Florian Grill, président de la FFR. (A. Réau/L'Equipe)
Florian Grill, président de la FFR. (A. Réau/L'Equipe)
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Comment la FFR veut s'y prendre pour redresser des comptes dans le rouge vif
En proie à de graves difficultés financières, la Fédération française de rugby doit absolument faire des économies et trouver de nouvelles recettes pour équilibrer les comptes. Le président Florian Grill et son équipe pointent l'héritage de l'ancienne gouvernance.
Jean-François Paturaud
mis à jour le 31 janvier 2024 à 00h07
La vie à Marcoussis, c'est comme une boîte de chocolats cachée dans un placard poussiéreux. On ne sait jamais sur quoi on va tomber. La plupart du temps, les surprises sont difficiles à digérer pour la nouvelle gouvernance de la Fédération française de rugby. Du manque à gagner lié aux matches délocalisés en province durant le Tournoi des Six Nations 2024, sans compensation financière, alors que le Stade de France fait l'objet de travaux en prévision des Jeux Olympiques et Paralympiques, à l'augmentation exponentielle des charges, en passant par les pertes considérables du Groupement d'intérêt économique (GIE) de la Coupe du monde 2023 ou encore le retrait prochain de la GMF, tout y est passé ou presque.
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« Certains disaient que ça vole en escadrille », constate le président Florian Grill, élu le 14 juin dernier, selon une formule empruntée à Jacques Chirac. « L'héritage est lourd à porter », avoue l'actuel trésorier général de la FFR, Claude Helias.
Le budget de la saison 2022-2023 était pourtant excédentaire, comme nous le rappelait récemment un membre de l'opposition. Personne ne le conteste. Le résultat net positif s'élevait à 3,678 millions d'euros, contre 6,613 M€ pour l'exercice précédent. Pourquoi s'inquiéter alors ? D'abord parce que la réalité est autrement plus complexe. Nettement moins rose aussi. Creusé ces deux dernières années, le déficit d'exploitation avoisine dangereusement les 40 M€ (16 M€ pour 2022-2023, puis 24 M€ sur 2023-2024).
« La réalité finit toujours par rattraper la fiction »
Florian Grill, président de la FFR
Sans les rentrées exceptionnelles versées par le fonds d'investissement CVC (13 M€ encore cette année), et une subvention (de 5,5 M€) pour le projet Raoul-Montbrand, le centre d'innovation des rugbys, en construction à Pantin, la situation serait dramatique. « Si on était resté comme ça, en continuant à faire croire que l'exceptionnel couvrait l'exploitation et qu'il n'y avait pas de problème, on était en cessation de paiements dans deux ans, certifie Grill. C'est comme si vous me disiez : "j'ai fait une super année, mais en vendant ma maison". C'est bien, mais vous n'avez plus de maison. »
Avec l'arrivée, en 2021, de CVC dans le capital du Tournoi des Six Nations, puis la perspective de la Coupe du monde 2023 à domicile, la FFR devait passer dans une autre dimension. Celle de l'opulence. Force est de constater que le rêve s'est évanoui. « La réalité finit toujours par rattraper la fiction », insiste Grill. Certains n'ont pas oublié les mots de Claude Atcher dans le Figaro du 10 février 2017. Le patron du dossier de candidature misait sur « au minimum 200 millions de bénéfices » pour le Mondial.
Claude Atcher et Bernard Laporte, avec le trophée de la Coupe du monde de rugby. (R. Martin/L'Équipe)
Claude Atcher et Bernard Laporte, avec le trophée de la Coupe du monde de rugby. (R. Martin/L'Équipe)
Six ans plus tard, changement d'ambiance. Le GIP (groupement d'intérêt public) a certes gagné de l'argent, environ 47 M€, mais, parallèlement, les pertes du GIE (en charge entre autres des hospitalités), supportées à 55 % par la FFR, pourraient s'élever à 25 M€ en raison de la signature d'un contrat « risqué » et du dépôt de bilan de l'agence agréée Daimani. « On ne comprendrait pas que la Fédé soit in fine la seule perdante potentielle dans la Coupe du monde, martèle Grill. Nous sommes en discussion avec France 2023 et l'État, et j'espère que nous allons réussir à convaincre qu'il faut rééquilibrer la répartition. »
Arrivée de CVC dans le Tournoi, les délocalisations forcées, le match France-Australie...
