Parce que les défaites et les chiffres n’ont plus de sens, le public catalan quitte le Top 14 en chantant.
Vingt-trois défaites : et alors ? Plus mauvaise défense : et alors ? Plus grosses défaites de son histoire : et alors ? Un supplice en prévision à Toulouse samedi : et alors ? "La descente : and so what ?", comme avait balayé le président Rivière. Plus rien n’a de sens pour l’USAP. Un océan de douleur a lessivé et renversé ses vieilles valeurs.
Les instruments qui avaient toujours servi à mesurer le pouls de l’USAP ne semblent plus valables. L’ampleur de l’échec (92 % de défaites en Top 14) opère une anesthésie générale sur tous les acteurs du club. Visuellement, un fossé s’est creusé entre le sportif, déprimé, et l’environnement, festif.
Le rugby n’est qu’une fête
Et dire qu’au départ, le rugby est un plaisir. Où est-il cette saison ? Ne parlez pas de jeu et de possession, ils ne pèsent pas lourd face à la victoire. Enfant du club et réputé pour son amour du jeu, Patrick Arlettaz le reconnaissait en début de saison : "les Catalans veulent voir les meilleures équipes venir ici se faire tabasser". Le coach, comme tous les observateurs, s’est trompé. Même sans victoire, même sans espoir de victoire, le public est venu au rendez-vous. Samedi encore, malgré une volée comme l’USAP n’en avait jamais reçue (14-52 face au Racing 92), il était là, en nombre, positif et joyeux, au pire silencieux. Aveugle au spectacle, sourd au résultat, muet face à la honte ? Pas forcément. D’ordinaire, on ne juge le sportif qu’à l’aune de sa performance. Pas à Aimé-Giral. N’appelez plus l’USAP "OM du rugby" : jamais le Vélodrome n’a salué une défaite.
Et pourtant, il faudrait avoir la mémoire courte pour oublier ce qui a fait la réputation de l’USAP. Ce public de corrida, aussi fort qu’injuste dans la haine et l’amour, capable de transcender son équipe ou d’inhiber son adversaire par la peur qu’il inspirait. Les temps ont changé, l’USAP ne fait plus peur. Le climat de "violence" qui lui était associé s’est évaporé, sur le terrain comme autour. Toute la saison, le public a applaudi son équipe comme on met du Mozart au bétail avant de l’envoyer à l’abattoir.
Sa fierté, sa victoire, le public l’a tiré d’autre chose. Le respect de la France, l’USAP l’a gagné sur des nouvelles valeurs : l’image festive, bayonnaise, qu’elle a renvoyée au reste du Top 14, sa volonté de jouer malgré la déprime… Le secondaire est devenu essentiel. Loin, très loin des aspirations classiques de ce bout de France. Si l’USAP était une religion, c’est aussi parce qu’il fallait souffrir pour espérer la grâce des applaudissements. Aujourd’hui, le rugby n’est qu’une fête.
La foi sans crise
À cela, une foule d’explications. Ce public aussi jouait le maintien pour la première fois. Lucide, il a vite compris que l’équipe n’était pas au niveau et l’a prise en pitié et en affection. Plutôt que de l’accabler par les sifflets, les Catalans ont voulu atténuer leurs peines en les applaudissant. Sans trop savoir comment y répondre, les joueurs ont continué les tours d’"honneur" d’après-match.
Cette attitude du public a, entre autres, permis au club de s’éviter une crise. Pour le meilleur ou le pire ? Nul ne saura jamais. Samedi encore, François Rivière sifflotait dans les tribunes à la mi-temps, saluait les supporters avant le match : quel autre président pourrait assumer cette attitude face à pareille situation ? Le public a peut-être intériorisé le complexe d’infériorité relayé au sein du club, en admiration devant le Top 14 et les présidents tiroirs-caisses. Sauf erreur de jugement, l’USAP n’a jamais figuré parmi les clubs riches, et l’argent vient parfois avec la victoire, pas avant.
Le crépuscule de l’innocence
Comment ignorer les petits messages distillés, à droite à gauche, par les anciens du club : n’oubliez pas ce qu’est l’USAP, n’oubliez pas sur quelle fondation elle s’est bâtie. Dans le particulier, le public s’en est souvenu, sifflant Jackson pour applaudir Acebes, Bousquet et ces quelques tempéraments isolés qui semblaient prêts à tout pour sauver le club. Mais dans l’ensemble, il n’avait pas le cœur pour siffler son USAP "ridicule", comme l’assumait Bousquet samedi. Tous les constats ont été tirés depuis longtemps sur les racines de l’échec.
Par volonté ou omission, aucun membre du staff ne s’est présenté en conférence de presse d’après-match. Dommage, même si eux aussi ont sans doute déjà tout dit. Ils s’y sont réfugiés depuis plusieurs mois, maintenant il faudra l’affronter : l’avenir est déjà là. Et le public, presque unanime, semble préférer une USAP forte en Pro D2 que faible en Top 14. Les temps ont changé. Une chose est sûre : la passion supportrice est plus admirable que jamais.
Pierre Cribeillet
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