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Source : Mediapart
NéfiachNéfiach, Latour-de-France, Vernet-les-Bains et Saint-Génis-des-Fontaines (Pyrénées-Orientales).– Il y a bien eu quelques gouttes ce vendredi. Mais personne ne se fait d’illusions. « Ça ne changera rien », disent en chœur les habitants des Pyrénées-Orientales. La terre, qui se mue parfois en sable tant elle est friable, et plus loin en béton tant elle est tassée et sèche, trahit la véritable situation du département. En cruel manque d’eau.
« Ce n’est pas cette bruine qui va changer quelque chose, il faudrait qu’il pleuve vraiment pendant au moins un mois sans interruption » pour espérer revenir à un niveau de simple vigilance, désamorce Christophe Berrier, attablé dans son restaurant de Vernet-les-Bains.
Depuis bientôt deux ans, le département le plus au sud de l’Hexagone n’a pas connu de véritable pluie. En janvier, le déficit pluviométrique a même atteint 80 %. En 2023, 245 mm de précipitations ont été observés, contre 560 actuellement. Des relevés comparables au Maroc ou à l’Andalousie. Plus inquiétant encore, le taux d’humidité des sols a atteint un déficit historique de –90 % près de Prades.
Ces chiffres traduisent à leur manière le paysage inhabituel dans le département. Des cours d’eau complètement à sec, des fleuves laissant apparaître au grand jour la caillasse que l’eau recouvrait il y a deux ans, et des marques apparentes dans les lacs artificiels, laissant deviner le niveau de l’eau d’antan.
S’ajoutent à cela les températures anormalement élevées de ces dernières semaines, allant jusqu’à atteindre 27 °C le 4 février. Un cocktail explosif qui justifie le placement sans interruption depuis juin 2022 du département sous arrêté sécheresse, interdisant certains usages de l’eau, y compris en plein hiver. L’eau est devenue rare dans le département.
« Il faudra y faire de plus en plus attention de toute façon. Ce que vous perdez en eau un jour, vous ne le retrouvez pas », plaide Christophe Berrier. Le paysage qui se dresse devant lui, derrière la vitrine de son bar, l’inquiète. « Je connais le coin depuis les années 1980, et je n’ai jamais vu le pic du Canigou avec aussi peu de neige », explique l’homme à la moustache parfaitement taillée. Un tableau qui frappe d’autant plus que le pic, qui culmine à plus de 2 000 mètres, « est la montagne sacrée des Catalans ».
« Sur la crête, on voit même des résineux mourir », se désole Olivier Gravas, pointant du doigt depuis son exploitation, située à 954 mètres d’altitude, les contreforts de la plus haute montagne du département. Du jamais-vu pour lui. Le constat est là, mais le sujet qui le remue tous les jours est autre. C’est celui du partage de la ressource.
Irrigués grâce à un réseau de canaux millénaires, qui prennent leur source dans les quelques rivières alentour, les exploitants du coin ont dû « se serrer la ceinture pour maintenir le niveau du barrage un peu plus bas ». Olivier rit jaune en se souvenant des restrictions de l’année dernière : « On nous a quand même dit qu’on pouvait utiliser de l’eau pour abreuver nos bêtes. Heureusement, non ? On fait comment sinon ? »
« Avant, le canal qui irrigue ma parcelle était en eau quatre jours par semaine, et maintenant c’est tous les dix jours pendant trois jours », illustre Aurelia Ponsich. L’organisation en charge de l’irrigation de ces canaux a dû prendre cette décision drastique à cause du manque d’eau dans la rivière dans laquelle elle puise.
La petite exploitation de maraîchage d’Aurelia doit alors, comme tous ses collègues, se serrer la ceinture question eau. Mais à côté, dans le lotissement qui borde sa parcelle, « il y a des piscines bien remplies, parfois des pelouses bien vertes ». « Je ne suis pas là pour m’énerver, mais je crains que cela puisse dégénérer en conflit », prévient la maraîchère.
