Blessé aux cervicales, le talonneur Yann De Fauverge est contraint de mettre un terme à sa carrière.
Yann De Fauverge ne rejouera plus jamais au rugby. Une réalité dure et implacable. À tout juste 21 ans, le talonneur aux 8 apparitions chez les pros à l’USAP (1 essai marqué) doit mettre un terme à sa carrière. Touché aux cervicales, le Catalan sait qu’il est passé à côté du pire : « J’aurais pu découvrir à l’hôpital que je ne marcherai plus ». Malgré le choc, le Salanquais positive.
Yann, quel est le diagnostic de votre blessure ?
Je suis officiellement G3*. En France, cela veut dire interdiction de la pratique du rugby.
Quand l’avez-vous appris ?
Il y a environ une semaine. J’ai rencontré un chirurgien spécialisé dans ce domaine à Bordeaux. Je suis obligé d’arrêter le rugby. Que ce soit à un petit niveau ou à un niveau supérieur, je n’ai plus le droit de pratiquer ce sport.
Pourquoi ?
Le risque que j’encours est de finir tétraplégique. Mais en relativisant, je me dis que la santé passe avant tout, que je suis encore sur mes deux jambes et que je peux encore être indépendant. C’est le seul côté positif. Je me dis que j’ai peut-être une étoile au-dessus de la tête, que j’ai eu de la chance d’être averti et d’arrêter à temps. Si je ne l‘avais pas été, j’aurais pu continuer à jouer et puis, un dimanche, après un match, découvrir à l’hôpital que je ne remarcherai plus.
« J’ai l’impression que ma vie s’arrête »
Comment vous êtes-vous rendu compte de cette blessure ?
Au mois de janvier j’ai pris un K.-O. contre Aurillac avec les Espoirs. Suite à ça, nous avons fait des examens avec le médecin du club. J’ai signalé que j’avais des irradiations qui descendaient de l’épaule jusque dans l’index, ça me gênait et j’avais ça depuis un petit moment quand je plaquais ou que j’entrais en mêlée. Par prévention le médecin m’a fait passer une IRM des cervicales. Il a eu raison puisqu’il a remarqué un souci et m’a envoyé voir un chirurgien spécialisé. Je n’ai plus de liquide autour de la moelle épinière. Je n’ai plus de protection. Ce qui fait que si demain j’ai un gros choc, je peux rester sur le carreau.
Qu’avez-vous ressenti lorsqu’on vous l’a annoncé ?
Énormément de déception. J’ai l’impression que ma vie s’arrête. Pour moi, le rugby ça représentait tout jusqu’à maintenant. Depuis l’âge de 7-8 ans, je rêve de devenir joueur professionnel. Ce sont des années de travail et de sacrifices. Il n’y a pas de mot. À l’heure actuelle, je ne réalise pas ce qui m’arrive. Me dire que je ne foulerai plus la pelouse, que je ne toucherai plus le ballon... Je ne pouvais pas espérer pire. Ce qui me contrarie le plus c’est que j’avais mis un pied dedans. J’avais eu la chance de connaître un peu ce qu’est le haut niveau et, du jour au lendemain, tout s’arrête.
Vous gardez le moral ?
Je n’ai pas encore digéré. On va dire que j’arrive à le prendre plutôt bien. Mais je pense que ce qui va faire le plus mal c’est le contrecoup dans quelques mois.
Comment ont réagi votre entourage et vos coéquipiers lorsqu’ils l’ont appris ?
Ils ont tous été peinés et déçus. J’ai eu énormément de messages de soutien de la part des joueurs de l’USAP. Le staff m’a directement appelé. Humainement, ce que je vis à l’heure actuelle est magnifique. Tout le monde m’encourage et me soutient. J’ai l’impression que c’est vraiment ma deuxième famille. Aujourd’hui, si j’arrive encore à garder le sourire, c’est grâce à eux. On peut dire que le côté humain existe toujours dans le rugby.
Cette blessure affecte-t-elle votre quotidien ?
Oui, selon les métiers que j’envisage. Devenir policier, gendarme ou partir à l’armée, c’est fini pour moi. Je peux continuer à travailler dans le sport pour enseigner, mais ça dépend du sport. Il y a des choses que je ne pourrai plus jamais faire. Si je voulais faire du judo, de la lutte ou des sports comme ça, c’est terminé.
