« On avait Maradona dans le bus ! »
On m’appelle Papy à cause de mon grand ami Bernard Goutta. Quand je suis arrivé à l’USAP, en juin 2005, il m’a trouvé ce surnom et j’avais un peu protesté, grave erreur de s’énerver ! Bien sûr, après ça, tout le monde m’a appelé Papy…
Zaza me disait : « Enlève cet ****** »
En 2008-09, c’est moi qui m’occupais des vidéos dans le bus lors des déplacements. À l’époque, c’était des VHS, je louais des films et j’avais tout sur Maradona. Pour moi, Maradona c’est… Je n’ai pas appellé mon fils Diego, mais c’est tout comme. Donc, à chaque déplacement, je mettais la cassette de Maradona. Tout le monde râlait mais je répondais : « Fermez vos gueules. Comme c’est moi qui m’occupe des films, je choisis. » Et d’office je balançais « La Mano de Dios » (du chanteur Rodrigo). Ayant joué en Angleterre (à Sale en 2004-05), j’avais été interpellé par le rôle de la musique dans les vestiaires. Je me suis dit : « Pourquoi pas ici ? » En France, dans les vestiaires, c’était plutôt coups de tête et gifles, ça ne rigolait pas trop pour se motiver. Alors, j’ai décidé d’introduire la « Mano de Dios » pour bousculer tout le monde et surtout « Zaza » (Marty), qui me disait : « Enlève cet ******. » C’est parti de là et ça s’est enchaîné avec les matches. J’ai mis un peu la psychose dans le bus et le vestiaire ! (sic)
« Brunel m’a défoncé »
Je vais vous parler d’autre chose, mais vous verrez que tout a un lien.
Le 7 février 2009, j’annonce à Paul Goze (le président) que j’arrête ma carrière en fin de saison. Il m’avait donné rendez-vous dans une de ses boulangeries avant un stage à Saint-Cyprien.
- « Pourquoi tu veux arrêter, je cherche un pilier gauche, pas un droitier ? Tu as un problème avec quelqu’un ? »
- « Non président, j’arrête parce que cette année on va être champion. »
- « T’es malade, arrête tes conneries. »
Le lundi suivant, je suis invité chez France Bleu Roussillon, l’occasion d’officialiser ma décision. Je voyais Benoît Brazès (le responsable communication) transpirer à grosses gouttes et me faire de grands signes pour que je ne dise rien, mais j’ai accaparé l’antenne. Je raconte d’abord quelques saucisses et, d’un coup, je balance en direct : « La vérité, c’est que j’arrête parce que l’USAP va être championne de France. » Le lendemain, Jacques Brunel (le manager) me défonce dans le vestiaire : « Papy, tu sais bien qu’il ne faut jamais annoncer ça, surtout trois mois avant, t’es fou ou quoi ? ! » Mais je sentais qu’il y avait quelque chose qui faisait que…
« On s’est mis plusieurs fois sur la gueule »
Depuis 2004, on n’arrêtait pas d’échouer en phases finales, tout le monde nous craignait mais, en fait, on était une bande d’abrutis. Les mecs en face disaient toujours : « Les Catalans, laissez-les venir, ils vont nous crever mais après, ils font tellement de fautes qu’on va passer aux pénalités. » Et c’est ce qui se passait. On était trop indiscipliné, pour ne pas dire autre chose. On mettait la tête là où d’autres ne mettaient pas les mains. Pour l’anecdote, on faisait parfois des entraînements à huis clos parce que ça devenait tendu. On s’est mis plusieurs fois sur la gueule, demandez à Greg (le Corvec), on s’est battu tous les deux. Si tu ne t’envoies pas à l’entraînement, comment peux-tu t’envoyer en match ? On est des pros, pas des magiciens. Vilacéca, il a fait une super carrière mais, à l’époque, c’était une épingle à linge, il venait de Céret quoi ! Mais il se battait comme un lion. Voilà pourquoi Jacques nous a fait beaucoup de bien, il a discipliné la passion, on en avait tous besoin.
