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Dans sa villa de Canet, face à l’étang, Marius Tincu a sorti des cartons son maillot de la finale. "Le seul que j’ai gardé", confie-t-il. MICHEL CLEMENTZ
Publié le 20/06/2019 à 06:06 / Modifié le 20/06/2019 à 06:06
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2009-2019, l'odyssée de l'USAP - Marius Tincu : "L’USAP, c’était les Beatles"
Devant ses mirettes bleu azur, dansent les joncs de l’étang de Canet. Depuis 2005 et son arrivée à l’USAP en provenance de Pau, le sélectionneur de la Roumanie vit en famille dans cet élégant pavillon, avec vue sur le Canigou. Dans son jardin, "Toulouse" et "Berlioz", ses deux lapins, n’en finissent pas de mastiquer les rosiers. Le temps de lancer une dernière machine, de ranger la panière à linge et "Maurice" (sobriquet dont l’a affublé Christophe Porcu) se pose, à l’ombre de l’olivier. Pour près de deux heures d’entretien.
Marius, selon vous l’USAP avait-elle le potentiel pour décrocher le Brennus ?
Franchement, non. Il y avait les monstres Toulouse, Stade Français, Biarritz, Clermont… Disons que nous étions dans le wagon des outsiders. Mais nous étions animés d’un sacré état d’esprit, perpétué par le noyau de 2005 toujours très présent dans l’effectif. Cette année-là, il y avait onze nationalités au club, mais tous se sont approprié les valeurs catalanes. Nous, on bandait pour ce maillot, pour la région, pour cette identité. D’ailleurs, bon nombre de mes coéquipiers ont conservé un pied-à-terre ici. Aujourd’hui, à l’USAP, on essaie de surfer là-dessus mais ça sonne faux. C’est du marketing. Cela ne se voit pas sur le terrain.
Que vous manquait-il pour aller au bout, alors que vous aviez échoué en 2008 contre Clermont en demi-finale ?
La discipline. Ce côté guerrier nous faisait souvent basculer vers le côté obscur. L’arrivée de Jacques Brunel (le manager) a été déterminante. Il a mis de l’ordre, nous a canalisés. Avec Brunel, Franck Azéma et Bernard Goutta, nous avions un staff de grande qualité. De bons techniciens et de belles personnes. Ils étaient justes, expliquaient leurs choix. Ils m’inspirent tous maintenant que je me suis lancé dans la carrière d’entraîneur (sélectionneur de la Roumanie). Le lundi, par exemple, Brunel faisait le tour du vestiaire, s’asseyait à côté de chaque joueur. Il prenait le temps pour parler de rugby, de la vie. Et puis après les matches, il restait avec nous à boire des coups. Je n’avais jamais connu ça auparavant. Il a su fédérer tout le monde. Et puis il a été courageux d’accepter de venir à l’USAP sans son staff. Il a eu l’intelligence de faire confiance à Goutta et Azéma. Sans eux, il n’aurait pas réussi.
Parlez-nous de Franck Azéma ?
Il arrivait des Espoirs avec qui il avait gagné le titre en 2005. C’est un garçon très humble. En 2009, il a su instiller de la concurrence dans le groupe. Avec lui, je n’ai jamais entendu la moindre tension chez les trois-quarts.
Et Bernard Goutta ?
Il s’est façonné avec nous en tant qu’entraîneur.Il a beaucoup souffert quand il a arrêté sa carrière en 2007. La mêlée, il n’y touchait pas trop, c’était l’affaire de Didier Sanchez. En revanche, la touche, la défense, c’était lui. Bernard, c’est un meneur, un guerrier. Le titre, il ne l’a pas gagné comme joueur mais il peut être fier de son travail d’entraîneur. Je suis sûr que tout le long de la saison, il poussait avec nous sur chaque mêlée. Il vit tellement le rugby à fond.
"À l’USAP, Carter, c’était Messi"
Toute la saison, vous avez drainé une folle passion…
Nous étions les Beatles ! On ne parlait que de l’USAP dans le département. Nous étions aimés. Dans les grandes surfaces, en ville, on nous arrêtait pour nous féliciter de notre parcours. Les supporters nous offraient des tas de cadeaux. Une mamie m’avait tricoté un pull, confectionné des espadrilles… Imaginez qu’en demi-finale, à Lyon, contre le Stade Français, 40 000 Catalans avaient rallié Gerland. Je revois l’image de cette tribune en "sang et or"… Je n’ai jamais connu un tel engouement. Il n’y a que les Basques et les Auvergnats pour rivaliser. Et encore…
Y a-t-il eu un tournant décisif dans la saison ?