« Ce que j’ai vécu à l’USAP, c’est quand même magnifique »
Quand on joue talonneur, est-ce qu’on pense à ce genre de blessure ?
Honnêtement, je n’y pensais pas. On se dit toujours que ça arrive aux autres et jamais à soi-même. Mais on est quand même sur un poste à risque, où on est exposé. Ça va de plus en plus vite, ça tape de plus en plus fort. Le joueur est devenu de plus en plus physique et donc il y a de plus en plus de blessures. Mais là où je suis vraiment fier, c’est de l’encadrement médical. Quelque part ils m’ont sauvé la vie. Si je n’avais pas été pris en charge j’aurais continué à jouer. S’il faut, dans six mois, j’aurais été dans un fauteuil roulant.
On sent beaucoup de reconnaissance dans votre discours...
J’ai la reconnaissance du ventre. Le staff m’a lancé dans le grand bain l’année dernière. Ce que j’ai vécu à l’USAP, c’est quand même magnifique. Jouer en pro à 20 ans, ce n’est pas donné à tout le monde, surtout à ces postes-là.
Vous reverra-t-on au bord du terrain ou allez-vous couper ?
J’ai envie de rester au contact des mecs et du staff. Pour moi, c’est une seconde famille. À l’heure actuelle, ce qui me donne envie de me lever le matin, c’est de retrouver ce vestiaire. Les Tom Ecochard, Julien Farnoux, Romain Millo-Chluski, Mathieu Acebes... Ils ne m’ont pas laissé sur le carreau, ils m’ont ouvert les bras. Dans le vestiaire, tout le monde me considère comme le petit.
Comment voyez-vous l’avenir désormais ?
J’ai un baccalauréat STMG en poche. Je remercie Bruno Rolland (le directeur du centre de formation) et toute l’équipe du centre de formation qui encadre les joueurs. Je suis au centre de formation depuis cinq ans, ils ne m’ont jamais lâché au niveau scolaire, en me disant que s’il y avait un pépin, il fallait que je puisse envisager autre chose. Actuellement, je suis en plein BP JEPS pour enseigner dans une salle de sport. Je vais le terminer comme il se doit. J’adore tout ce qui touche à la préparation physique. Ça me plaît énormément. Le rugby est terminé pour moi, mais eux sont encore là et ne m’ont pas laissé sur le côté. Ils vont me suivre jusqu’à la fin de mon contrat et même plus si j’en ai envie.
« Patrick Arlettaz est pour moi un deuxième père »
Qu’est-ce qui restera votre meilleur souvenir ?
C’était l’année dernière, je devais partir le week-end avec les Espoirs à La Rochelle et Bruno Rolland m’a appelé et m’a dit qu’il y avait eu un blessé en pro et que j’allais devoir certainement porter le maillot. Je me souviendrai toujours de ce premier match contre Oyonnax à la maison (l’USAP s’était imposée 23-18). Premier match à Aimé-Giral de ma vie, sous les couleurs de l’USAP, on gagne avec le bonus, j’ai eu la chance de rentrer en cours de match... Honnêtement, de ma carrière c’est peut-être le plus beau rêve que j’ai vécu. Je le garderai à jamais dans mon cœur. J’ai vécu des choses magnifiques, des sélections en jeunes avec l’équipe de France, le titre avec les Espoirs... Mais ce premier match en pro, il représente énormément de choses pour moi. C’était vraiment énorme et c’est le plus beau souvenir que je garde. Je tiens vraiment à remercier l’USAP et le centre de formation. Perry Freshwater aussi et Christian Lanta. Et puis Patrick Arlettaz que je porte haut dans mon cœur. Je ne m’en cache pas, il est pour moi un deuxième père. Je l’ai eu au centre de formation et en pro et il a toujours été égal à lui-même.
*La classification des risques d’accidents cervicaux est soumise à l’observation du canal rachidien, où passe la moelle épinière. Il y a quatre niveaux : G0, G1, G2 et G3. En G0 et G1, un contrôle est réalisé tous les deux ans. Au stade G2, une surveillance annuelle. En G3, c’est risque de tétraplégie et interdiction de jouer au rugby en France.