Ils sont capitaux. Mais ce ne sont pas des péchés. Ils sont comptables. Mais ce ne sont pas des bilans. « Qui ça ? Qui ça ? » Pas les démons de minuit (les amateurs de soirées et d’Émile et Image comprendront) mais les JIFF, les Joueurs Issus des Filières de Formation. Depuis 2010, ils sont au centre des débats dans le rugby français imposés pour autant contrer l’arrivée massive de joueurs des quatre coins du monde qu’illustrer la formation française.
À l’USAP comme dans le reste du milieu professionnel de l’Hexagone, de leur intégration dans le club à leur présence sur la feuille de match, les JIFF font partie des préoccupations quotidiennes. Dans l’effectif global, 11 joueurs ne le sont pas.
Rappel des fondamentaux sur les JIFF et mise en situation chez les sang et or.
Pour être considéré comme un JIFF, le joueur doit remplir l’une des conditions suivantes : soit avoir validé trois années de formation dans un centre agréé entre ses 16 et 23 ans pour s’intégrer et faire des études en France, soit avoir été licencié 5 saisons à la Fédération française de rugby avant ses 23 ans.
La Ligue nationale de rugby a édicté un règlement obligeant les clubs de Top 14 et de Pro D2 à maintenir un taux de JIFF dans leurs effectifs pour voir fleurir de jeunes talents, leur donner du temps de jeu, les faire évoluer, les rendre éligibles à l’équipe de France. Et créer un filtre pour limiter voire diminuer l’arrivée des joueurs étrangers. Si ces derniers arrivent très tôt, à ce moment-là ils feront partie de la filière de formation française et, subtilité, ils seront considérés non pas comme Français mais comme JIFF.
Pour cette saison 2020-2021 en Pro D2, 14 joueurs non JIFF sont au maximum autorisés à évoluer en compétition. Par ailleurs, les clubs doivent respecter sur la saison la moyenne de 16 JIFF alignés par match. Pour l’instant et après 23 journées, selon le site de référencement rugbystique Allrugby.com, l’USAP aligne une moyenne de 16 JIFF pile poil par match : avec par exemple simplement 14 de comptabilisés lors des rencontres à Provence Rugby, contre Colomiers et à Montauban, mais 20 lors de la réception de Valence Romans.
En deux mots, le marché mondial. Un déséquilibre est né en raison de plusieurs facteurs : la montée en puissance du rugby professionnel, la concurrence entre les clubs, l’arrivée du business des agents et l’abondance de moyens ont séduit les joueurs étrangers, parfois de meilleur niveau, attirés par l’Europe et en recherche de meilleures fiches de paye. Mais les clubs tendent de plus en plus à se réguler et les instances du rugby ont créé des réglementations et suscité des incitations financières pour aller dans le sens de la formation française.
Au risque de ne pas appliquer le règlement, les clubs s’exposent à une sanction financière et une perte de points au classement. D’une part, la manne financière rétribuée par la LNR peut être diminuée parfois jusqu’à 200 000 euros. D’autre part, il y a la menace d’une perte de deux à dix points sur le classement de l’année qui suit.
Clairement, ils sont budgétaires. La formation a un coût mais dans le temps les joueurs issus de la formation jouent et décrochent progressivement des contrats. Avec la Réforme des indemnités de formation (RIF), les clubs formateurs reçoivent une indemnité échelonnée sur plusieurs années pour avoir contribué à l’évolution d’un joueur. Les avantages sont bien entendu aussi sportifs pour le club envers son centre de formation. S’il n’a pas un gros budget, il n’ira pas piocher ailleurs. Et d’un point de vue plus philosophique, les avantages sont identitaires et pour la défense de l’état d’esprit d’un club.