« Dans le même temps, plus en hauteur, on a quand même dit à des collègues de ne rien planter puisqu’on ne pouvait pas leur assurer de leur fournir de l’eau », abonde, désarçonné, Jérôme Suszeck, son compagnon et associé sur l’exploitation. La tension autour de l’eau pourrait prendre des proportions d’autant plus grandes que l’inquiétude dans le monde agricole augmente à mesure que les jours sans pluie s’accumulent.
« Il faudra voir dans six mois, mais j’imagine que les exploitations qui se situent entre 10 et 50 hectares pourraient vraiment morfler », craint Jérôme, qui est aussi référent eau au sein de la Confédération paysanne des Pyrénées-Orientales. Pour lui, « une partie entière de l’agriculture de cette plaine pourrait disparaître ».
« Le résultat, c’est qu’on a vu des foreuses partout dans les exploitations environnantes pendant l’hiver. Mais on ne peut pas leur en vouloir quand on voit ce qu’on autorise aux autres secteurs », reprend Jérôme Suszeck dans sa serre de 50 mètres de long, qui abrite des rangées de fenouil, de blette et d’épinards. Aurelia, concentrée sur ses plants en fleurs, se souvient de cet été : « C’était n’importe quoi, dans certains campings les gens jouaient avec l’eau, ça a été un crève-cœur. » « On ne peut pas faire autrement que de dire que c’est voulu [par les autorités – ndlr]. C’est un choix », avance la maraîchère.
Dans la vallée de la Rotjà, petite rivière qui serpente au pied du Canigou dans l’est du département, les agriculteurs réunis autour de la table d’Olivier Gravas, l’éleveur de brebis, sont du même avis. Quelque chose leur reste en travers de la gorge après la décision de « nous serrer la ceinture pour garantir de l’eau dans les canons à neige », lance l’éleveur et maire d’une petite commune environnante. « Quand on vient discuter d’eau en préfecture, on nous demande combien on pèse économiquement », lance à ses côtés sa collègue, Charlotte Vignal, qui tient une petite exploitation mêlant arboriculture et élevage de poules.
Face à l’échéance de l’été, la jeune agricultrice avoue « très mal dormir » en voyant que rien ne tombe. D’autres, lassés de se faire du mal, ont carrément arrêté de regarder le pluviomètre. « À chaque fois c’est la même chose, on nous annonce une grosse pluie dans deux semaines, et finalement rien », explique Didier Berdaguer, éleveur de brebis à Villelongue-Dels-Monts.
Lui s’interroge sur l’avenir de son activité. Ses trois chiens de berger sont au chômage technique ces temps-ci, ces 170 brebis n’ont rien à pâturer, alors elles mangent du foin, à l’abri de la bergerie. Bien loin du modèle pour lequel il s’est lancé. Pour lui, « à ce rythme, peu de monde pourra tenir ».
À force de recul, le milieu voit venir la « première catastrophe agricole » de France métropolitaine. Mathieu Maury, éleveur de l’est des Pyrénées-Orientales, va jusqu’à parler de « désertification du département ». Selon lui, « si cela continue ainsi, on pourrait vivre dans un territoire semi-aride. Nous, en travaillant proche de la terre, on a vu le changement venir ».
Et face à ce constat, « est-ce qu’on va apporter les bonnes réponses ? », s’interroge Charlotte Vignal, l’éleveuse de poules et arboricultrice. Dans sa tête, quand elle prononce cette phrase, il y a la solution avancée par certains politiques et syndicats agricoles : faire davantage de retenues collinaires pour stocker l’eau. En déplacement dans le département jeudi 15 février, le ministre de l’agriculture s’est rendu sur le site d’un de ces projets. Pour les petits exploitants, on craint « la privatisation de l’eau » par les plus gros, et on se demande : « Mais avec quelle eau on va remplir ces nouveaux stockages ? Il ne pleut plus. »
Les sujets de discorde autour de l’eau ne manquent pas. « La bétonnisation constante est en train d’augmenter les besoins en eau du territoire », lâche Olivier Gravas, épuisé de voir les projets immobiliers se multiplier. À Latour-de-France, à une vingtaine de minutes de Perpignan, un collectif s’est lancé dans la bataille contre un projet de lotissement d’une centaine de lots. « C’est totalement anachronique », justifie Thierry Mandile, habitant de la commune et membre du collectif Agly en transition, du nom de la rivière qui borde la commune.
