Article de 2016 concernant Emori Bolo-Bolo :
Si l’exactitude est la politesse des rois, le retard doit être le privilège des princes. L’histoire d’Emori Bolo Bolo au Stade Français, époque Max Guazzini-Bernard Laporte, n’a donc pas commencé à l’heure dite. « On est en juillet 1997 et on attend Bolo Bolo, se rappelle Thomas Lombard, qui vient de signer à Paris. Plus précisément, on attend un fax nous confirmant sa venue. Et ce fax ne vient pas. » La saison va bientôt commencer et le manager Bernard Laporte s’impatiente. « C’est Denis Charvet qui était chargé de suivre le dossier. C’est lui qui l’avait repéré dans un tournoi à 7. » Finalement, Bolo Bolo se pointera avec un mois de retard. En attendant l’apparition, Laporte assure la promo. « Chaque fois qu’un nouveau arrivait, Bernard nous le vendait comme un surhomme, rigole Lombard. Quand on a vu Emori la première fois dans le vestiaire, on attendait qu’il tombe le T-shirt. Pour voir, quoi. Et quand il l’a enlevé, on s’est tous dit : mais c’est quoi cet engin ? C’était le début de la muscu dans le rugby et, le pire, c’est qu’il était le plus mauvais de tous (rires). Il portait tout juste la moitié des charges qu’on levait. La vie est vachement injuste (rires). »
Bolo Bolo, c’est un son. Un nom qui, aujourd’hui encore, fait voyager les fanas de rugby de plus de trente ans. Lui, surpuissant (1,90 m, 108 kg), rapide, des appuis de zinzin. Nous, babas. Il faut bien comprendre qu’on n’avait jamais vu ça en France.
En débarquant à Paris, Bolo Bolo devient le premier Fidjien de premier plan à s’expatrier dans notre Championnat. Mais il n’est pas venu seul. « Comme c’était un prince (la légende raconte que son arrière-grand-père, chef cannibale, aurait mangé 800 personnes), il est arrivé avec son boy. Un certain Joe. Qui lui portait son sac avant et après l’entraînement, qui laçait ses chaussures. » Quand Emori regardait la télé, Joe, assis dos à l’écran, regardait Emori. Pour faciliter l’acclimatation, le Stade Français a fait les choses bien. Emori habite place d’Italie, dans le XIIIe arrondissement, au septième étage. Au huitième, réside Bernard Laporte. « Emori, c’était mon troisième enfant, explique l’ancien sélectionneur. Il n’avait qu’un étage à monter pour partager le repas ou regarder la télé. Comme il avait joué auparavant en Australie, Emori avait plus ou moins l’habitude de la vie en ville. Mais pour son camarade (Joe), c’était plus compliqué. » Malgré son passage au club de Manly (Sydney), le prince Bolo Bolo n’a pas toujours les réactions adéquates. « Une fois, se remémore Laporte, jenesaispasce qu’il avait machiné avec son grille-pain mais il a pris peur avec la fumée et a balancé tout le machin par la fenêtre. Du septième étage ! Je lui disais : “Mais Emori, t’es fou, t’aurais pu tuer quelqu’un !” Il n’avait pas vu le danger. Un matin, on devait aller jouer à Bourgoin. Je sonne chez lui. Il m’ouvre. Je vois apparaître un mec frigorifié. Les lèvres violettes. Il faisait un froid de gueux à Paris et il n’avait pas allumé le chauffage. Pour un Fidjien, le chauffage… »
« Par moments, il était complètement désorienté, confirme Lombard. On avait tous une Clio du club à l’époque. La sienne, il l’a gardée dix minutes. Il avait laissé les clés sur le contact, vitres ouvertes. » Sa remplaçante n’a pas eu beaucoup plus de chance, le prince ayant du mal avec l’étroitesse des parkings souterrains parisiens. Sur le terrain, l’ailier fidjien a aussi froissé pas mal de tôle, cabossé quelques défenseurs. « Même à l’entraînement, on voyait bien qu’il était au-dessus physiquement, avoue Lombard. Il y allait doucement. En match, il était vraiment imprévisible. Il pouvait traverser le terrain tout seul comme oublier de venir à l’endroit voulu alors qu’on avait annoncé une combinaison pour lui. » En mai 1998, Bolo Bolo ira de son essai en finale contre l’USAP, laminée 34-7. Serait-il aussi dominant dans le rugby actuel ? Laporte n’utilise même pas les trois secondes de réflexion règlementaires : « Bien sûr, il serait tout aussi fort. Ça ne dépendrait que de lui. Quand il voulait, il était monstrueux. » Un an après le titre, Bolo Bolo a signé à Biarritz, où le président de l’époque, Marcel Martin, l’attend encore. Enfin, on espère que non. Aujourd’hui, le prince est devenu chef de son village de Rakiraki. On dit là-bas qu’il a toujours sa Cadillac de jeune prince. Mais comme il manque des pièces qui sont introuvables sur l’île, elle rouille dans le jardin.