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Le Covid-19 est-il devenu plus bénin ? L’augmentation en France du nombre de cas, pour l’instant décorrélée du nombre d’entrées à l’hôpital et en réanimation, conduit certains observateurs à s’interroger sur une évolution de sa virulence. La détection en Malaisie d’un « nouveau » variant du coronavirus mi-août a relancé l’hypothèse d’une mutation expliquant ces éventuelles évolutions. Mais cette hypothèse, qui avait déjà surgi au printemps, ne tient guère.
Le nouveau venu ne l’était en effet que dans ce pays : ce variant contenant une mutation affectant l’une des protéines-clés du virus, la spicule, est en réalité la forme qui est dominante depuis longtemps dans l’épidémie. Ce
variant dit D614G, ou clade G, était même présent dans environ 80 % des séquences connues du virus fin mai, alors qu’il n’était présent que dans 10 % des échantillons en mars, selon une étude parue dans
Cell le 2 juillet. Il est aussi majoritaire en France depuis le mois de mars. Difficile donc d’imputer à cette seule mutation une évolution favorable de la pandémie.
Des explications non génétiques
En outre, si l’étude de
Cell a trouvé des charges virales plus importantes dans les échantillons de 999 patients infectés par cette souche, elle n’a pas mis en évidence de différence quant à la sévérité de la maladie pour ces personnes. Cette équipe et d’autres ont aussi montré une augmentation faible de la transmissibilité de l’infection, mais cela n’a pas été confirmé, par exemple par l’équipe de François Balloux à l’University College de Londres, qui en août, dans un
preprint déposé sur la plate-forme bioRxiv, concluait après analyse de 46 700 séquences à la non-augmentation de la transmissibilité quels que soient les variants.
En fait, pour l’instant, sur le plan de la génétique, l’épidémie est des plus calmes.
« Le consortium Gisaid, qui centralise plus de 80 000 séquences rappelle qu’aucune mutation repérée n’est « connue pour sa gravité » », indique Olivier Gascuel, bio-informaticien du CNRS à l’Institut Pasteur à Paris. Autrement dit, toutes les mutations sont neutres, ne conférant a priori aucun avantage adaptatif. Le spécialiste souligne aussi que ce virus mute peu :
« Après six mois d’évolution, les séquences actuelles sont séparées de 25 mutations au plus des séquences initiales de fin 2019. »
Une chose rassurante semble acquise. La position de cette mutation D614G dans le génome, bien que concernant la spicule,
« n’est pas dans la zone d’interface entre le virus et son hôte, ciblée par la plupart des vaccins et des thérapies. Les tests réalisés sur les deux souches n’ont pas montré de différence », indique Etienne Simon-Lorière, de l’Institut Pasteur.
Décalage dans le temps
Pour expliquer la situation actuelle, des explications non génétiques peuvent être invoquées. L’infectiologue Yazdan Yazdanpanah (hôpital Bichat), membre du conseil scientifique Covid-19, souligne que la démographie de l’épidémie a évolué :
« La maladie touche désormais plus qu’au départ une frange de la population plus jeune, moins à risque de complications. » L’évolution des comportements peut expliquer cette évolution. A l’inverse, les personnes identifiées comme à risque prennent sans doute plus de précautions pour se protéger.
« Par ailleurs, on a une meilleure prise en charge des patients hospitalisés, ajoute Yazdan Yazdanpanah.
L’utilisation des anticoagulants et des corticoïdes a eu un impact majeur, tout comme la façon dont on recourt à la ventilation. La proportion de patients en réanimation est passée de 30 % à 10 à 15 %. »
« On peut aussi faire l’hypothèse que les précautions prises (distance, masques…) diminuent la charge virale reçue, ce qui pourrait atténuer la maladie », estime François Balloux. Il importe aussi de prendre en compte, quand on considère les chiffres de l’épidémie, le décalage dans le temps entre la détection de cas positifs et l’admission d’une partie d’entre eux à l’hôpital et/ou en réanimation, et le décès d’une minorité de ces patients. Face à ce virus sur lequel les connaissances évoluent en permanence,
« il faut rester humble. Mais rien ne permet de dire qu’il aurait aujourd’hui une moindre virulence », conclut Yazdan Yazdanpanah.
David Larousserie