Je le mets en questions diverses, mais il ne faut pas s'y tromper : la bourgeoisisation des publics sportifs touche autant Paris que d'autres villes (le modèle est celui de la Premiership anglaise), et il n'est pas moins en marche dans le rugby que dans le football. Le sport accessible est au peuple est en train de rejoindre les poussières de l'histoire sur tous les stades, avec la complicité du pouvoir politique (de tous les bords) pour qui le consommateur décérébré est toujours l'espèce la plus désirée.
Excellent article relayé par Le Monde !
http://latta.blog.lemonde.fr/2012/08/31/la-dissolution-du-supporter/
La dissolution du supporter
Le début du championnat de France a eu le mérite de rappeler qu'il existait des équipes en meilleure forme que le Paris Saint-Germain, comme l'Olympique de Marseille, et aussi en plus fâcheuse posture (Montpellier, champion en titre). Difficile, pourtant, d'échapper à l'omniprésence médiatique du club parisien et à la fascination qu'exerce son transfert subit parmi les puissances économiques du continent, comme en témoigne d'ailleurs la coupable surreprésentation du club sur ce blog. L'intérêt suscité ne devrait pourtant pas occulter un phénomène dans le phénomène, pas moins remarquable que le débarquement des stars au Camp des Loges.
OPÉRATION ÉVICTION
"Paris est magique" : le slogan officieux autrefois scandé dans les tribunes trouve une spectaculaire confirmation dans l'incroyable
opération d'escamotage réussie par les dirigeants successifs au cours des deux saisons précédentes. On n'a en effet compris le sens du "plan Leproux" qu'après le rachat du club par Qatar Sports Investments, dont il a été une condition en même temps que la première phase d'un programme plus vaste concernant les tribunes. Dans la foulée de la dissolution ou de l'auto-dissolution des principales associations de supporters, les
mesures de restriction sur les abonnements et le placement aléatoire dans les tribunes ont eu raison de toute présence associative, les Ultras se partageant d’ailleurs entre le boycott, le retour en catimini et le choix d'une expérience cruelle: ne plus pouvoir aimer son club, finir par ne plus le reconnaître.
On ne peut évidemment pas faire abstraction des événements et des actes qui ont entaché la vie du Parc des Princes depuis près de trente ans: exactions racistes, rixes, hooliganisme. Les Ultras portent une part de responsabilité dans leur situation: incapacité à se fédérer, tolérance coupable envers leurs éléments déviants, erreurs stratégiques... À leur décharge, le combat contre le mépris et les amalgames dont ils font l'objet était perdu d'avance. Mais, que l'on se réjouisse ou s'attriste de la métamorphose de ce stade, il faut prendre toute la mesure des événements.
Ce que les dirigeants, avec l'aval des pouvoirs publics, ont éliminé, sous couvert d’élimination des violences et des dérives, c’est une partie essentielle du supportariat qui participait à l’identité du club, dont ils n’étaient pas les moins légitimes des dépositaires – tant les supporters conservent leur fidélité à leur club bien plus longtemps que les joueurs, les dirigeants ou les actionnaires.
MESURES D'EXCEPTION
Les fauteurs de trouble étaient identifiés depuis des années au grain de beauté près (joies de la vidéosurveillance), mais il a été plus rentable de profiter de l'émotion causée par la mort de Yann Lorence, en mars 2010, pour mener un
grand nettoyage en optant pour la punition collective: plusieurs milliers de supporters ont été bannis au nom de la lutte contre une infime minorité d’entre eux. Les pouvoirs publics, longtemps passifs en dépit de leurs gesticulations médiatiques (lire "Sarkozy bloqué au même stade"), ont alors promu, par exemple, les fameuses
interdictions administratives de stade (IAS), sur simple décision du préfet et sur la foi de vagues présomptions, sans intervention de la justice. Beaucoup d’IAS ont ensuite été déclarées illégales après recours devant les tribunaux, mais ça n’a pas empêché les autorités d'en étendre le champ d'application et de les infliger sans discernement. Par exemple, à près de 250 supporters ayant simplement participé à une manifestation (pacifique) aux abords du Parc des Princes en août 2010. S'y sont ajoutées d'ubuesques restrictions de circulation: ces jours-ci, un arrêté préfectoral, a interdit à tout “supporter parisien” démuni de billets pour le Lille-PSG de dimanche de circuler ou de stationner dans la métropole lilloise [1].
