Avant la nouvelle déculottée, lu dans NiceRugby, tout est dit ...
14 juin 2017
Tournée chez les Boks : piège presque parfait
Michel Desfontaines
Springboks d’Afrique du Sud 37 – Quinze de France 14. Même en langue de bois fédérale, ça s’appelle une déculottée.
Faut-il s’étonner que les Tricolores se répandent en vrac sur la pelouse du Loftus Versfeld de Pretoria début juin pour le premier match d’une série de trois en Afrique du Sud ?
Les chaudières du TOP 14 le plus énergivore de ces dernières années ont été poussées à fond dans une fin de course au Bouclier de Brennus éreintante. Elles ont à peine eu le temps de commencer à refroidir qu’il faut relancer la machine France. Une bonne petite dizaine d’éclopés à tous les postes sont hors-jeu à l’infirmerie. Ajoutons une pincée d’organismes fatigués, saturés, à ménager provisoirement. Et lions le tout avec une escouade de démobilisés qui, eux au contraire, ne jouent plus du tout depuis plusieurs semaines : Toulouse (Maestri, Camara, Fickou, Doussain, Huget…), Northampton (Picamoles). Le staff des Bleus hérite là un Rubik’s cube d’enfer.
Rugbyrama relève d’ailleurs qu’en 46 matches de tournées d’été depuis 1995, soit les débuts du TOP 14, les Bleus en ont perdus 30.
Comment la Fédé peut-elle se laisser encore piéger aussi grossièrement par un calendrier de fin de saison aussi aventureux et désinvolte pour la santé de son vivier et pour la performance de ses sélections ? Comment la Ligue, qui tient les clubs dans sa main si généreuse en hauts salaires pour les joueurs venus d’ailleurs, peut-elle continuer à épuiser imperturbablement le capital joueurs du quinze tricolore avec son championnat duraille à 26 matches + 3 de phases finales ? Sans compter les coupes d’Europe…
Il ne faut pas chercher trop loin le tout premier forgeron de la débandade de Prétoria : c’est l’écosystème ovale français professionnel. Ce système est toujours partant pour faire la hola quand les droits télé de Canal + se mettent à grimper au ciel. Beaucoup plus introverti dès qu’il s’agit de s’attaquer à la question centrale : le calendrier et la charge de travail démentiels imposés aux internationaux français.
La déconfiture de Prétoria est choquante. Pas parce que les joueurs ont failli individuellement pour beaucoup d’entre eux (Picamoles entre autres) et collectivement (une défense transparente), ce qui est purement conjoncturel. Mais parce que cette énième gifle est le fruit d’une forme d’aveuglement –ou d’impuissance réformatrice– persistant(e) de l’ecosystème ovale à la française. Ce qui relève du structurel.
Les Bleus un tantinet ramollis ont surtout été désarçonnés par des Springboks en rupture idéologique. Les Boks de Whiteley, le n°8 de Johannesbourg et capitaine, ne pratiquent plus la religion de la force pure. Ils combattent dur mais déplacent surtout beaucoup le jeu à un rythme très soutenu, longtemps. Au train comme on dit aux courses de fond et de demi-fond. Ils ont obligé les Français, souvent capot ouvert pendant le match, à leur courir après et à se disperser.
Beaucoup de plaquages ont été ratés de peu par les Tricolores. Ce qui tendrait à montrer que les Boks ont bien moins cherché l’affrontement physico-physique chéri de leur tradition que l’éparpillement de l’adversaire et l’évitement. En plein paradoxe, le staff des Bleus a ficelé une troisième ligne Camara-Picamoles-Goujon, plus lourde et plus puissante que son adversaire du jour. Un comble. Le quinze de France s’était armé pour un combat qui n’a pas eu lieu sur le terrain attendu.
Un mot sur la manière de défendre des Boks à la mode du nouvel entraîneur Allister Coetzee. À deux sur le haut du corps, rarement plus, en croisant le bras droit de l’un et le gauche de l’autre. Drôlement efficace, très technique et très travaillé. Un troisième peut s’attaquer aux jambes.
Une tournée, même ratée au niveau des résultats, ça sert à ça : apprendre le meilleur de l’adversaire. Bon, ce serait quand même bien de ne pas prendre une rincée à chaque match. MD