APRÈS LE DRAME ET LA PRISON
QUENTIN THOMAS  Marc Cécillon, accompagné de son avocat, Me Léon Paillaret, devant le tribunal de grande instance de Bourgoin le 14 avril 2014. Jean-François Souchet/le Dauphiné libéré/MaxPPP
Incarcéré pendant sept ans puis en liberté conditionnelle jusqu'en juillet dernier pour le meurtre de sa femme le 7 août 2004, Marc Cécillon est désormais libre. L'ancien capitaine du quinze de France a accepté d'évoquer pour la première fois ses conditions de détention et sa nouvelle vie.
Depuis dix mois, Marc Cécillon a purgé sa peine. «Je n'oublierai jamais, souffle-t-il. C'est quelque chose qui est en moi et qui me suivra jusqu'à la fin.» Condamné en 2006 à vingt ans de prison, puis à quatorze en appel, pour avoir abattu froidement sa femme de cinq balles de 357 Magnum lors d'une soirée chez des amis dans la nuit du 7 au 8 août 2004, l'ancien troisièmeligne de Bourgoin et du quinze de France (46 sélections) était en liberté conditionnelle depuis 2011, après sept ans d'incarcération. «Tous les mois, il fallait que j'aille voir le service pénitentiaire d'insertion et de probation, explique l'ex-détenu. Il fallait emmener les fiches de paye, aller voir le psy. Si tu ne rentres pas dans le cadre, tu peux retourner en prison. T'as toujours cette épée de Damoclès au-dessus de la tête.»
À bientôt cinquante-sept ans, Marc Cécillon essaye de se réinsérer. Grâce au travail, d'abord. Depuis 2011, il exerce pour un producteur de vin bio à Banyuls (Pyrénées-Orientales). Entretien des vignes, vendanges : il participe activement à la production. De 5 heures à midi l'été et de 7 heures à 14 h 30 le reste du temps. En privé, aussi. Il est aujourd'hui en couple avec une femme qu'il a rencontrée en prison après des échanges de courriers. L'homme aimerait maintenant renouer le contact avec ses deux filles, qu'il avait assignées en justice pour une question de gestion de patrimoine, mais aussi avec son fils biologique, le centre international du Racing 92 Alexandre Dumoulin (voir par ailleurs). Le début d'une troisième vie pour l'ancien joueur emblématique de Bourgoin, où il a évolué pendant plus de vingt ans (1977-1999).
EN PRISON, LE RUGBY COMME MOYEN D'ÉVASION
La première s'est achevée le 7 août 2004. Incapable de tourner la page du rugby, celui qui a poursuivi sa carrière en qualité d'entraîneur-joueur jusqu'en 2004 à Beaurepaire, en Fédérale 2, s'est noyé dans l'alcool et est tombé en dépression. Déjà très, trop, friand des troisièmes mi-temps à l'époque du CSBJ, il n'était plus protégé par son club de toujours. «Il faut être préparé à ça. À l'époque, on ne l'était pas du tout. Tout le monde me disait : "Attention ! quand tu arrêtes ce n'est pas facile." Mais bon ! Tant que tu ne le vis pas, tu ne le sais pas. Moi, j'avais l'impression que tout le monde me tournait le dos », reconnaît-il aujourd'hui. Bourgoin lui proposera bien un poste d'ambassadeur en février 2004, mais il est trop tard. Marc Cécillon a déjà sombré.
Sa deuxième vie a duré sept ans, en détention à Grenoble puis à Muret, dans la banlieue toulousaine. « C'est un stress permanent. T'es toujours sur tes gardes. Tu ne sais jamais ce qu'il peut arriver, explique-t-il. Il y a toujours des embrouilles, toujours des mecs un peu fatigués. » Il raconte : « Quand on arrive en maison d'arrêt, les autres détenus te font ramasser ce que l'on appelle des "balles". C'est ce que les gens balancent par-dessus les murs de la prison. Ils t'obligent à aller les chercher. Après, tu vas au mitard, et eux, ils ont récupéré leur truc. » Pris sous son aile par un autre détenu, il a pu éviter ce bizutage. « Normalement, reprend-il, tout le monde est obligé d'y passer sinon ils te font la misère. Après, tu ne peux plus descendre en promenade. Si tu sors, ils vont te tomber dessus à une vingtaine. On a toujours un peu peur pour soi.»
