Top 14 : "Je ne voulais pas que l’on joue en rose à Aimé-Giral !", se rappelle Max Guazzini, l’ancien président du Stade Français à quelques jours du déplacement de l’USAP à Paris
Gilles Navarro17/12/2024 à 15:00
Max Guazzini après la victoire du Stade Français Paris contre l’ASM Clermont Auvergne le 29 avril 2011.TEAMSHOOT TEAMSHOOT
Il est le père du Stade Français version moderne, club professionnel et titré, qu’il avait récupéré en Fédérale 2 ! Pendant vingt ans, l’ancien avocat et président du directoire de NRJ, n’a eu de cesse d’aider à faire grandir son "bébé". Avant le choc de samedi à Jean-Bouin (16 h 30), Max Guazzini revient sur une époque balisée par la rivalité entre Parisiens et Catalans de l’USAP.
Max Guazzini, le Pape François a rendu visite aux Corses le week-end dernier, et on a pu voir des prélats revêtus d’une chasuble rose. Rassurez-nous, vous n’y êtes pour rien, vous qui avez introduit cette couleur sur les maillots de rugby du Stade Français ?
Non, non ! C’est plutôt l’inverse. C’est nous qui nous sommes inspiré de la religion catholique. Le rose est un signe de joie liturgique chez les Catholiques, qui peut être porté le troisième dimanche de l’Avent, et le quatrième dimanche de Carême. La venue du Pape correspondait au Gaudete, troisième dimanche de l’Avent.
Comment vous était venue cette idée d’un maillot rose ?
Au début de la saison 2005-06, j’avais demandé à notre équipementier, Adidas, de nous trouver une tenue originale, qui sortait du classicisme des maillots d’alors. Ils nous ont proposé un maillot couleur or et un autre couleur argent. Je trouvais la couleur or prétentieuse, et je pensais que le maillot argenté idée était une belle idée. Mais lorsque je me suis rendu à l’usine voir le résultat final, j’ai été déçu. J’imaginais un argenté façon armure, cuirasse. Leur gris était triste à en mourir.Alors, j’ai suggéré un maillot rose ! J’ai dessiné un prototype que j’ai montré aux joueurs de l’équipe. Ils ont été enchantés.
Et vous décidez d’étrenner votre nouvelle tenue à Perpignan ?
Pas du tout ! Je ne voulais pas qu’on joue en rose à Aimé-Giral. Je voulais étrenner le nouveau maillot en une autre occasion, m’en servir comme d’un outil de communication. Sauf que le jour où les maillots sont arrivés à Meudon, où nous entraînions alors, "Domi", Christophe Dominici, était là. Pour la parenthèse, n’oubliez pas qu’à cette époque, nous n’avions aucun stade d’entraînement à nous. On allait où on pouvait… "Domi", donc, tombe sur le nouveau maillot. Qu’est-ce qu’il fallait, il en enfile un et le montre à ses équipiers ! Je n’étais pas sur Paris, et je reçois un coup de téléphone de Pieter (Pieter de Villiers, pilier international du Stade Français), qui me dit : "Max, tu vas avoir une belle surprise à la télé…" On devait aller jouer à Perpignan (6 septembre 2005), que nous avions battu en finale du Top 16 quelques semaines auparavant. Moi, j’ai insisté :"vous ne jouez pas en rose !"
Vous, vous souhaitiez jouer avec vos couleurs traditionnelles ?
Oui ! J’avais demandé à Jean-Marie (Jean-Marie Chauvet), notre intendant, de prévoir la tenue rouge et bleue. Je n’imaginais pas un instant que les joueurs allaient affronter l’USAP à Aimé-Giral, en rose… Pour moi, ce n’était pas un bon plan com' de jouer en rose à Perpignan. Dans la semaine déjà, j’avais été alerté par une fuite parue dans les colonnes de L’Équipe,
"et si le Stade Français jouait en rose ?" J’aurais dû me méfier davantage !
Quelle est votre réaction quand vous découvrez "le pot aux roses" ?
J’étais dépité. Les joueurs ont entendu tous les noms d’oiseaux imaginables. Demandez à David Skrela, qui était assis sur le banc des remplaçants… Et en plus on a perdu (1) ! Mais nous avons réussi une chose : décomplexer la couleur rose, qui ne faisait pas très virile, dans le sport. Aujourd’hui, le rose est partout. J’ai même vu que l’équipe de France de handball l’avait adopté lors des J.O. à Paris !
"La cargolade avec la famille Roucariès"
Vous connaissiez bien Perpignan avant que le Stade Français ne devienne le rival de l’USAP dans les années 2000 ?
Oui, mon père, Yvan, était très ami avec Gérard Roucariès (2), transporteur à Rivesaltes je crois… Il lui vendait des camions, et fabriquait aussi des citernes.Mon père a même inauguré une succursale de camions Unic à Perpignan. J’étais alors étudiant à Paris et j’avais pris l’avion, pour faire plaisir à mon père. Nous avions déjeuné tous ensemble au Lydia, un paquebot dans les sables… Les Roucariès venaient chez nous, à Venelles, près d’Aix-en-Provence, et nous, nous leur rendions visite chez eux. Je me souviens des cargolades…
L’histoire des Stade Français-USAP se souvient de la première finale jouée au Stade de France, en 1998, entre Parisiens et Catalans (victoire 34-7 du Stade Français)…
On arrivait de nulle part. C’était notre première saison en Top 16, et nous avons renversé les pronostics. En demie, on bat quand même le Stade Toulousain (39-3), les favoris pour le titre.
Cette finale, c’était aussi le duel fratricide entre les frères Lièvremont, Marc que vous aviez recruté chez vous et son frère Thomas, capitaine de l’USAP ?
Quand nous sommes remontés en première division, à l’été 1997, il fallait que nous nous renforcions. Marc, qui était international, n’était plus en odeur de sainteté du côté de Perpignan. Un dirigeant, dont je tairais le nom, m’a même dit : "mais pourquoi tu prends Marc Lièvremont ? Il est fini !" On a vu par la suite ce qui s’est passé…
Champion de France dès son retour parmi l’élite, le Stade Français a étonné la France du rugby…
Je me souviens que pour notre première saison, nous étions invaincus à Jean-Bouin. Seule l’USAP était venue faire match nul chez nous (32-32). Ce nul, nous a peut-être motivés, le jour de la finale…
Quel regard portez-vous sur l’évolution du rugby ?
Je trouve que nous avions beaucoup plus de liberté dans les années 2000. Je ne sais pas comment serait perçu aujourd’hui d’inviter les filles du Lido avant un match. Notre société est en régression. Cachez ce sein que je ne saurais voir… Demandez à Dan Carter, lorsqu’il est venu jouer au Stade de France avec l’USAP (3)... Il se souvient encore de la haie d’honneur faite par les filles du Pink ! Il m’en a encore parlé récemment !
Vous serez à Jean-Bouin samedi ?
Non, je ne serai pas sur Paris. Mais je suis resté un fervent supporter du Stade Français. Je vais à tous leurs matchs à Jean-Bouin, quand je suis parisien. Et c’est le seul endroit où je porte du rose ! Généralement, je préfère le bleu ou le vert."
(1) L’USAP s’était imposée sur le fil (16-12), grâce à un essai de son talonneur roumain Marius Tincu(2) Deuxième ligne de l’USAP, au côté du capitaine André Sanac, lors de la finale historique de 1955(3) L’USAP était venue arracher le match nul (13-13) à Saint-Denis (30 janvier 2009)… et Dan Carter s’était blessé au tendon d’Achille, disputant son dernier match officiel sous le maillot sang et or.