Top 14 – "Quand j’entends parler de phase finale, c’est du cirque", calme Franck Azéma (Perpignan)
Le manager de Perpignan Franck Azéma s’est longuement confié sur le contexte actuel de l’USAP, la trajectoire explicite empruntée par le club ainsi que les perspectives engendrées. Entre humilité et coudées franches, le technicien n’élude aucun sujet sur les Sang et Or qui n’en finissent plus d’étonner.
L’été dernier, vous déclariez vouloir combler un delta face à certaines équipes. L’Usap a-t-elle définitivement prouvé qu’elle pouvait rivaliser ?
C’est le fruit de l’investissement des joueurs.
Nous voulons performer en proposant du beau rugby pour poser des problèmes à nos adversaires, tous les week-ends. Puis, quand on maîtrise notre jeu, la qualité est au rendez-vous et ce que l’on met en place y contribue fortement.
Au soir de la défaite face à la Section paloise en octobre dernier (la quatrième en autant de rencontres), vous regrettiez un manque de consistance. Quelles furent les étapes de ce redressement ?
La confiance, déjà. Les garçons ont cru au projet. Si, à l’époque, il y avait beaucoup de frustration, on se devait de monter notre exigence physique ainsi que nos contenus d’entraînements. Ne pas faire dans le "moyen". Ce qu’il y a de bien dans ce groupe, c’est qu’il se fixe toujours des challenges. Il est comme une éponge et il se nourrit de toutes les bonnes choses pour progresser. Cela nécessite du temps, même si celui-ci n’est pas trop notre allié.
Avez-vous été surpris par le groupe, capable d’enchaîner des résultats significatifs avec des joueurs qui ont adhéré au projet de jeu ?
On ne peut jamais savoir, je suis juste resté fidèle à une forme de management. Les joueurs qui étaient présents avant mon passage ont été éduqués d’une manière qui me correspond. Il y a eu un équilibre entre nous et cela permet notre fonctionnement aujourd’hui.
Parmi un staff composé de David Marty, Perry Freshwater, Gérald Bastide et Guillaume Vilaceca, qu’avez-vous impulsé au quotidien pour faire bouger les lignes ?
C’était à moi de m’adapter à eux, pas le contraire. Il n’y avait pas de secteur plus défaillant que les autres. Mon désir était de hisser le curseur un peu partout, sur toutes les facettes de nos lancements comme sur la façon de faire de la musculation ou de récupérer.
Gérald Bastide et David Marty. Icon Sport - Alexandre Dimou
Vous êtes-vous heurté à des freins, dans les discussions ? A-t-il fallu passer par des arbitrages ?
Plutôt des priorités. D’abord sur le terrain, puis la qualité de la vie. La nutrition ne doit pas être prise à la légère. On n’a pas besoin d’être dans le superflu également. L’envie d’être précis dans l’essentiel, c’est important au quotidien.
Quelle est votre principale trouvaille auprès des joueurs, qu’avez-vous mis en place qui n’était pas présent auparavant et qui vous a sauté aux yeux ?
Ce qui m’intéresse, c’est l’osmose que l’on crée tous ensemble. Je ne veux perdre personne dans ce voyage, que tout le monde soit impliqué. Certains ont moins de temps de jeu mais tant qu’ils continueront à travailler, ils seront récompensés.
Quel rugby inspire Franck Azéma ? Qu’avez-vous envie de transmettre ? On connaît votre goût pour l’effort, mais on sait aussi que vous appréciez la modernité, comme lors de votre coup de main aux Dragons Catalans en 2021 ?
J’aime le jeu rythmé. Tu prends du plaisir au rugby quand tu mets en permanence la pression sur ton adversaire, avec ou sans le ballon. Je cherche donc toujours comment exprimer notre identité et notre culture à travers cela. Puis il est important d’avoir une complicité avec les Dragons Catalans, qui peuvent nous apporter sur leur façon d’aborder les choses.
Le club va se doter d’une nouvelle pelouse, le centre d’entraînement devrait enfin voir le jour. Ces dossiers, longtemps en suspens, sont-ils de bons signaux pour la suite ?
C’est tout à l’honneur du président Rivière et de son équipe dirigeante. Ils ont contaminé les partenaires qui s’imprègnent de cette aventure. J’ai envie de dire, n’attendons pas d’avoir des résultats mais continuons d’évoluer, au stade, dans notre centre et où les jeunes peuvent s’épanouir. Nous sommes un petit territoire et nous avons le devoir de connaître tout le monde.
La construction d’un effectif et l’épaisseur de celui-ci semblent validées cette saison, avec un taux d’échec quasiment nul. On note d’ailleurs que vous semblez apprécier de travailler avec des joueurs que vous aviez côtoyés auparavant…
Je n’ai pas envie d’avoir des gens simplement pour leur faire plaisir. C’est toujours mieux de connaître l’homme qu’on a en face de soi. Et si la compétence est là, pour moi, c’est leur offrir une opportunité unique d’être à l’Usap. S’ils sont généreux dans tous les secteurs, ils vont connaître quelque chose de fabuleux.
L’Usap est redevenue attractive. Un phénomène comme Posolo Tuilagi peut-il lui offrir un épanouissement sur la durée ?
