Indep du 12/01/2013
Rugby à XV Guernica : tout un tableau
Le 12 janvier à 6h00 par Laurent Zègre (Sud Ouest) | Mis à jour il y a 2 minutes
Seule touche de modernité dans cette salle de musculation arrachée au passé, le téléviseur, branché sur 40 Latino TV, diffuse des clips kitschissimes. Les yeux rivés sur l'écran plat, écouteurs aux oreilles, une jeune Espagnole affine sa silhouette sur le tapis roulant. À ses côtés, coincé entre trois pots de fleurs, un mur jauni par le temps et un système d'évacuation en ferraille, un vétéran amputé d'un bras ne tente même pas de suivre la cadence. Serviette autour du cou, le vieil homme souffre. Souffle. Son visage contraste avec le sourire d'une dizaine de rugbymen qui squattent un coin de la salle. Licenciés au Bizkaia Gernika, actuel leader de la Division de Honor, le championnat d'Espagne, ils partagent les installations avec le tout-venant. Atypique pour un club qui participe cette saison au Challenge Européen. Pas tant que ça au regard du statut amateur d'un club au budget inférieur à 400 000 euros. Troisièmes du dernier opus national, les Basques, aux trois entraînements hebdomadaires, hors musculation du matin, ont été invités par l'ERC à participer à la petite Coupe d'Europe. Cet après-midi (16 h), dans leur champêtre stade Urbieta, ils accueillent Perpignan avec autant d'espoirs de succès qu'un adolescent acnéique devant la porte d'une boîte de nuit parisienne.
L'auberge espagnole
Qu'importe. "On vit un rêve, souligne Frédéric Montagut, seul Français de l'effectif. On dispute la Coupe d'Europe et on fait avancer le rugby ici. Pour la première fois, un club espagnol a remporté deux matches de Challenge (lire ci-contre). C'est historique." Originaire de l'Hérault, l'arrière de 25 ans traîne son accent chantant en Biscaye depuis une saison et demi. Des parents espagnols, un stage avec l'équipe nationale, les conseils d'un ami et une agence spécialisée dans le rugby ibérique. Voilà comment un joueur, barré à Béziers, se retrouve à vivre "l'expérience la plus enrichissante" de sa vie, dans une équipe dont le niveau avoisine "le milieu de tableau de la Fédérale 1". Entre un Irlandais, un Sud-Africain, deux Samoans et une colonie argentine, Frédéric Montagut est loin d'être le seul étranger de l'effectif. Logés et suffisamment défrayés (1 300 euros maximum) pour assurer leur train de vie, ils ne sont pas professionnels mais "se consacrent au rugby à 100 %", dixit Jorge Gimenez, leur entraîneur argentin. "On file simplement un coup de main quand le club nous demande d'intervenir dans les écoles", précise le Français qui partage une véritable auberge espagnole avec quatre Argentins, un Basque, un Sud-Africain et un Irlandais. Les locaux ne sont pas logés à la même enseigne, à l'instar du "papa" du groupe, Iñigo Urrutia, 34 ans. Guernicar pure souche, ce grand brun aux allures de rocker basque a intégré le club voilà dix ans. "Je touche 350 euros par mois, et encore, parce que je me suis battu !" Le reste de son temps, il trimbale en trois-huit ses deux imposantes boucles d'oreilles dans une usine de la banlieue de Guernica. Un décalage qui n'altère pas la motivation du joueur. "Je n'arrêterais pour rien au monde ! Vous connaissez beaucoup de joueurs amateurs qui peuvent se mesurer à des stars du rugby ?"
Un tremplin pour la suite
Dans une Espagne fouettée par la crise, l'avenir du Bizkaia Gernika s'inscrit pourtant en pointillés. "Pour la plupart des clubs, c'est très difficile d'exister, déplore Jorge Gimenez, du haut de ses béquilles. Les subventions dédiées aux associations sportives sont les premières à être amputées, voire supprimées. Cette année, la Diputación de Bizkaia (équivalent de notre Conseil général, NDLR) a retiré les 100 000 euros attribués au club. Du coup, la situation est plus que jamais précaire. Et pendant ce temps, nous creusons notre dette." Seul moyen de ramer dans cet océan tumultueux, miser sur une image décalée. "Guernica est un tremplin pour des jeunes qui veulent jouer au meilleur niveau. Nous misons tout là-dessus. C'est la seule façon de maintenir la tête hors de l'eau." Arrivé en septembre, le Samoan Afaesetiti Amosa, 22 ans, ne s'en cache pas. "Si je suis venu ici, c'est en grande partie pour jouer en Coupe d'Europe et me faire repérer par d'autres clubs", confie le joueur, qui ne passe pas inaperçu : "C'est la première fois qu'ils voient un Samoan à Guernica." Une ville de 16 000 âmes, autant dénuée de charme que chargée d'histoire. "En arrivant, je savais simplement qu'il y avait eu un bombardement, avoue Frédéric Montagut. J'ai voulu en savoir plus auprès des gens d'ici." Désormais, le 26 avril 1937, la guerre d'Espagne, Pablo Picasso et l'arbre de Gernika ont moins de secrets pour lui. Ce qui n'est pas encore le cas de son colocataire d'équipier, l'ouvreur irlandais Declan Cusack, formé au Munster. "A quoi me faisait penser Guernica avant de venir ? Je ne sais pas… Je crois que c'est le nom d'un pub de chez moi."
