Article du figaro qui offre une bonne synthèse de la situation.
Covid-19: le paradoxe d’une épidémie qui progresse sans empirer
DÉCRYPTAGE - À y regarder de plus près, l’apparente tranquillité de l’épidémie cet été n’est désormais plus d’actualité.
Par
Cécile Thibert
Une «psychose», une «dictature sanitaire» à la recherche du «risque zéro»… Sur les réseaux sociaux comme ailleurs, beaucoup ne cachent pas leur agacement vis-à-vis de la gestion de l’épidémie de Covid-19, qui fait toujours l’objet de toutes les attentions. «Franchement, 31 admissions en réa, 30 sorties… 65 morts en 7 jours, tous de plus de 70 ans et déjà atteints de pathologies graves. Foutez la paix aux enfants», réagissait récemment un lecteur du Figaro à un article questionnant l’intérêt du port du masque à l’école primaire. Un discours à contre-courant de celui des autorités sanitaires qui, depuis quelques semaines, affûtent leurs mises en garde. Dans un entretien à Paris Match, le chef de l’État, Emmanuel Macron, a d’ailleurs évoqué l’éventualité de reconfinements ciblés.
Trois mois après le déconfinement, l’épidémie semble pourtant sous contrôle. Du moins, à première vue. Certes, les cas positifs augmentent chaque jour, mais le nombre de nouvelles hospitalisations, admissions en réanimation et décès - dont on nous dit depuis le début qu’il s’agit là des seuls indicateurs valables - restent étrangement bas. Une dizaine de morts entre le 17 et le 18 août, et 31 admissions en réanimation, selon les derniers communiqués de la Direction générale de la santé. Un paradoxe qui donne à croire que le virus aurait perdu en dangerosité.
Mais de l’avis des épidémiologistes interrogés par Le Figaro, cette intuition est erronée. «
La situation est faussement rassurante, juge Mircea Sofonea, maître de conférences en épidémiologie des maladies infectieuses à l’université de Montpellier.
Les analyses ne font pas état d’un changement important dans la virulence ou la contagiosité du virus, il n’a pas changé.»
À y regarder de plus près, l’apparente tranquillité de l’épidémie cet été n’est désormais plus d’actualité. «Nous continuons d’observer une forte progression de la circulation du virus ces dernières semaines», indique le Dr Daniel Lévy-Bruhl, épidémiologiste, responsable de l’unité infections respiratoires et vaccination à Santé publique France. Une situation que le scientifique juge «fort préoccupante» et qui ne peut être imputée à la généralisation du dépistage. «Entre mi-juillet et mi-août, le nombre de tests positifs a augmenté de 40% chaque semaine. Et, quand on prend en compte la hausse du nombre total de tests réalisés, cela fait tout de même une augmentation de 30%», poursuit Simon Cauchemez, responsable du laboratoire de modélisation mathématique des maladies infectieuses à l’Institut Pasteur.
Actuellement, 3,5% des personnes qui réalisent un test se révèlent être positives au virus, soit entre 3000 et 4000 chaque jour. C’est près de trois fois plus qu’au début de l’été. «C’est forcément une sous-estimation du nombre réel d’infections», note le Pr Arnaud Fontanet, responsable de l’unité d’épidémiologie des maladies émergentes à l’Institut Pasteur. Il considère que le nombre réel de nouveaux cas quotidien serait plutôt compris entre 5000 et 10.000. Actuellement, on estime qu’une personne infectée contamine à son tour 1,2 à 1,3 personne en moyenne. «
L’épidémie suit une courbe exponentielle qui évolue beaucoup plus lentement qu’en mars et avril dernier», indique Simon Cauchemez.
Depuis le début du mois d’août, l’intensification de la circulation du virus commence discrètement à se manifester dans les indicateurs hospitaliers. «Le nombre d’hospitalisations et d’admissions en
réanimation croît doucement, mais il croît», constate le Pr Fontanet. Si, en valeur absolue, l’augmentation semble dérisoire,
les pourcentages sont un peu plus parlants. «Le nombre ’hospitalisations augmente chaque semaine de 15 à 20%, renseigne Simon Cauchemez. C’est moins que la hausse de tests positifs, mais l’écart est moins important qu’en apparence.»
Les scientifiques voient au moins deux explications à cette lente reprise épidémique. D’une part, le virus se propage actuellement surtout chez les jeunes, qui sont à faible risque de souffrir d’une forme grave de Covid-19. «
Pendant l’été, il y a eu une forme de relâchement chez les jeunes, tandis que les personnes les plus à risque ont davantage adhéré aux mesures de prévention», avance Mircea Sofonea. Un phénomène qui ne présente pas de gravité au niveau individuel, mais qui fait craindre une diffusion plus large du virus.
«Les jeunes qui s’infectent en ce moment sont les possibles futurs contaminateurs du reste de la population», souligne Daniel Lévy-Bruhl.
Deuxième explication: quand elles sont appliquées,
les mesures barrières ralentissent bien la diffusion du virus, et le dépistage de masse permet de casser une partie des chaînes de transmission. «
C’est une énorme différence avec la situation que nous avons connue avant le confinement, explique le Dr Lévy-Bruhl. Même si on pointe une insuffisance dans la mise en œuvre des mesures barrières, même si tout le monde ne se fait pas tester immédiatement après l’apparition des symptômes, il est clair qu’il y a énormément d’efforts consentis au quotidien par une large majorité de la population.»
Reste à savoir ce qu’il en sera avec la rentrée scolaire, le retour des vacances et l’approche de l’hiver - qui, on le sait, favorise la diffusion des virus respiratoires.
«Si les hospitalisations continuent à croître de façon faible, les services hospitaliers devraient être en mesure de gérer, estime Simon Cauchemez. En revanche, si l’épidémie s’accélère, la situation risque de devenir plus di cile.» D’après les modélisations de Mircea Sofonea et son équipe, 5000 lits de réanimation pourraient être occupés fin octobre si le rythme actuel se poursuivait. Une échéance qui ne fait pas l’unanimité parmi les épidémiologistes.
«C’est une extrapolation réalisée à des fins d’anticipation, pas une prédiction. Si l’un des paramètres change, cela modifie les calculs:
typiquement, un renforcement des gestes barrières permet de repousser significativement l’horizon d’une saturation», précise Mircea Sofonea.
Sur le terrain, certains médecins sont plus optimistes. «
Souvenez-vous des images de la Fête de la musique, ces marées humaines à Paris : nous n’avons absolument pas observé de rebond, rappelle le Pr Frédéric Adnet, chef des urgences de l’hôpital Avicenne (Seine-Saint- Denis). Je ne suis pas inquiet, mais je reste vigilant. Et je pense vraiment que nous n’atteindrons pas la même amplitude que la première vague, nous sommes mieux préparés.»
Alors, en fait-on trop? «
C’est tout le problème de la prévention : quand on la fait bien, il ne se passe rien et on nous reproche d’en avoir trop fait, et quand on ne la fait pas, l’état sanitaire de la population se dégrade et on nous le reproche. La santé publique est un métier très ingrat», sourit Arnaud Fontanet. Pour Simon Cauchemez, il est clair que «
les mêmes causes auront les mêmes effets. Si on relâche toutes les mesures, on peut s’attendre à une situation explosive. Il y a une ligne de crête à trouver entre laisser filer l’épidémie et être trop excessif dans la réponse.»