Tout récemment,
le directeur de cabinet du préfet de police de Paris, Jean-Louis Flamenghi, a admis l’existence d’une “liste noire“ d’anciens interdits de stades n’ayant le droit ni de s’abonner, ni d’acheter des billets (lire ici). Une façon de transformer les IAS en condamnations à durée indéterminée, en toute opacité. Et désormais, sans vergogne. Les pouvoirs publics se livrent ainsi à un exercice tout à fait étonnant: la
chasse non pas aux hooligans, mais aux Ultras, population criminalisée, déclarée indésirable, et bannie sans avoir, dans son écrasante majorité, commis le moindre délit (pas même l'usage des fumigènes que la Ligue assimile au hooliganisme – lire "Délit de supportérisme"). Le tout avec la
bénédiction des médias, qui dans leur majorité, n'accordent pas la moindre importance à ces événements.
DEUXIÈME TOUR ÉLIMINATOIRE
Ce
stade ultrasécurisé, doté de lois spéciales qui en restreignent l'accès, devient aussi, sans surprise, un centre de profits optimisé. Cette saison, la
hausse brutale des prix des places et des abonnements marque la deuxième phase du processus de remplacement du public. C'est qu'il s'agit d'
installer une clientèle plus sage et plus sympathique pour l'opinion publique, mais aussi plus aisée et plus consommatrice. Les propriétaires du PSG ne sont pas tout à fait ses mécènes, et ils doivent augmenter ses revenus en raison de la mise en œuvre du "fair-play financier".
L'expropriation du public populaire doit suivre celle des Ultras, et elle s'accomplit d'autant plus en douceur que ces derniers, qui portaient justement un discours critique sur la marchandisation du football et constituaient le seul contre-pouvoir audible, ont disparu. À Paris, la politique des stars assure le succès de l'opération tout en justifiant l'inflation du prix de l'accès. Le tour de magie est fini: regardez bien, les supporters ont disparu.
Le néo-PSG a donc relégué à l'état de souvenirs un Parc des Princes dont l'acoustique phénoménale faisait détoner la clameur des deux kops (lire "Parc Life"). Avec son architecture singulière et son histoire dense, il était presque toujours désigné comme le préféré des joueurs et sa réputation était de dimension européenne. L'ambiance du vaisseau de Roger Taillibert est devenue
très corporate: les drapeaux sont fournis, les slogans officiels parsèment les gradins et le bord du terrain, ainsi que les panneaux publicitaires pour QNB (Qatar National Bank) ou Be In Sport qui estampille aussi les écrans géants. En dépit de son impact sonore très limité, ce peut être un public difficile lui aussi: il en veut pour son argent, siffle à la mi-temps, abandonne vite la partie, ne reviendra pas si d'aventure les résultats ne suivent pas...
La reprise du Paris SG laisse sur le carreau le noyau dur des supporters, et l'on sent à quel point cette expérience pourrait faire école auprès des autres clubs. Le pari est pourtant risqué à long terme: peu enracinée en France, la culture du football peut-elle se passer aussi aisément du public le plus dévoué à sa passion?
Ce Parc des Princes pasteurisé laisse une immense nostalgie, qu'ont voulu décrire les réalisateurs du documentaire Parc, donnant largement la parole à ceux ont connu celui d'avant. Au moins en restera-t-il quelques témoignages, afin que le souvenir n'en disparaisse pas trop vite, éclipsé par l'éclat (ou le clinquant) du nouveau PSG.