Lui et son collectif demandent un moratoire pour ce genre de projets. Pour lui, la ressource disponible en eau ne permet pas de garantir de l’eau potable à tous les habitants, « alors qu’une des communes voisines doit même s’approvisionner en eau par camion toutes les semaines ». Sur les lieux du futur projet, en bordure de la commune, la végétation totalement asséchée trahit encore une fois la situation du département.
« Et ce genre d’initiative est en train de monter », se réjouit Thierry Mandile. Quelques kilomètres plus loin, sur le bord de la route qui mène la petite commune à Perpignan, des panneaux bleus posés près des fossés affichent un « Non au béton » sur fond bleu, signe de la tension qui monte autour de ce sujet.
Dans ses mains, le principal opposant au projet a emmené avec grande précaution, comme une pièce à conviction, l’exemplaire du journal local consacré à la réponse du maire, à l’initiative du lotissement. Marc Carles, le maire de Latour-de-France, y voit un projet « vital » pour le village.
À mesure que la sécheresse s’installe, les levées de boucliers d’associations écologistes, de simples riverains et mêmes d’élus contre de nouveaux projets gourmands en eau squattent les colonnes de L’Indépendant, le journal régional.
Dans l’édition du 17 février, c’est au tour de Jacqueline Irles, maire (LR) de Villeneuve-de-la-Raho, de longuement s’expliquer et défendre son projet de golf de 18 trous et 600 nouveaux logements, au cœur du débat dans le département. Elle martèle que le golf devrait être arrosé par des eaux usées réutilisées. En coulisses, les militants écologistes commencent aussi à se mobiliser contre un autre projet d’ampleur, qui prévoit la création de deux bassins aqualudiques au sud de Perpignan.
Dans le bureau de la mairie d’Elne, Nicolas Garcia est en plein dans le sujet. Plongé dans les parafeurs étalés sur son bureau, il vient de donner de nouvelles instructions à ses équipes : l’interdiction de construction de forages pour les particuliers et de construction de piscines sur sa commune. Celui qui est aussi premier vice-président du conseil départemental n’appelle pas à un moratoire sur les permis de construire, mais plaide tout de même en faveur d’un « changement de logiciel » auprès de ses collègues. L’élu communiste le dit tout net : « Il y a encore du boulot. »
Lui décrit volontiers un « tabou », quand les militants parlent carrément d’« omerta », autour de l’eau chez les élus locaux. En cause, la crainte d’un désamour des touristes pendant la haute saison. Lorsque Nicolas Garcia évoque le sujet, il obtient systématiquement la même réponse, « que l’usage touristique de l’eau ne représente que 2 % du volume d’eau potable ». « Mais ces 2 % du volume annuel sont consommés pour l’essentiel sur une période très réduite, de juin à septembre », rétorque le maire, agacé d’entendre le même argument tous les jours.
« L’année passée, on a eu une vraie baisse de fréquentation en juillet par rapport à l’année passée, mais il y a eu un rattrapage en septembre », explique Nathalie Regond-Planas, maire de Saint-Génis-des-Fontaines et présidente de l’office du tourisme de son intercommunalité. Depuis le bureau municipal, l’édile observe l’esplanade. « C’est tristounet, à cette saison, il devrait y avoir des fleurs », commente-t-elle.
Elle a pris une décision radicale, plus aucun lotissement ne pousse dans sa commune. Même si celle qui a pris ses fonctions en 2020 était déjà largement opposée à l’étalement urbain, la question de l’eau a fini de la convaincre. « Dans le dernier lotissement qui est sorti de terre, sur 92 parcelles, il y a pas loin de 70 piscines », illustre-t-elle.