Marc Cécillon trouvera le rugby, seule activité sportive avec le football proposée à Muret, comme échappatoire. Une discipline qui lui permet de « s'évader » le temps d'un match. Gilles Cassagne, son ami de toujours et ancien coéquipier, organise des rencontres avec d'anciennes gloires du rugby français. Phillipe Benetton, Jean-Luc Sadourny, Jean-Pierre Garuet et Philippe Bérot ont fait le déplacement au centre pénitentiaire de Muret. Sans oublier les anciens joueurs du CSBJ et d'autres qui sont venus le voir sans pratiquer, comme Laurent Rodriguez ou Gérard Cholley. «C'était sympa de revoir un peu du monde, et surtout des gens extérieurs à la prison », se remémore-t-il. Son équipe s'entraînait une fois par semaine, en plus des quelques matches. «Il y avait de bons joueurs, estimet-il. Les mecs me faisaient confiance parce qu'ils savaient que j'avais joué à haut niveau. C'était sympa.»
EN JANVIER, IL RETOURNE POUR LA PREMIÈRE FOIS DANS UN STADE
En prison, un petit boulot lui permet d'améliorer son quotidien et de louer une télévision pour continuer à suivre le Championnat de France. «Je travaillais jusqu'à 14 heures, précise-t-il. On s'occupait de "maroufler" des petites pièces d'avion, avant qu'elles ne partent à la peinture. Si tu veux vivre en prison, il faut de l'argent. Tu payes ta télé, tu payes ton frigo.» Depuis son écran, il constate l'évolution de la discipline. «Ce n'est plus le même rugby, juge-t-il. Les mecs se cassent. Ils se pètent tous les genoux, les biceps. Je ne sais pas si c'est plus violent qu'avant, mais il y a plus de temps de jeu, déjà. Les joueurs sont obligés d'être au top.» Pas de quoi remettre en cause son plaisir.
Ce n'est pourtant que le 29 janvier 2016 qu'il retourne pour la première fois voir un match de rugby depuis sa sortie de prison. Installé à Collioure, il se rend en voisin au stade Aimé-Giral, où Perpignan reçoit ce soir-là le... CSBJ. «Ça s'est fait comme ça, j'ai un ami de Bourgoin qui venait et qui avait des places, je me suis dit pourquoi pas», explique-t-il. «À la fin du match, je suis allé voir Péclier (son ancien coéquipier, aujourd'hui entraîneur du CSBJ), j'avais envie de sentir un peu l'odeur des vestiaires. J'étais un peu déçu, ça sentait plus le shampoing que le Dolpic. Les joueurs d'aujourd'hui ne mettent plus ces pommades-là. J'étais un peu frustré de ce côté-là », sourit-il. Malgré des cheveux blanchis par le temps, il est reconnu par certains spectateurs, sans doute trahi par sa carrure, inchangée. « Il y a des gens qui me reconnaissent et qui viennent me voir, dit-il. Ça me fait plaisir de voir que certains ne me jugent pas. Les autres s'abstiennent.»
Si la passion ovale est toujours là, l'ancienne icône du NordIsère n'envisage pas un retour dans le milieu. « Parfois, je me dis : "Entraîner un petit club, pourquoi pas ?" » Mais bon ! Après, t'es bloqué tous les weekends. Et tu entraînes deux, voire trois fois par semaine.» Pour son prochain match, Marc Cécillon se rendra le 24 juin au Camp Nou, à Barcelone, pour la finale du Top 14. Il y verra peut-être son fils devenir champion de France.
La nuit où tout a basculé
7 août 2004. Après avoir passé l'après-midi à la base de loisirs tenue par Jean-François Tordo, son ancien partenaire en équipe de France, Marc Cécillon se rend à une soirée chez des amis proches, à Saint-Savin (Isère). Passablement éméché, il tient des propos désobligeants à sa femme Chantal, présente sur les lieux. Il gifle ensuite la maîtresse de maison avant d'être prié de s'en aller. Le colosse (1,90 m, 110 kg) part mais revient quelque temps plus tard armé d'un 357 Magnum précédemment rapporté d'une tournée en Afrique du Sud avec les Bleus. Il se dirige alors vers son épouse et l'abat pratiquement à bout portant de cinq balles dans le corps devant soixante personnes effarées. Difficilement maîtrisé et transporté dans un premier temps en cellule de dégrisement, il est contrôlé à 2,35 g/l d'alcool dans le sang.
« J'ai toujours aimé ma femme et je l'aime encore », dira-t-il durant son procès devant la cours d'assises de l'Isère, en novembre 2006. Il est alors condamné à vingt ans de réclusion criminelle pour « meurtre avec préméditation ». Une peine ramenée à quatorze ans en appel, deux ans plus tard, devant la cour d'assises du Gard, où le facteur aggravant de la préméditation n'est pas retenu. Incarcéré aux centres de détention de Varces, près de Grenoble, puis de Muret, dans la région toulousaine, Marc Cécillon sort de prison à mi-peine, le 7 juillet 2011, dans le cadre d'une liberté conditionnelle. Depuis juillet 2015, il n'a plus aucun compte à régler avec la justice. L. C.