Pour le Six Nations, la logique est différente. C'est l'accord avec CVC, tombé à point nommé durant la crise sanitaire, qui interroge. « À l'époque, Claude Atcher nous avait présenté une courbe où les arbres montaient jusqu'au ciel, dit Grill, alors membre du comité directeur. Il affirmait que les droits des Six Nations, marketing et télé, allaient augmenter dans des proportions complètement dingues. Le gâteau n'est pourtant pas en train de gonfler et le Tournoi est devenu une forme de Tournoi des Sept Nations, avec CVC qui en détient 14 %. » Si les versements de CVC s'arrêteront dans deux ans, beaucoup espèrent qu'ils seront au moins compensés par la Nations Cup, lancée en 2026 et qui réunira les meilleures sélections des deux hémisphères.
Jouer ses matches à domicile du Tournoi 2024 dans des enceintes aux capacités d'accueil plus réduites que le Stade de France (Marseille, Lille et Lyon) fait logiquement perdre de l'argent à la Fédération. Mais, là aussi, l'ancienne équipe dirigeante est pointée du doigt. « Dans la convention qui a été signée, la FFR a renoncé auprès du consortium à toute indemnisation, rappelle Claude Helias. Avec les travaux des Jeux Olympiques, on nous a dit d'aller jouer en province. Ça représente entre 1,5 et 2 M€ de manque à gagner par match. On nous renvoie vers des contrats qui ont été signés auparavant. »
Grégory Alldritt transperce la défaite australienne, lors de la victoire des Bleus sur les Wallabies en match de préparation à la Coupe du monde 2023, le 27 août (47-17). (A. Mounic/L'Équipe)
Grégory Alldritt transperce la défaite australienne, lors de la victoire des Bleus sur les Wallabies en match de préparation à la Coupe du monde 2023, le 27 août (47-17). (A. Mounic/L'Équipe)
Ou parfois simplement à des paroles données, sans aucun écrit, comme lorsque, selon les dirigeants australiens, l'ancien président Bernard Laporte leur avait promis 1 million d'euros pour le match de préparation au Mondial entre les Bleus et les Wallabies le 27 août (47-17). « Hallucinant » et « aberrant » selon les membres actuels de la Fédération, qui ont inscrit la somme de 195 000 € dans le résultat comptable 2023-2024 pour un « arrangement convenable » avec la Fédération aussie. Parfois, ce sont des investissements immobiliers aussi massifs qu'étonnants qui plombent les comptes. « Le complexe Raoul-Montbrand en fait partie, bien sûr, reconnaît le trésorier général. Ils ont éliminé le grand stade et ils ont fait le petit stade, qui sera un centre de coût et non de profit, avec un investissement de 33 M€. »
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Claude Helias, trésorier général de la FFR
Claude Helias est catégorique : « La Fédération a vécu bien au-delà de ses moyens. » Les sept déficits d'exploitation consécutifs le confirment. Et certaines pratiques du passé étonnent. « Avant, le président de la FFR avait le droit à 25 invitations par match du quinze de France à domicile, note Grill. Désormais, c'est quatre pour tous les membres du bureau fédéral, dont le président, et deux pour ceux du comité directeur. » Contacté lundi à ce sujet, Bernard Laporte n'a pas souhaité réagir. Toujours selon la gouvernance actuelle, Serge Simon, ancien vice-président, recevait 22 places gratuites. Pour Christian Dullin et Alexandre Martinez, respectivement ex-secrétaire général et trésorier, c'était douze chacun. Des avantages qui n'expliquent pas à eux seuls le déficit de la Fédération.