Et la crainte autour de l’étalement urbain ne concerne pas que la consommation de l’eau potable. « On va finir par avoir de l’eau, c’est certain, mais comment ? On peut s’attendre à des épisodes violents, la terre est complètement asséchée, elle n’absorbera quasiment rien, alors si on bétonne encore plus ça pourrait devenir grave », craint l’élue. Elle insiste : « C’est contre-intuitif, mais une partie de la commune est en zone inondable. »
Posés devant toutes les entrées de la commune, des panneaux rappellent à tous l’urgence de la situation. « Chaque goutte compte, chaque geste aussi », est inscrit sur fond bleu. Les canaux qui traversent habituellement la ville de 2 800 habitants sont eux totalement à sec. « L’incendie à Cerbère, qui avait ravagé 900 hectares au mois d’avril, a frappé les esprits », analyse Nathalie Regond-Planas.
Mais ce qui la taraude en ce moment, comme beaucoup d’autres, c’est l’échéance estivale. « Je ne suis pas certaine que les efforts qui ont été consentis cet été par les habitants soient renouvelés », admet la maire. La crainte, c’est celui d’un ras-le-bol des restrictions imposées « alors que dans le même moment on construit des golfs », peste Jérôme Suszeck, le maraîcher. « On a interdit d’arroser les jardins et petits potagers, mais dans ce département, qui est le deuxième plus pauvre de métropole, on a beaucoup de personnes âgées avec de très petites retraites qui mangent grâce à leur petit potager. On est face à un vrai enjeu social », s’émeut Thierry Mandile, l’opposant au lotissement de 100 logements.
L’urgence est là. Et la réponse apportée ne convient pas à Nathalie Regond-Planas. La situation est telle que « maintenant, on puise dans des nappes plus profondes, qui se rechargent extrêmement lentement. Ces nappes pliocènes, on ne devrait pas y toucher ». L’air grave, l’élue reprend : « Ce que l’on puise désormais, c’est de l’eau qui était destinée aux générations futures. »
Manuel Magrez
NéfiachNéfiach, Latour-de-France, Vernet-les-Bains et Saint-Génis-des-Fontaines (Pyrénées-Orientales).– Il y a bien eu quelques gouttes ce vendredi. Mais personne ne se fait d’illusions. « Ça ne changera rien », disent en chœur les habitants des Pyrénées-Orientales. La terre, qui se mue parfois en sable tant elle est friable, et plus loin en béton tant elle est tassée et sèche, trahit la véritable situation du département. En cruel manque d’eau.
« Ce n’est pas cette bruine qui va changer quelque chose, il faudrait qu’il pleuve vraiment pendant au moins un mois sans interruption » pour espérer revenir à un niveau de simple vigilance, désamorce Christophe Berrier, attablé dans son restaurant de Vernet-les-Bains.
Depuis bientôt deux ans, le département le plus au sud de l’Hexagone n’a pas connu de véritable pluie. En janvier, le déficit pluviométrique a même atteint 80 %. En 2023, 245 mm de précipitations ont été observés, contre 560 actuellement. Des relevés comparables au Maroc ou à l’Andalousie. Plus inquiétant encore, le taux d’humidité des sols a atteint un déficit historique de –90 % près de Prades.
Ces chiffres traduisent à leur manière le paysage inhabituel dans le département. Des cours d’eau complètement à sec, des fleuves laissant apparaître au grand jour la caillasse que l’eau recouvrait il y a deux ans, et des marques apparentes dans les lacs artificiels, laissant deviner le niveau de l’eau d’antan.
S’ajoutent à cela les températures anormalement élevées de ces dernières semaines, allant jusqu’à atteindre 27 °C le 4 février. Un cocktail explosif qui justifie le placement sans interruption depuis juin 2022 du département sous arrêté sécheresse, interdisant certains usages de l’eau, y compris en plein hiver. L’eau est devenue rare dans le département.
Canaux millénaires
« Il faudra y faire de plus en plus attention de toute façon. Ce que vous perdez en eau un jour, vous ne le retrouvez pas », plaide Christophe Berrier. Le paysage qui se dresse devant lui, derrière la vitrine de son bar, l’inquiète. « Je connais le coin depuis les années 1980, et je n’ai jamais vu le pic du Canigou avec aussi peu de neige », explique l’homme à la moustache parfaitement taillée. Un tableau qui frappe d’autant plus que le pic, qui culmine à plus de 2 000 mètres, « est la montagne sacrée des Catalans ».
