches. Mais le Français martelait sa détermination à s’imposer. Les aléas ont fait le reste. Toute la symbolique de ce passage de témoin repose sur la journée du 12 novembre dernier. Comme lors de tous les premiers gros rendez-vous, Potgieter, lorsqu’il est valide, est titularisé. Farnoux forfait, Selponi joue les bouche-trous à l’arrière, tout en clamant sa volonté de persister à l’ouverture. Victime d’un KO, le Sud-Africain ne ressort pas des vestiaires à la mi-temps. Ce jour-là, Selpo réalise sans doute son meilleur match sous le maillot sang et or (25 points, 2 essais). Le vendredi suivant, une tumeur au cerveau est détectée chez Potgieter. Fatum...
« Tous ces malheurs, ça nous a soudés, ça a permis que tous les mecs soient concernés, que des joueurs éclosent, se montrent avec de grosses responsabilités, témoigne le pilier Enzo Forletta. Par exemple, pour Potgieter c’est terrible, mais Selpo maintenant c’est le chef d’orchestre. Il n’y a pas de doute là-dessus. » À 24 ans, dans un poste qui requiert de l’expérience, Selponi n’est sans doute pas arrivé à maturité. « Sa progression n’est pas achevée, confirme Arlettaz. Il a encore des tonnes de choses à travailler, mais il a déjà un niveau satisfaisant. » Ce grain de folie lui fait parfois tout perdre pourtant. Mais c’est aussi le grain de folie d’Enzo Selponi qui pourrait mener l’USAP vers l’excellence dimanche, lors de la réception de Mont-de-Marsan en demi-finale. Quitte ou double ?
Pierre Cribeillet
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