C’est notre ambition. Si on a envie de construire, ce n’est pas pour être moyens. La route est encore longue, on va d’abord essayer de pérenniser le club en Top 14. On n’a pas le droit de se tromper, ni sur le recrutement, ni sur nos choix.
Posolo Tuilagi et les fans de l’Usap après le succès à Oyonnax. Icon Sport - Romain Biard
Le recrutement pour l’an prochain s’est également précisé. Quels autres postes ou profils avez-vous ciblés pour affiner le squad ?
Je regarde avec l’ensemble du staff le poste de demi de mêlée, un joueur des lignes arrière capable de jouer dans le triangle offensif,
un deuxième ligne qui peut jouer 4 ou 5 et peut-être un troisième ligne.
Comment s’y prend-on pour signifier à Mathieu Acebes, icône du club, que le temps a fait son œuvre et que l’on ne peut pas le prolonger ?
On a eu une discussion en début d’année. C’est quelque chose qui mûrissait dans sa tête. C’est un garçon posé, contrairement à son côté impulsif qui ressort sur le pré. Il a fait une énorme carrière et
il a choisi sa sortie, ses projets qu’il a derrière.
Calé à équidistance entre le maintien – objectif prioritaire – et le troupeau des qualifiables, la prochaine réception de Lyon pourrait dicter une fin de saison passionnante ?
C’est votre rôle de journaliste de poser ces questions. Franchement, on n’invente rien d’extraordinaire mais on se définit des objectifs. Perpignan réfléchit à se maintenir et on se prépare à recevoir une belle équipe de Lyon. On verra sur quoi on se projette mais quand j’entends parler de phase finale, c’est du cirque.
Avec un calendrier tronqué et des blessures, le plus important est-il de conserver une relative fraîcheur physique et mentale ?
Nous restons trois jours au Domaine de Falgos pour un stage. J’ai trouvé des sourires chez les garçons. Il fallait couper mais j’ai senti aussi l’envie de se retrouver et c’est le cadre idéal pour ce genre d’opération.
Comment percevez-vous l’engouement populaire qui vous entoure ? Les guichets fermés s’enchaînent, les déplacements en masse des supporters à l’extérieur se multiplient…
C’est de la fierté. C’est pour cela que l’on fait ce sport, qui réunit tous ces gens. Ce qui fait plaisir, quand nous étions dans le dur, c’est que les gens sentaient qu’on donnait tout. Cette ferveur exceptionnelle donne un supplément d’âme incontestable.
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Vous avez signé jusqu’en juin 2026, c’est en général le temps d’un cycle. Avez-vous le désir de vous inscrire sur la durée ?
Honnêtement, quand j’entends des plans sur plusieurs années… Non, je crois qu’il faut préparer le long terme avec les jeunes et la formation. La stabilité, nous l’aurons ainsi, avec un socle solide. Mais, personnellement, je n’ai pas un métier qui permet de réfléchir à très long terme. Mon plaisir, c’est d’être chez moi, avec ma famille. Ce n’est pas faire du cinéma.
Repensez-vous à Toulon ? Pierre Mignoni et les Varois avaient beaucoup apprécié votre passage, alors que vous n’étiez pas resté si longtemps…
On s’appelle pratiquement toutes les semaines avec Pierre. Ce furent 18 mois extraordinaires, là-bas. J’étais parti pour rester un long bail, et c’est aussi pour cela que je dis que, dans mon métier, on ne peut jamais savoir. J’étais bien à Toulon et j’ai beaucoup appris avec eux.
Franck Azéma et Pierre Mignoni lors de leurs retrouvailles.
En 2017, Éric de Cromières, alors président de l’ASM où vous officiez, expliquait que la FFR vous avez contacté, en vain. Si l’opportunité se représentait, qu’en feriez-vous ?
C’est dur d’y répondre comme ça, les résultats que l’on obtient y jouent forcément. Si un jour cela se représente, j’y réfléchirai, c’est certain, selon le contexte. Mais je ne me lève pas le matin en pensant au XV de France. Je me concentre sur comment faire gagner l’Usap.
Des contacts ont-ils été établis avec Patrick Arlettaz, Fabien Galthié ?
Patrick passe de temps en temps. Il n’a pas besoin d’avertir, il est chez lui. On échange sur le jeu, les joueurs, le haut niveau qui résume désormais son quotidien. Fabien est venu nous voir aussi, il y a quelque temps. On s’est croisés et on a parlé également. C’est bon pour le club comme publicité et pour les garçons, de savoir qu’on a un œil sur eux.
En somme, qu’est-ce qui différencie Franck Azéma, vainqueur du Brennus en 2009 avec Perpignan de celui d’aujourd’hui ?
J’ai eu la chance, avec Jacques Brunel, de beaucoup apprendre pour débuter. C’est un mentor et on reste en contact, c’est primordial. Je repense à Vern Cotter et Pierre Mignoni, tous les staffs avec lesquels j’ai évolué. Je suis à l’écoute des gens, j’ai besoin d’apprendre. Mon plus grand souhait, c’est d’arriver à le transmettre, à le partager. Depuis 2009, j’espère avoir pris un peu de bouteille. Si je parviens à transmettre cette expérience, j’aurais réussi les missions qui me sont confiées.