« Sur la crête, on voit même des résineux mourir », se désole Olivier Gravas, pointant du doigt depuis son exploitation, située à 954 mètres d’altitude, les contreforts de la plus haute montagne du département. Du jamais-vu pour lui. Le constat est là, mais le sujet qui le remue tous les jours est autre. C’est celui du partage de la ressource.
Irrigués grâce à un réseau de canaux millénaires, qui prennent leur source dans les quelques rivières alentour, les exploitants du coin ont dû « se serrer la ceinture pour maintenir le niveau du barrage un peu plus bas ». Olivier rit jaune en se souvenant des restrictions de l’année dernière : « On nous a quand même dit qu’on pouvait utiliser de l’eau pour abreuver nos bêtes. Heureusement, non ? On fait comment sinon ? »
« Avant, le canal qui irrigue ma parcelle était en eau quatre jours par semaine, et maintenant c’est tous les dix jours pendant trois jours », illustre Aurelia Ponsich. L’organisation en charge de l’irrigation de ces canaux a dû prendre cette décision drastique à cause du manque d’eau dans la rivière dans laquelle elle puise.
La petite exploitation de maraîchage d’Aurelia doit alors, comme tous ses collègues, se serrer la ceinture question eau. Mais à côté, dans le lotissement qui borde sa parcelle, « il y a des piscines bien remplies, parfois des pelouses bien vertes ». « Je ne suis pas là pour m’énerver, mais je crains que cela puisse dégénérer en conflit », prévient la maraîchère.
« Dans le même temps, plus en hauteur, on a quand même dit à des collègues de ne rien planter puisqu’on ne pouvait pas leur assurer de leur fournir de l’eau », abonde, désarçonné, Jérôme Suszeck, son compagnon et associé sur l’exploitation. La tension autour de l’eau pourrait prendre des proportions d’autant plus grandes que l’inquiétude dans le monde agricole augmente à mesure que les jours sans pluie s’accumulent.
« Il faudra voir dans six mois, mais j’imagine que les exploitations qui se situent entre 10 et 50 hectares pourraient vraiment morfler », craint Jérôme, qui est aussi référent eau au sein de la Confédération paysanne des Pyrénées-Orientales. Pour lui, « une partie entière de l’agriculture de cette plaine pourrait disparaître ».
Entrée dans une ère des conflits d’usage
« Le résultat, c’est qu’on a vu des foreuses partout dans les exploitations environnantes pendant l’hiver. Mais on ne peut pas leur en vouloir quand on voit ce qu’on autorise aux autres secteurs », reprend Jérôme Suszeck dans sa serre de 50 mètres de long, qui abrite des rangées de fenouil, de blette et d’épinards. Aurelia, concentrée sur ses plants en fleurs, se souvient de cet été : « C’était n’importe quoi, dans certains campings les gens jouaient avec l’eau, ça a été un crève-cœur. » « On ne peut pas faire autrement que de dire que c’est voulu [par les autorités – ndlr]. C’est un choix », avance la maraîchère.
Dans la vallée de la Rotjà, petite rivière qui serpente au pied du Canigou dans l’est du département, les agriculteurs réunis autour de la table d’Olivier Gravas, l’éleveur de brebis, sont du même avis. Quelque chose leur reste en travers de la gorge après la décision de « nous serrer la ceinture pour garantir de l’eau dans les canons à neige », lance l’éleveur et maire d’une petite commune environnante. « Quand on vient discuter d’eau en préfecture, on nous demande combien on pèse économiquement », lance à ses côtés sa collègue, Charlotte Vignal, qui tient une petite exploitation mêlant arboriculture et élevage de poules.
Face à l’échéance de l’été, la jeune agricultrice avoue « très mal dormir » en voyant que rien ne tombe. D’autres, lassés de se faire du mal, ont carrément arrêté de regarder le pluviomètre. « À chaque fois c’est la même chose, on nous annonce une grosse pluie dans deux semaines, et finalement rien », explique Didier Berdaguer, éleveur de brebis à Villelongue-Dels-Monts.