Deux choses en fait. Déjà, nous avons passé l’hiver sans trop de dégâts. À l’USAP, on flanchait souvent quand il commençait à faire froid. Les mauvais résultats, les blessures, bref, ça nous plombait. Or, là, la dynamique avait été maintenue. Et puis il y a l’arrivée de Dan Carter. Il nous a décomplexés. C’était un génie. À l’USAP, nous avions Messi. Je me souviens d’une action contre Castres, qui menait 11-9 sous un vent de fou. Et voilà que Dan relance de notre propre en-but, il trouve Porical en relais qui, 100 mètres plus loin, aplatit. Dan a amené l’esprit joueur. Nous nous faisions constamment des films à mourir sur le rugby, alors que pour lui, tout n’était que jeu. A son contact, les trois-quarts ont pris conscience qu’ils pouvaient envoyer du jeu. Et puis l’homme était adorable. L’argent ne l’a jamais changé. Son salaire n’a jamais fracturé le vestiaire. Nous lui étions tous reconnaissants d’avoir choisi un petit club comme l’USAP, un petit stade comme Aimé-Giral, alors que les plus grands lui avaient fait la cour. Il voulait vivre autre chose, entre mer, montagne et Barcelone.
"Avec le joug, on a frôlé le drame"
Que vous inspire votre première place en saison régulière ?
À trois journées de la fin, je crois que nous ne pouvions même plus être rattrapés. Je me souviens de ce match à Dax, qui jouait son maintien. Il pleuvait et nous nous imposons sans l’ombre d’un souci. Nous vivions dans la culture de la gagne. Qu’importe l’équipe qui était alignée, que ce soit les jeunes Perez, Guiry, Mélé ou les anciens. C’est bien simple, nous sommes champions avec 44 joueurs. Souvenez-vous aussi quand nous nous imposons à Toulon avec 14 Espoirs, c’était énorme. Je regardais le résumé de Jour de Rugby sur Canal + et, après ce match, Philippe Guillard avait déclaré : "Il faudra compter avec les Catalans".
Comment avez-vous préparé la finale ?
Nous sommes montés à Matemale en début de semaine. La ferveur de la plaine remontait jusque là-haut. Le club avait monté le joug depuis Aimé-Giral. Et, au bout de dix minutes à nous exercer dessus, nous frôlons le drame. Nous poussions si fort qu’il s’est dessoudé à l’impact. Nicolas Mas a manqué de se faire très mal. Là, Brunel nous a dit : "Je crois qu’on est prêt».
Dans quel secteur se gagne la finale ?
Pas au niveau du rugby. La victoire a été mentale. Sur toutes les phases de contact, nous les avons asphyxiés grâce à Greg (Le Corvec), Chouly, "Pedro" (Perez)… Nous prenons un essai de Nalaga mais Brunel nous avait prévenus : "Il passera au moins une fois, mais ce n’est pas grave". Brock James, un formidable joueur, avait perdu ses moyens ce jour-là. Nous avions une telle soif de vaincre, à l’image de "Zaza" (Marty). Tu mettais un steak au milieu du terrain, il était pour lui.
Comment avez-vous vécu la concurrence avec Guilhem Guirado au poste de talonneur ?
Même si je pense avoir joué un peu plus, les matches ont été justement répartis entre nous. La saison suivante, il était passé devant dans la hiérarchie.Je pense que le fait que je terminais ma carrière et lui qui la commençait nous a servis tous les deux. Cela nous a poussés à en faire toujours davantage. J’ai immédiatement senti qu’il avait un énorme potentiel. Nous nous sommes toujours profondément respectés. À l’image du groupe, finalement. Ce n’était pas toujours "Peace and love" mais il y avait une immense solidarité. Je n’ai jamais voulu donner de leçon à Guilhem. Son grand frère, c’était plutôt Nicolas Mas. Il s’investit à 100 % dans tout ce qu’il fait, il ne triche jamais. J’imagine qu’il doit être malheureux ces temps-ci en équipe de France.
Un groupe Whatsapp : "Les Citrons"…
Continuez-vous à avoir des relations avec vos anciens coéquipiers ?
Bien sûr. Nous nous voyons toujours. À part ceux qui vivent à l’étranger. Nous organisons régulièrement des "bouffes". Nous communiquons sur un groupe Whatsapp appelé "Les Citrons".
Drôle de dénomination…
Cela date du lendemain de la finale de 2010. Nous sommes invités dans un restaurant à Paris. Dans l’entrée, il y avait un immense récipient rempli de citrons. Comme l’ambiance était plutôt aigre et acide à cause de la défaite, je me suis dit pourquoi ne pas lui donner ce nom-là.
Quelle expérience personnelle avez-vous vécue avec le Brennus ?
Je l’ai transporté jusqu’à Pau, une vieille promesse à des amis de là-bas. Nous avions même fait une fête dans les caves de Jurançon. Et puis, le lendemain, je l’ai apporté dans une petite école de rugby du coin. L’année suivante, ils sont devenus champions de France cadets. Cela avait dû les inspirer.
Arnaud Hingray