« Les JIFF ne sont pas qu’une répartition numérique »
En terres catalanes, le mot d’ordre pour gérer le quota de JIFF est la recherche d’équilibre. Le manager général de l’USAP, Christian Lanta, s’en explique :
« Il faut composer avec une partie du groupe constitué depuis 4 ou 5 ans, celui stabilisé depuis 2 ans et le reste de l’ossature. Il y a ainsi les joueurs qui ont de l’expérience et un vrai vécu du haut niveau, comme Jerónimo De la Fuente, Damien Chouly, Piula Fa’asalele et les jeunes joueurs qui viennent alimenter l’effectif. Pour assurer un équilibre entre tout le monde, ces derniers quand ils montent ont besoin d’être encadrés. Ils doivent côtoyer bien sûr des éducateurs, bien sûr des entraîneurs, mais aussi les joueurs de haut niveau en s’inspirant d’eux pour leur construction. Les JIFF ne sont pas qu’une répartition numérique. » Il souligne un paradoxe dans l’édification des feuilles de match où de l’anticipation est nécessaire en raison d’aléas du quotidien :
« Ces derniers temps, nous étions juste sur la moyenne. Mais sur les JIFF dits « club », nous sommes très très bien car l’essentiel d’entre eux sont des JIFF issus de notre formation comme Lucas Bachelier, Sadek Deghmache, Alban Roussel… En début de saison, nous obtenons le chiffre de 17 puis il y a eu quelques événements qui ont fait que des joueurs français se sont blessés, comme Terry Philippart qui a été contraint d’arrêter. Avec les absences d’Alan Brazo ou de Karl Chateau, on a par la suite fait jouer plus de non JIFF que ce qu’on le souhaitait. Puis il y a eu celles de Afusipa Taumoepeau, Jerónimo De la Fuente… Il y a donc eu une petite prise de risque : remonter le curseur avec 20 JIFF sur la feuille de match contre Valence Romans pour pouvoir se redonner de l’oxygène sur les matches très importants. Car au moment des phases finales, si nous estimons préférer ne faire jouer que 14 JIFF car à l’inverse 9 non JIFF s’imposent, nous voulons pouvoir le faire. Il est inconcevable de nous priver de notre meilleur effectif. »
Persuader les JIFF de ne pas partir trop tôt
Alors que la valse des recrutements se danse en plusieurs temps dans les clubs de Top 14 et de Pro D2, le manager général de l’USAP, Christian Lanta, au coeur du sujet, précise que
« lorsqu’on monte de division, on peut avoir deux non JIFF de plus tolérés que l’on peut établir sur deux ans. Après il faut revenir sur les chiffres de référence. » Mais au milieu de ces échanges de joueurs,
« ce qui est compliqué pour un club comme l’USAP qui est en Pro D2 mais aspire au Top 14, c’est qu’il fait face aux concurrents, aux gros clubs, qui font main basse sur tout ce qui est JIFF dans leur recrutement. Je pense à Enzo Forletta ou Quentin Walcker. Ici, notre formation est bonne ! On vient se servir chez nous mais pour un club qui veut monter on nous affaiblit. Regardez Grenoble et Agen qui font un travail de formation remarquable. En deux ans, le premier s’est fait piller 10 joueurs. Et le second en a perdu 7 à 8, tous des joueurs titulaires en Top 14. »
Aussi efficace soit-elle (le centre de formation de l’USAP est le deuxième au classement de Pro D2, NDLR), la formation pourrait ne pas s’avérer rentable. La hauteur des indemnités payées est loin de ce qu’ont coûté une formation et le remplacement de rugbymen. Selon Christian Lanta,
« pour accompagner des joueurs jusqu’à la Une, il faut entre 6 et 10 ans... et vous le perdez en une année ! Et chaque année, à tous les postes, il n’y a pas 2 ou 3 joueurs qui arrivent. Quand on sort par an 1 ou 2 joueurs susceptibles de commencer, on est déjà heureux. La formation c’est long. Et c’est un peu aléatoire parfois : il arrive que l’on n’arrive pas à avoir de 9, de 10, de pilier. »
Ajoutez à ça le côté affectif.
« C’est toujours décevant de perdre des joueurs, concède le Toulousain. Car on a à la fois une ambition de réussir, et une ambition de réussir avec ces joueurs. Il faudrait que l’on soit en Top 14 pour les garder, mais en même temps on a besoin d’eux pour y aller et s’y maintenir. C’est une équation à plusieurs inconnues. » Optimiste, il veut
« continuer à former, c’est notre vocation. Le sport c’est quoi ? C’est l’exploit, c’est relever les défis. Ça fait partie des défis que l’on essaie de relever au quotidien : persuader les gens de rester chez nous, de ne pas partir trop tôt. »
Dossier réalisé par Laura Causanillas