Lui s’interroge sur l’avenir de son activité. Ses trois chiens de berger sont au chômage technique ces temps-ci, ces 170 brebis n’ont rien à pâturer, alors elles mangent du foin, à l’abri de la bergerie. Bien loin du modèle pour lequel il s’est lancé. Pour lui, « à ce rythme, peu de monde pourra tenir ».
À force de recul, le milieu voit venir la « première catastrophe agricole » de France métropolitaine. Mathieu Maury, éleveur de l’est des Pyrénées-Orientales, va jusqu’à parler de « désertification du département ». Selon lui, « si cela continue ainsi, on pourrait vivre dans un territoire semi-aride. Nous, en travaillant proche de la terre, on a vu le changement venir ».
Et face à ce constat, « est-ce qu’on va apporter les bonnes réponses ? », s’interroge Charlotte Vignal, l’éleveuse de poules et arboricultrice. Dans sa tête, quand elle prononce cette phrase, il y a la solution avancée par certains politiques et syndicats agricoles : faire davantage de retenues collinaires pour stocker l’eau. En déplacement dans le département jeudi 15 février, le ministre de l’agriculture s’est rendu sur le site d’un de ces projets. Pour les petits exploitants, on craint « la privatisation de l’eau » par les plus gros, et on se demande : « Mais avec quelle eau on va remplir ces nouveaux stockages ? Il ne pleut plus. »
Les sujets de discorde autour de l’eau ne manquent pas. « La bétonnisation constante est en train d’augmenter les besoins en eau du territoire », lâche Olivier Gravas, épuisé de voir les projets immobiliers se multiplier. À Latour-de-France, à une vingtaine de minutes de Perpignan, un collectif s’est lancé dans la bataille contre un projet de lotissement d’une centaine de lots. « C’est totalement anachronique », justifie Thierry Mandile, habitant de la commune et membre du collectif Agly en transition, du nom de la rivière qui borde la commune.
Lui et son collectif demandent un moratoire pour ce genre de projets. Pour lui, la ressource disponible en eau ne permet pas de garantir de l’eau potable à tous les habitants, « alors qu’une des communes voisines doit même s’approvisionner en eau par camion toutes les semaines ». Sur les lieux du futur projet, en bordure de la commune, la végétation totalement asséchée trahit encore une fois la situation du département.
« Et ce genre d’initiative est en train de monter », se réjouit Thierry Mandile. Quelques kilomètres plus loin, sur le bord de la route qui mène la petite commune à Perpignan, des panneaux bleus posés près des fossés affichent un « Non au béton » sur fond bleu, signe de la tension qui monte autour de ce sujet.
Dans ses mains, le principal opposant au projet a emmené avec grande précaution, comme une pièce à conviction, l’exemplaire du journal local consacré à la réponse du maire, à l’initiative du lotissement. Marc Carles, le maire de Latour-de-France, y voit un projet « vital » pour le village.
À mesure que la sécheresse s’installe, les levées de boucliers d’associations écologistes, de simples riverains et mêmes d’élus contre de nouveaux projets gourmands en eau squattent les colonnes de L’Indépendant, le journal régional.
Dans l’édition du 17 février, c’est au tour de Jacqueline Irles, maire (LR) de Villeneuve-de-la-Raho, de longuement s’expliquer et défendre son projet de golf de 18 trous et 600 nouveaux logements, au cœur du débat dans le département. Elle martèle que le golf devrait être arrosé par des eaux usées réutilisées. En coulisses, les militants écologistes commencent aussi à se mobiliser contre un autre projet d’ampleur, qui prévoit la création de deux bassins aqualudiques au sud de Perpignan.
