C’est peut-être ce qui le décide à jouer les oiseaux de nuit, le pousse à accepter un boulot où il joue les gros bras intimidants dans les casinos. Il gagne bien sa vie, mais comme il le dit sans détour "l’argent me brûlait les doigts. Je n’avais aucune notion de sa valeur… J’en gagnais mais c’était pour le dépenser." Il divorce, laisse derrière lui une femme et deux garçons. Il retrouve la rue, les mauvaises fréquentations, fait le coup de poing à l’occasion. L’armée puis le rugby, qui l’avaient aidé à canaliser sa fougue et donné quelques repères, ne jouent plus leur rôle modérateur. Le Sud-Africain Barend Britz, son "papa" du rugby, et en dehors, qui le recadrait après chaque incartade, lui faisait la morale à l’occasion et lui rabâchait qu’il fallait "travailler dur pour réussir" n’est plus présent au quotidien. Son décès tragique bouleverse notre homme. Livré à nouveau à lui-même, Alain Fourny brûle la vie par les deux bouts.
Chaîne de solidarité
L’histoire avec l’USAP se termine en eau de boudin. Une bagarre contre les Grenoblois, pour venger les insultes racistes proférées à son pote Ber’ (Goutta) scelle la fin de sa carrière. Olivier Saïsset n’a pas apprécié. Lui a toujours envie d’en découdre. Ce sera sur les rings. Les coups reçus à la boxe et dans tous les arts martiaux où il s’essaye avec enthousiasme, le grisent, puis le brisent. Il se décide à aller consulter Christian Fournols, son docteur des années USAP. "Il m’a engueulé comme si j’étais un gamin… Mon canal rachidien se rétrécissait, ma mâchoire était pleine d’arthrose, on m’avait enlevé les scaphoïdes… Je l’ai écouté, penaud."
Une chaîne de solidarité se crée autour de lui. Maud Camatta, l’ancienne internationale de rugby, aujourd’hui secrétaire à Présport, remplit une demande d’invalidité. Le cardiologue qui l’ausculte, le docteur Thomas Rousseau, le prévient qu’il risque un AVC. "La peur m’a envahi, reconnaît Alain Fourny. J’étais trop fier pour accepter mes handicaps. Je ne voulais pas aller voir les médecins. Je faisais de l’automédication pour soulager mes douleurs. Tramadol. Opium. Morphine. Je devenais exécrable pour mon entourage. L’arthrose me rongeait. Et puis Maud m’a parlé comme à un frère :
Arrête tes conneries, Alain. Prends-toi en mains !"
Ce fut le déclic. Il décide de confier sa santé à des professionnels. Avec l’aide de José Gimenez, un ancien croupier qui rachète des casinos partout en France, il retrouve un emploi et de la dignité. Homme à tout faire, dans ses salles de jeux. Un dentiste supporter de l’ASM, qui avait assisté à la finale du Du Manoir en 1994, prend en charge sa dentition en péril. Il se rapproche de ses fils, Anthony, l’aîné, qui arrêta le rugby trois ans "parce que tout le monde voulait que je ressemble à mon père… C’était impossible !"
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Fabien, le plus jeune, agit lui par mimétisme. Il est sapeur-pompier à Port-Vendres. Comme papa. Joue deuxième ligne à la Côte Vermeille. Comme papa. Il s’est mis au MMA. Comme… "Pour moi, il est un exemple, assure Fabien. Papa a toujours été au bout de ce qu’il entreprenait." Ses handicaps acceptés, Alain Fourny revit. Andrée est à ses côtés pour l’aider à gagner ses prochains combats. Certainement les plus durs. Mais rien n’a jamais fait peur au rugueux deuxième ligne de l’USAP puis de la Côte Vermeille. "Je vais essayer de courir plus vite que l’arthrose, se marre-t-il. Me battre c’est l’histoire de ma vie."
De Collioure à la Côte Vermeille
Né dans une famille d’émigrés albanais, à Chambourcy, Alain Fourny est élevé par ses grands-parents maternels, installés à Saint-Germain-en-Laye. Entre un père absent du domicile familial, qui suit à longueur d’année les caravanes des gens du voyage et une maman à la santé fragile, il grandit en suivant les cours de l’école… de la rue. Il rejoint Perpignan à l’âge de 14 ans pour retrouver son père. Sa mère, fatiguée, ne peut plus le garder près d’elle.
Bagarreur, il pratique le taekwondo à Las Cobas, enchaîne les bêtises. Un juge lui met alors un marché en mains : où il devance l’appel à l’Armée, ou il passe entre les mains d’un éducateur. Il choisit la première option, s’engage dans les paras, et atterrit au centre commando de Collioure. En 1987, l’adjudant Battisti lui dit que le club de rugby local recrute. Lui n’a jamais touché un ballon, mais il a des arguments physiques. Il joue en deuxième ligne, se fait remarquer plus par sa rudesse que ses passes croisées…
Deux ans plus tard, il rejoint pourtant l’USAP en manque de joueurs de gabarit. Commence alors pour lui une carrière qu’il n’avait jamais imaginée. Avec son ami et mentor sud-africain, Barend Britz, ils forment un attelage de choc. La victoire en finale du challenge Du Manoir 1994, contre l’ASM, concrétise son ascension rugbystique. Ce sera son Graal car il n’est pas convoqué pour la finale de 1998 face au Stade Français. Deux ans plus tard, Olivier Saïsset ne lui faisant plus confiance, il retourne à Collioure, joue pour la Côte Vermeille. Parallèlement, il se met à la boxe anglaise, puis au full-contact, au kick-boxing avant de terminer sa carrière en MMA. Aujourd’hui il est le premier supporter de la Côte Vermeille, où jouent ses fils, Anthony et Fabien.
Gilles Navarro