Rugby à XV Guernica : tout un tableau
Le 12 janvier à 6h00 par Laurent Zègre (Sud Ouest) | Mis à jour il y a 2 minutes
Seule touche de modernité dans cette salle de musculation arrachée au passé, le téléviseur, branché sur 40 Latino TV, diffuse des clips kitschissimes. Les yeux rivés sur l'écran plat, écouteurs aux oreilles, une jeune Espagnole affine sa silhouette sur le tapis roulant. À ses côtés, coincé entre trois pots de fleurs, un mur jauni par le temps et un système d'évacuation en ferraille, un vétéran amputé d'un bras ne tente même pas de suivre la cadence. Serviette autour du cou, le vieil homme souffre. Souffle. Son visage contraste avec le sourire d'une dizaine de rugbymen qui squattent un coin de la salle. Licenciés au Bizkaia Gernika, actuel leader de la Division de Honor, le championnat d'Espagne, ils partagent les installations avec le tout-venant. Atypique pour un club qui participe cette saison au Challenge Européen. Pas tant que ça au regard du statut amateur d'un club au budget inférieur à 400 000 euros. Troisièmes du dernier opus national, les Basques, aux trois entraînements hebdomadaires, hors musculation du matin, ont été invités par l'ERC à participer à la petite Coupe d'Europe. Cet après-midi (16 h), dans leur champêtre stade Urbieta, ils accueillent Perpignan avec autant d'espoirs de succès qu'un adolescent acnéique devant la porte d'une boîte de nuit parisienne.
L'auberge espagnole
Qu'importe. "On vit un rêve, souligne Frédéric Montagut, seul Français de l'effectif. On dispute la Coupe d'Europe et on fait avancer le rugby ici. Pour la première fois, un club espagnol a remporté deux matches de Challenge (lire ci-contre). C'est historique." Originaire de l'Hérault, l'arrière de 25 ans traîne son accent chantant en Biscaye depuis une saison et demi. Des parents espagnols, un stage avec l'équipe nationale, les conseils d'un ami et une agence spécialisée dans le rugby ibérique. Voilà comment un joueur, barré à Béziers, se retrouve à vivre "l'expérience la plus enrichissante" de sa vie, dans une équipe dont le niveau avoisine "le milieu de tableau de la Fédérale 1". Entre un Irlandais, un Sud-Africain, deux Samoans et une colonie argentine, Frédéric Montagut est loin d'être le seul étranger de l'effectif. Logés et suffisamment défrayés (1 300 euros maximum) pour assurer leur train de vie, ils ne sont pas professionnels mais "se consacrent au rugby à 100 %", dixit Jorge Gimenez, leur entraîneur argentin. "On file simplement un coup de main quand le club nous demande d'intervenir dans les écoles", précise le Français qui partage une véritable auberge espagnole avec quatre Argentins, un Basque, un Sud-Africain et un Irlandais. Les locaux ne sont pas logés à la même enseigne, à l'instar du "papa" du groupe, Iñigo Urrutia, 34 ans. Guernicar pure souche, ce grand brun aux allures de rocker basque a intégré le club voilà dix ans. "Je touche 350 euros par mois, et encore, parce que je me suis battu !" Le reste de son temps, il trimbale en trois-huit ses deux imposantes boucles d'oreilles dans une usine de la banlieue de Guernica. Un décalage qui n'altère pas la motivation du joueur. "Je n'arrêterais pour rien au monde ! Vous connaissez beaucoup de joueurs amateurs qui peuvent se mesurer à des stars du rugby ?"
Un tremplin pour la suite
Dans une Espagne fouettée par la crise, l'avenir du Bizkaia Gernika s'inscrit pourtant en pointillés. "Pour la plupart des clubs, c'est très difficile d'exister, déplore Jorge Gimenez, du haut de ses béquilles. Les subventions dédiées aux associations sportives sont les premières à être amputées, voire supprimées. Cette année, la Diputación de Bizkaia (équivalent de notre Conseil général, NDLR) a retiré les 100 000 euros attribués au club. Du coup, la situation est plus que jamais précaire. Et pendant ce temps, nous creusons notre dette." Seul moyen de ramer dans cet océan tumultueux, miser sur une image décalée. "Guernica est un tremplin pour des jeunes qui veulent jouer au meilleur niveau. Nous misons tout là-dessus. C'est la seule façon de maintenir la tête hors de l'eau." Arrivé en septembre, le Samoan Afaesetiti Amosa, 22 ans, ne s'en cache pas. "Si je suis venu ici, c'est en grande partie pour jouer en Coupe d'Europe et me faire repérer par d'autres clubs", confie le joueur, qui ne passe pas inaperçu : "C'est la première fois qu'ils voient un Samoan à Guernica." Une ville de 16 000 âmes, autant dénuée de charme que chargée d'histoire. "En arrivant, je savais simplement qu'il y avait eu un bombardement, avoue Frédéric Montagut. J'ai voulu en savoir plus auprès des gens d'ici." Désormais, le 26 avril 1937, la guerre d'Espagne, Pablo Picasso et l'arbre de Gernika ont moins de secrets pour lui. Ce qui n'est pas encore le cas de son colocataire d'équipier, l'ouvreur irlandais Declan Cusack, formé au Munster. "A quoi me faisait penser Guernica avant de venir ? Je ne sais pas… Je crois que c'est le nom d'un pub de chez moi."