Un « tabou » chez les élus locaux
« Il y a de plus en plus de radicalité », analyse Thierry Mandile. « On me prenait pour un bisounours au début de mon engagement, je disais toujours qu’il fallait aller vers les élus, qu’on pouvait les convaincre », se souvient-il, laissant penser qu’il n’y croit plus. Et les 18 °C affichés sur les signalétiques de pharmacie en ce mois de février ne font que le conforter dans son combat. D’un air désabusé, le fonctionnaire territorial lance : « De toute façon, tant que les gens ont de l’eau qui coule dans leur robinet, ils considèrent que ce n’est pas leur problème. »Dans le bureau de la mairie d’Elne, Nicolas Garcia est en plein dans le sujet. Plongé dans les parafeurs étalés sur son bureau, il vient de donner de nouvelles instructions à ses équipes : l’interdiction de construction de forages pour les particuliers et de construction de piscines sur sa commune. Celui qui est aussi premier vice-président du conseil départemental n’appelle pas à un moratoire sur les permis de construire, mais plaide tout de même en faveur d’un « changement de logiciel » auprès de ses collègues. L’élu communiste le dit tout net : « Il y a encore du boulot. »
Lui décrit volontiers un « tabou », quand les militants parlent carrément d’« omerta », autour de l’eau chez les élus locaux. En cause, la crainte d’un désamour des touristes pendant la haute saison. Lorsque Nicolas Garcia évoque le sujet, il obtient systématiquement la même réponse, « que l’usage touristique de l’eau ne représente que 2 % du volume d’eau potable ». « Mais ces 2 % du volume annuel sont consommés pour l’essentiel sur une période très réduite, de juin à septembre », rétorque le maire, agacé d’entendre le même argument tous les jours.
« L’année passée, on a eu une vraie baisse de fréquentation en juillet par rapport à l’année passée, mais il y a eu un rattrapage en septembre », explique Nathalie Regond-Planas, maire de Saint-Génis-des-Fontaines et présidente de l’office du tourisme de son intercommunalité. Depuis le bureau municipal, l’édile observe l’esplanade. « C’est tristounet, à cette saison, il devrait y avoir des fleurs », commente-t-elle.
Elle a pris une décision radicale, plus aucun lotissement ne pousse dans sa commune. Même si celle qui a pris ses fonctions en 2020 était déjà largement opposée à l’étalement urbain, la question de l’eau a fini de la convaincre. « Dans le dernier lotissement qui est sorti de terre, sur 92 parcelles, il y a pas loin de 70 piscines », illustre-t-elle.
Et la crainte autour de l’étalement urbain ne concerne pas que la consommation de l’eau potable. « On va finir par avoir de l’eau, c’est certain, mais comment ? On peut s’attendre à des épisodes violents, la terre est complètement asséchée, elle n’absorbera quasiment rien, alors si on bétonne encore plus ça pourrait devenir grave », craint l’élue. Elle insiste : « C’est contre-intuitif, mais une partie de la commune est en zone inondable. »
Posés devant toutes les entrées de la commune, des panneaux rappellent à tous l’urgence de la situation. « Chaque goutte compte, chaque geste aussi », est inscrit sur fond bleu. Les canaux qui traversent habituellement la ville de 2 800 habitants sont eux totalement à sec. « L’incendie à Cerbère, qui avait ravagé 900 hectares au mois d’avril, a frappé les esprits », analyse Nathalie Regond-Planas.
Mais ce qui la taraude en ce moment, comme beaucoup d’autres, c’est l’échéance estivale. « Je ne suis pas certaine que les efforts qui ont été consentis cet été par les habitants soient renouvelés », admet la maire. La crainte, c’est celui d’un ras-le-bol des restrictions imposées « alors que dans le même moment on construit des golfs », peste Jérôme Suszeck, le maraîcher. « On a interdit d’arroser les jardins et petits potagers, mais dans ce département, qui est le deuxième plus pauvre de métropole, on a beaucoup de personnes âgées avec de très petites retraites qui mangent grâce à leur petit potager. On est face à un vrai enjeu social », s’émeut Thierry Mandile, l’opposant au lotissement de 100 logements.
L’urgence est là. Et la réponse apportée ne convient pas à Nathalie Regond-Planas. La situation est telle que « maintenant, on puise dans des nappes plus profondes, qui se rechargent extrêmement lentement. Ces nappes pliocènes, on ne devrait pas y toucher ». L’air grave, l’élue reprend : « Ce que l’on puise désormais, c’est de l’eau qui était destinée aux générations futures. »
Manuel Magrez