Histoire d'une (jeune) rivalité
Entre l'USAP et Montpellier, qui s'affrontent samedi à Aimé-Giral dans un contexte brûlant, la concurrence n'a cessé de croître en 10 ans. Et le MHR, qui a grandi à vitesse grand V, a fini par prendre le leadership.
Il fut un temps, que les moins de vingt ans connaissent par cœur, où recevoir Montpellier était l'assurance pour l'USAP d'une victoire sans souci. Le tout enrobé de la condescendance et du dédain qui allaient avec, naturellement. On ne badine pas avec l'histoire. Un siècle de règne 'sang et or' n'avait que faire de 'Montpellier la surdouée', le fameux slogan 'frêchien' accolé à la ville depuis 1985, un an avant la création du MHR. Vu d'Aimé-Giral, le Languedoc n'ovalait bien qu'à Béziers, voire à Narbonne, seuls ennemis dignes d'être combattus. Les puristes sont ainsi faits qu'ils confèrent légitimité au seul poids des années et des titres.
Ainsi faut-il comprendre l'incompréhension d'une partie du public catalan devant le transfert du capitaine Nicolas Mas dans l'Hérault, en juin prochain. Toulouse, Toulon, d'accord, mais Montpellier, la vierge sans Bouclier ? C'est oublier bien vite que sous l'effet d'accélérateur du rugby pro et du mécène Mohed Altrad, la petite bête héraultaise a monté, monté... jusqu'à se hisser en finale du Top 14, en 2010, pour chiper sans contestation le leadership régional à l'USAP (7 Brennus). Entre les deux places fortes, il y a désormais du 'Je t'aime, moi non plus'. Ou le récit d'une rivalité de dix ans qui n'a pas fini de faire du bruit.
L'éclosion d'un trublion (2004-2006)
La remontée de Montpellier dans l'élite, en 2003-04, ne dépasse pas le cadre de la curiosité. Le petit, qui échouera en play-down, se fait croquer deux fois par le gros, lequel disputera la finale du championnat face au Stade Français (défaite 38-20).
Nous sommes au cœur des années Dagrenat, symbole de la montée en puissance usapiste. A cette époque, le rapport de force est à sens unique. Montpellier affiche 3 000 supporteurs de moyenne dans le désuet stade Sabathé et 4,5 M€ de budget. Parler de derby n'a pas de sens. Pas encore... Car dès l'année suivante, l'USAP tombe dans un traquenard. Battue 20-8 dans l'Hérault, elle subit la bronca de ses 2 500 supporters présents sur place. "L'USAP tombe de haut", titre L'Indépendant. Première et dernière fois où notre titre, miroir de l'air du temps, considérera lui aussi une défaite dans la 'capitale' comme une anomalie. D'ailleurs, la saison suivante, rebelote.
Les 'sang et or' s'inclinent (19-17) sur un essai de Bortolussi. Le président Dagrenat fulmine contre l'insupportable ; l'entraîneur Philippe Boher casse du sucre sur ce trublion "sans passé" ; certains joueurs n'hésitent plus à qualifier l'adversaire de "bête noire". Montpellier commence à sortir de terre, avec une réputation d'équipe guerrière nourrie au lait de la formation. Son centre est d'ailleurs élu meilleur de France en 2006. L'avertissement est lancé.
L'USAP sans partage (2007-10)
Si la saison 2006-07 voit Perpignan faire sa loi, le match retour à Aimé-Giral est chargé d'émotions.
Goutta, Konieck et Edmonds tirent leur révérence. Une page se tourne. L'USAP, abonnée depuis plusieurs années à la H-Cup, poursuit sa quête de Brennus des temps modernes. Montpellier termine 12e dans l'anonymat. Sans oublier de lancer dans le grand bain une paire de gamins au nom de Trinh-Duc, Ouedraogo et Picamoles... Et puis Jacques Brunel débarque en Catalogne au retour du Mondial 2007. Pour l'anecdote, il fête son 1er match à Montpellier, qui célèbre lui-même son nouveau stade Yves-du-Manoir (12 700 places). L'affrontement des symboles tourne à l'avantage du MHR (19-12).
Le moustachu ne s'inclinera que deux fois en quatre années de mandat. Montpellier grandit, mais l'heure de l'USAP est sur le point d'arriver. Montpellier a beau collectionner les titres de meilleur centre de formation de l'Hexagone en 2009 et 2010, c'est Perpignan qui rafle les honneurs et les titres (champion 2009, finale 2010) après 54 ans d'attente. L'USAP est sans partage. Pendant ce temps-là, Montpellier traverse une crise de croissance, sous les yeux moqueurs du Top 14.
Pour s'être vu trop beau avant l'heure, Philippe Deffins, le président éphémère qui promet un titre en trois ans plus l'attelage Nallet-Chabal, se prend un bouillon monumental en démissionnant 26 jours plus tard. "On vise le maintien", annonce benoîtement le nouveau boss Thierry Pérez. En mars 2009, le tandem Nourault-Hyardet ne résiste pas à une nouvelle défaite (50-13) à... Perpignan. Un symbole de plus entre les deux clubs qui, sans le vouloir, écrivent à quatre mains une partition mouvementée. La saison d'après signe un statu quo, marquée par le triste décès de l'ancien 2e ligne de l'USAP, Roger Roucariès, deux jours avant une défaite à Montpellier. Un avant-goût du déclin.
2010, l'année bascule (2010-12)
En 2010, l'entraîneur Fabien Galthié pose ses valises à Montpellier. Et ça change tout. Dès son premier voyage en Catalogne, il met fin à une série de 25 matches sans défaite des 'sang et or' à domicile (6-16). Galthié à Brunel : "Je suis sincèrement désolé." Un 'sorry, good game' qui ressemble beaucoup à une passation de pouvoir. A cette époque, le MHR affiche 13,1 M€ de budget, 7 600 abonnés et 400 000 euros de merchandising (contre 13,2 M€, 10 600 et 2 M€ à l'USAP).
Auteurs d'une saison exceptionnelle, les Héraultais enfoncent tout sur leur passage et poussent le grand Toulouse dans ses retranchements en finale (15-10). La bascule est faite. Elle sera entérinée l'année d'après, l'annus horribilis de l'USAP, qui multiplie les crises et flirte avec la descente. "Il nous faut du bulbe", déclare le coach Jacques Delmas après un revers au MHR. Dans l'invervalle, ce dernier s'abonne à la H-Cup.
A quatre jours des retrouvailles à Aimé-Giral entre les deux clubs, le constat est clair : aujourd'hui, le riche patron c'est Montpellier.