« Damien, t’as intérêt à rapporter la cassette, sinon tu seras responsable de la défaite »
Donc cette saison-là, j’y croyais vraiment. Mais il fallait que le côté psychologique soit de notre côté. Pour moi, un sportif de haut niveau, c’est 90 % dans la tête. C’est là que je reviens à la chanson. Un jour, pour le déplacement à Brive, j’oublie la cassette. C’était le premier match à l’extérieur de Dan Carter. Comme j’avais créé une psychose, tout le monde se rappelait que je l’avais déjà oubliée lors du match à Clermont (en saison régulière), et on avait perdu. Comme toujours, j’étais monté en dernier dans le bus avec Rimas et je vois tous les mecs têtes basses. « Les gars, vous savez pourquoi on a perdu à Clermont ? » Brunel me regarde avec sa moustache frétillante : « Qu’est-ce qu’il va encore dire celui-là ? » C’était pourtant simple : « On n’a pas perdu parce qu’on a fait trop de fautes, non, on a perdu parce qu’on a oublié la cassette. » Le déplacement suivant, je la prends, et on gagne. J’explique : « Les gars, vous savez pourquoi on a gagné ? Parce qu’on avait Maradona dans le bus ! »
Donc à Brive, rebelote, je l’oublie. Or, la chanson était devenue notre hymne. David Mélé et certains joueurs ont dit : « On ne part pas ». À l’époque, mon ex-femme était enceinte et je me suis dit qu’elle allait me tuer si je la dérangeais. J‘appelle Chouly qui habitait près de chez moi : « écoute Damien, je vais me faire tuer mais passe à la maison, t’as intérêt à rapporter la cassette sinon tu seras responsable de la défaite. » Tout finit par se régler, mais on avait pris un peu la honte devant Carter. Je lui glisse tranquillement : « Dan, tu vois celui-là (Maradona), il est gaucher comme toi, mais il a tout prouvé. Là, on va à Brive, on va voir si tu es bon. » Vous vous souvenez de son match ? Carter a été énorme. Quand on jouait à la maison, ce n’était pas pareil, personne ne rentrait dans notre vestiaire et surtout pas les médias, qui parlaient de nous en mal. Une fois, contre Castres, Canal + nous a demandé de baisser le son de « La Mano de Dios ». On a répondu : « Ici, c’est notre vestiaire. Mais si tu veux te barrer, ça ne nous dérange pas. »
« Celui qui baisse le regard, il est mort »
Pour la finale à Paris, c’était différent. Le groupe se sentait serein et n’avait qu’un souci : « Où va-t-on regarder la vidéo de Maradona dans l’avion ? » Je vous jure que c‘est vrai. J’avais envisagé de prendre un rétroprojecteur, de mettre un drap, bref… Lors de sa causerie, Jacques a parlé d’un de ses amis, qui était boxeur. « Un boxeur, disait-il, sait s’il va gagner avant même de combattre, juste en regardant son adversaire dans les yeux. Celui qui baisse le regard, il est mort. » Dans le tunnel, c’est ce qu’on a fait. À part Cudmore et Rougerie, tous les Clermontois ont fait comme ça (il mime la tête baissée). On s’est dit qu’on ne pouvait pas perdre.
Mon seul but, c’était la victoire. Moi qui suis un fou de foot, je me souviens que l’Argentine avait une équipe catastrophique lors du Mondial 86 mais elle possédait Maradona. La finale est pourrie mais l’Argentine est Championne du monde (1-0) ! Voilà, moi je voulais gagner 3 à 0 contre Clermont. À la fin du match, la communion avec le public fut extraordinaire, parce que les Catalans, ils sont complètement fous ! On était une équipe très revancharde, on venait de Perpignan, on n’était aimé par personne, alors la fête qui a suivi au Castillet, j’en pleure encore, j’ai la chair de poule à chaque fois que j’en parle. Carter m’a dit : « Je n’ai jamais vécu ça. » C’était grâce à Maradona. Des années plus tard, j’ai eu le privilège de faire un footing à ses côtés en Argentine, il y a eu une émeute dans la rue. Maaaa, après ça, tu peux mourir…