Blondeau : "Pour régler le problème, il faut d'abord en prendre conscience"
Nicolas Zanardi 04 fév 2019 - 0:00
Éric Blondeau,
bras droit de Vern Cotter dans la préparation mentale de Clermont ou du XV d’Écosse, s’ouvre sur les problématiques récurrentes rencontrées par les Bleus au retour des vestiaires.
Midi Olympique : Existe-t-il des actes manqués en rugby ?
Éric Blondeau : C’est difficile de parler d’actes manqués, car un acte manqué impliquerait que les joueurs voulaient inconsciemment ne pas réussir ces gestes. Or, ils ne souhaitaient rien d’autre que gagner ce match. Pour moi, il ne s’agit pas à proprement parler de cela en ce qui concerne les erreurs de Yoann Huget ou Sébastien Vahaamahina.
À l’issue du match, joueurs et staff assuraient ne pas avoir de problème dans l’approche mentale des rencontres. Comme s’ils se situaient dans le déni…
E.B. : J’ai effectivement lu quelques réactions, où les acteurs disaient qu’ils avaient simplement manqué de maîtrise. Or, il ne s’agit pas dans le cas de ce match de maîtrise physique ou technique mais bien de prise de décision sous pression. Et ça, c’est clairement mental. Pour avoir travaillé avec certains d’entre eux, je connais très bien les joueurs et je sais ce dont ils sont capables de faire techniquement. Là où les Bleus ont péché face aux Gallois, c’est dans la capacité d’improvisation et ça, ça touche étroitement le mental. Ce n’est pas du déni, peut-être davantage de la méconnaissance de ce qu’il est possible de faire à ce sujet.
Les Français pensent encore que leur instinct et leur flair peuvent suffire
De quoi s’agit-il, alors ?
E.B. : Les joueurs ont vu 25 000 matchs dans leur vie, en ont joué des centaines, ils sont au point tactiquement sur ce qu’il faut faire ou ne pas faire dans telle ou telle situation. Mais à la sortie des vestiaires après la mi-temps, en voyant les visages des joueurs, j’ai ressenti une impulsion, un enthousiasme qui me fait dire que les Bleus sont sortis de la réalité de ce match. Cet excès d’enthousiasme a fait baisser leur lucidité, leur discernement, leur adaptabilité, leur cohésion et leur collaboration en tant que coéquipiers. En clair, cet excès d’enthousiasme a fait que le collectif s’est transformé en somme d’individualités.
Entre les échecs au pied de Parra, la maladresse de Huget ou la passe de Vahaamahina, il semble que toutes les erreurs commises par les Bleus ne relèvent pas des mêmes ressorts…
E.B. : Des erreurs, il y en a dans tous les matchs. Parfois, il faut accepter que la pièce retombe du mauvais côté. En ce qui concerne les Bleus, je crois surtout qu’il y a quelque chose à revoir dans la gestion de l’après-mi-temps.
Aujourd’hui, l’équipe d’Écosse n’est bonne à prendre pour personne à Murrayfield
Sauf que dans le cas du XV de France, ce genre d’erreur est trop récurrent ces derniers temps pour qu’on puisse parler de hasard…
E.B. : En effet, il n’y a plus de hasard lorsque les faits sont récurrents. Mais l’idée, pour sortir de cette spirale, serait que les joueurs et le staff prennent conscience de ce problème. Tant qu’il n’y a pas prise de conscience, on ne peut pas travailler, parce que les joueurs pensent ne pas en avoir besoin. Prenons votre cas : si je vous dis que vous devez apprendre à lire le japonais, vous n’allez pas le faire parce que vous allez vous dire que dans votre métier vous n’en avez pas besoin. Or, pendant la prochaine Coupe du monde, peut-être que cela aurait pour vous une certaine utilité… Pour les joueurs, c’est pareil : s’ils ne voient pas un intérêt à travailler cet aspect mental, s’ils n’en prennent pas véritablement conscience, ils ne le régleront pas. Il y a un vrai problème de méconnaissance à ce sujet.
Pour quelle raison ?
E.B. : Les gens en France font des amalgames entre travail mental et psychologie, voire thérapie. On confond vraiment l’approche
"prise de décision avec forts enjeux" et
"thérapie/psychologie". Mais ce n’est pas parce qu’on effectue un travail mental qu’on est un malade mental ! Si les forces spéciales y voient un intérêt, les rugbymen peuvent en voir aussi. Pour l’heure, les Français pensent encore que leur instinct et leur flair peuvent suffire. Sauf que la vidéo existe depuis bientôt 25 ans, et qu’on peut désormais très facilement bâtir des choses qui annihilent le flair. C’est dommage de ne pas le comprendre, alors qu’il paraît évident que l’excès d’enthousiasme des Bleus après la mi-temps a fait éclater leur cohésion.
Lors de votre travail auprès de l’équipe d’Écosse, avez-vous trouvé des acteurs davantage convaincus de leurs problématiques ?
E.B. : Avec l’Écosse, la mission que m’a donnée Vern Cotter était très claire. Les Écossais m’ont mis ce marché clé en mains :
"Nous avons une équipe qui a du mal à se reconstruire quand elle encaisse des points." J’ai eu la chance de tomber sur des gens très humbles, qui ont eu l’honnêteté d’admettre qu’ils n’y connaissaient rien, et qui étaient d’accord pour jouer le jeu. On a bossé individuellement, collectivement… Résultat : aujourd’hui, l’équipe d’Écosse n’est bonne à prendre pour personne à Murrayfield, et les deux provinces écossaises sont qualifiées en quarts de finale de Champions Cup. Et pourtant, la matière humaine en Écosse est bien moindre que celle dont nous disposons en France…