Serge Simon et Bernard Laporte dans les tribunes du Stade de France, lors du France-Ecosse du Tournoi des Six Nations 2019 (27-10). (A. Mounic/L'Équipe)
Serge Simon et Bernard Laporte dans les tribunes du Stade de France, lors du France-Ecosse du Tournoi des Six Nations 2019 (27-10). (A. Mounic/L'Équipe)
Le plan global d'économies est estimé à 10 M€ annuels sur deux ou trois saisons. « Avant, il y avait 450 personnes dans les commissions et les groupes de travail, maintenant il n'y a plus que 100 chargés de mission bénévoles pour générer moins de frais », rappelle le patron de la Fédé. Helias, qui avait opéré la même « chasse au gaspi » au Stade Toulousain en tant que président du conseil de surveillance, de 1995 à 2011, veille au grain. « Pour les équipes de France, on veut réduire les catégories d'hôtel et privilégier les rassemblements à Marcoussis », explique-t-il.
Dans les bureaux, certains salariés sont-ils en danger ? Vont-ils aussi faire les frais de ce plan d'économie ? Réponse très ferme du président : « Ce n'est pas du tout à l'ordre du jour. » « On ne touche pas au nombre de salariés, mais il faut leur dire la vérité », affirme Helias. Une réorganisation n'est en revanche pas exclue, avec déjà l'arrivée au 1er avril d'un nouveau directeur général, Jérémie Lecha, et la promotion de Florent Lajat comme directeur général adjoint.
L'avenir du Stade de France crucial pour la FFR
« Il a voulu la bicyclette, il n'a qu'à pédaler maintenant. » Voilà ce que nous disait récemment l'ancien talonneur Guilhem Guirado, membre de l'opposition, au sujet de Grill. Sa réponse : « Bien sûr que nous avons la responsabilité de relancer la FFR. » Beaucoup de ses proches ne s'attendaient cependant pas à une telle réalité, devenue plus concrète pour le rugby amateur après la révision du budget 2023-2024. Présenté par l'ancienne gouvernance l'été dernier à Lille, il affichait un très léger excédent de 370 000 €.
Après toutes les déconvenues des derniers mois, il a été très largement revu à la baisse le 16 décembre, avec un déficit de 10,1 M€ (152 millions de charges et 142 millions de produits). « La trésorerie n'est pas abondante, précisait par ailleurs le procès-verbal de l'assemblée générale. En effet, 40 millions d'euros correspondent au fonds d'assurance pour les grands blessés. » Le temps presse et, pour combler un déficit structurel d'environ 15 millions, la Fédé doit rapidement trouver des nouvelles recettes nettes, à hauteur de 5 millions annuels, là aussi étalées sur deux ou trois saisons, via le mécénat dans le cadre de la « Fédération à missions » et des partenariats (TotalÉnergies est évoqué). Notamment pour combler le retrait à venir de la GMF, partenaire historique de la FFR.
Enfin, l'avenir du Stade de France, en quête d'un nouveau concessionnaire, sera un enjeu essentiel pour la FFR à moyen et long terme. Avec, là aussi, une certaine inquiétude, surtout en cas d'augmentation des loyers. « L'autre raison stratégique qui nécessite un rétablissement rapide des comptes est la nécessité de ne pas rater l'opportunité historique d'avoir un pied dans l'un des trois scénarios de reprise de la concession du Stade de France, prévient Grill. C'est stratégique pour le rugby français, car nous sommes la seule grande nation à ne pas avoir la main, même partielle, sur notre outil de production qu'est le stade. Aujourd'hui, investir est illusoire. Si nous redressions vite les comptes, nous aurions un levier pour le faire. » Mais quand ?