Perpignan. Andreï Mahu, seconde ligne moldave de l'USAP : "Cette guerre est un non-sens"
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Andreï Mahu ne regrette pas d’avoir refusé de jouer pour l’équipe nationale russe de rugby Independant - Olivier GOT
Perpignan,
Guerre en Ukraine,
USAP
Publié le 02/03/2022 à 21:31 , mis à jour à 21:33
Andreï Mahu, le deuxième ligne moldave de l’USAP, suit avec inquiétude l’évolution de la situation en Ukraine. Et craint pour le futur de son petit pays frontalier de l’Ukraine.
À la terrasse du
Mistinguett’, rue des Fabriques à Perpignan, Andreï Mahu, le géant moldave de l’USAP, ne passe pas inaperçu. Il a du mal à caser ses genoux sous la table du bar. Dans un français impeccable, il salue avant de prendre un air sérieux. Parce que l’objet de notre rendez-vous n’est pas rugby. Ni le prochain match à Aimé-Giral contre le Racing 92. Andreï Mahu est Moldave, une petite République de l’Europe de l’Est, coincée entre l’Ukraine et la Roumanie. Cette Moldavie devenue Etat de l’URSS par la volonté de Staline, qui a coupé en deux la Roumanie après la deuxième Guerre mondiale.
"Sur les quatre points cardinaux de la frontière moldave, trois sont ukrainiens (nord, est, sud) et l’ouest, roumain, explique-t-il.
Mes parents habitent Glodeni, au nord de Chisinau, la capitale, une petite ville située à une centaine de kilomètres de la frontière ukrainienne et une cinquantaine de la Roumanie. Je les ai tous les jours sur Facebook, et ils espèrent que le conflit ne va pas durer trop longtemps… Pour l’instant, ils vont bien". Que racontent-ils à leur fils ? "
Ils voient à la télévision des images de la guerre à Odessa, le port ukrainien sur la Mer Noire, de la résistance acharnée des Ukrainiens. Ils ont entendu l’énorme explosion d’un dépôt de munitions bombardé par les Russes. Mais ils ne veulent pas quitter leur pays, ni leur maison. Ils savent pourtant que si l’Ukraine tombe, la Moldavie peut connaître le même sort…"
Les Moldaves, pro-Européens, ont déjà connu les affres d’un conflit avec leurs voisins russes. C’était en 1992, pour la scission d’une contrée moldave, la Transnitrie. "
Déjà à l’époque, les Russes ont employé de gros mensonges pour intervenir, raconte Andreï Mahu.
Ils disaient qu’ils défendaient les pro-Russes contre les fascistes moldaves. Il y a eu des morts, 300 à 400 soldats moldaves. La 14e armée russe, celle entretenue pour envahir l’Europe, s’est installée en Moldavie. La Transnitrie s’est séparée de la Moldavie (mais elle n’a jamais été reconnue officiellement par les Russes). Dans ma ville, Glodeni, la grosse activité était une industrie sucrière. On a vu débarquer les ingénieurs et cadres russes. Ils ont construit des immeubles pour eux, une école russe. Ils ont imposé aux Moldaves la langue roumaine écrite en caractères cyrilliques". Lui a eu la chance d’apprendre le français, par sa grand-mère, Alexandra, professeur de français à Chisinau. "
Elle a insisté pour que je l’apprenne, dit-il,
en plus de l’anglais, que j’apprenais à l’école. Elle a bien fait…"
Sa femme et son garçon bloqués en Moldavie !
À ce stade de la conversation, Andreï nous apprend que sa femme, Loredana, et son petit garçon, Andreï-Alexander, sont bloqués en Moldavie. "
Le 24 janvier,
elle est partie en vacances voir la famille avec notre fils. Je les ai laissé partir parce que je n’imaginais jamais ce qui allait se passer en Ukraine... Je n’aurais jamais cru qu’il puisse y avoir la guerre. Comme tout le monde". Loredana et Andreï-Alexander sont aujourd’hui bloqués à Glodeni. Le piège s’est refermé sur eux. L’espace aérien moldave est fermé. Et il faudra vraisemblablement que la maman et son jeune garçon gagnent Bucarest et la Roumanie pour retrouver Andreï à Perpignan.
"On se parle tous les jours par téléphone, parfois toutes les heures". Le colosse est inquiet. Et il le sera tant qu’il n’aura pas récupéré les siens. Il n’a aucune confiance en Poutine. "
Les Russes sont impérialistes, pas nationalistes, assure-t-il.
C’est fou de se dire qu’au XXIe siècle, il y a encore des mecs, des dirigeants qui pensent comme au XIXe siècle. Poutine rêve encore de recréer un Empire russe. Cette guerre est un non-sens. Une véritable catastrophe". Humaine, économique… et écologique. "
Mon père, Vitali, est inspecteur régional pour l’écologie". Sa mère, Marina, est fiscaliste au ministère de l’Economie. Ils savent que l’orientation de la nouvelle Présidente, Maïa Sandu, qui a détrôné le pro-Russe Igor Dodon en 2020, rapproche la Moldavie de l’Ukraine, attaquée par Poutine parce qu’elle regardait du côté de l’ouest en tournant le dos à la Russie.
"Cette guerre est un non-sens, répète Andreï Mahu.
Pourquoi attaquer un pays pacifique ? Même si les Ukrainiens n’aiment pas les Russes, ce n’est pas une raison. Je sais aussi qu’en Russie, une grande partie de la population ne soutient pas Poutine. J’ai appelé ce matin (hier)
un ancien coéquipier de Krasnoïarsk (il a joué cinq saisons en Sibérie).
Il m’a expliqué les problèmes économiques, les salaires impayés. Le rouble ne vaut plus grand-chose. En 2013, pour un dollar, il fallait 27 roubles. Aujourd’hui c’est 120 roubles pour un dollar".
Andreï Mahu ne regrette pas d’avoir refusé de jouer pour l’équipe nationale de rugby. En novembre, il enfilera le maillot roumain.
"Quand j’ai vu que la Russie serrait la vis pour tous les documents de visa et autres, je me suis méfié, je n’ai pas voulu intégrer l’équipe russe. Mais deux de mes amis moldaves l’ont fait. Ce qui fait mal ? Tous ceux qui disent à la population russe que les pays occidentaux sont mauvais, sont les mêmes qui vivent dans les beaux quartiers à Londres, Washington ou Paris. En Russie, seule Moscou respire l’argent. Le reste du pays est pauvre, très pauvre".
Samedi 5 mars, Andreï Mahu affronte avec l'USAP, le Racing 92. Histoire de chasser les mauvaises pensées de son esprit. Il attend avec impatience les retours de Loredana et Andreï-Alexander. Pour aller profiter de la mer, des plages et du soleil. Avant de nous quitter, le géant moldave lâche cette réflexion, avec un sourire timide : "
La liberté est un cadeau qui vaut tout l’argent et les richesses du monde". Multumesc*, Andreï. Merci, tout simplement.
*Merci en roumain.
Gilles Navarro