Le 2 mai dernier, assis au bord du terrain de Mayol, Guilhem Guirado a remonté le temps. Le talonneur a rembobiné dix saisons, 67 sélections, une Coupe d’Europe et trois défaites en finale de Top 14 pour s’arrêter sur la saison 2008-2009. Avant de devenir l’un des meilleurs joueurs de l’histoire de l’USAP et des Bleus et de voir naître quelques cheveux blancs, il n’était qu’un petit jeune à l’école des grands. "Tu vas voir le bébé ?", taquinait d’ailleurs Grégory Le Corvec quelques heures plus tôt.
En 2009, vous n’aviez que 22 ans…
À cet âge, on ne se rend pas compte de ce qu’on réalise. Un petit peu fougueux, insouciant, inconscient de ce qu’on fait. Je voulais juste jouer, déconner. On avait un groupe qui vivait vraiment très, très bien. On se remémore des fois les conneries qu’on pouvait faire, c’était vraiment énorme parce qu’on réfléchissait pas à ce qu’on faisait. Même s’il y avait des joueurs expérimentés, c’était top dans le groupe parce qu’on arrivait à se retrouver sur le terrain et être bons, ou du moins à gagner les matches, c’était l’essentiel. On a vécu de belles années, de fortes années où les résultats étaient présents. Ça a permis à certains joueurs d’éclore et de goûter à ce qui se faisait de mieux à l’époque.
"On rentrait par l’arrière du vestiaire"
N’étiez-vous pas impressionné par le vestiaire de cette époque ?
Déjà, on rentrait par l’arrière du vestiaire, comme ça on n’était pas intimidé. On avait des petits placards, beaucoup plus petits que ceux des pros. Rien que d’être à l’entraînement, c’était exceptionnel. Si on avait tendance à vouloir rouler des mécaniques, on prenait la deuxième saucée avec "Pompon" qui nous faisait redescendre sur terre (Joseph Ponseille, intendant de l’USAP). C’est un climat qui a fini mon éducation, de faire de moi un homme et un joueur de rugby. Si aujourd’hui j’en suis là, c’est grâce à ça.
Dans quel état d’esprit débutiez-vous cette saison ?
Je dois gagner ma place. J’ai fait un an où j’ai pu montrer le bout du nez. J’ai réussi à faire de belles petites performances. Je sais qu’il va falloir mettre les bouchées doubles. Le plus dur c’est la confirmation. C’est toujours "facile" quand on est une jeune pousse et qu’on arrive parce qu’il n’y a pas beaucoup de lumière sur vous, personne vous connaît donc c’est plus facile d’éclater et surtout de passer inaperçu. Une fois que vous avez montré le bout du nez, que vous êtes international assez jeune, c’est toujours compliqué. Ce qui a été le plus important pour moi c’est que j’ai réussi à hausser mon niveau et encore apprendre.
Comment avez-vous vécu les jours précédant la finale ?
Je sais qu’avant les demi-finales, on était monté à Matemale en stage de préparation. On s’était bien préparé au niveau rugby mais on avait vraiment déconné… Moi non, toujours calme, discret, mais j’en connais certains, les boute-en-train de l’équipe… C’est ce qui avait été bon mais on n’oubliait pas l’objectif du rugby. À l’approche de cette finale, on avait peur parce qu’on savait que c’était historique, que ce soit pour Clermont ou nous. On avait hâte de pouvoir la jouer parce que pour la plupart on découvrait le stade de France, une finale. On avait des joueurs expérimentés qui en avaient déjà joué, je pense à Nico (Mas), Greg (Le Corvec), Olivier Olibeau avec Biarritz. Ils nous avaient permis de bien préparer l’événement.
"La peur de ta vie"
59e minute, 16-13. Vous entrez sur le terrain.
Là tu as la peur de ta vie… C’est malheureux mais à la place de me dire "je vais rentrer, je vais tout casser, apporter de la sérénité", tu te dis "surtout, pas de connerie… Essaye de profiter, faire quelque chose pour l’équipe, mais surtout pas de connerie, pas de pénalité, pas de faute bête. Sois lucide et intelligent." Je me rappelle qu’il y avait eu une mêlée à 5 mètres où ça avait été très, très dur à gérer et on avait réussi à récupérer une pénalité. Ça avait été un tournant du match. Vingt minutes, on peut penser que c’est pas grand chose mais je me rappelle que quand j’étais rentré j’avais énormément envie, parce que j’aurais aimé commencer cette finale, mais Marius (Tincu) avait fait le boulot sur la première mi-temps, je me devais de le finir. Et avec tous ceux qui sont rentrés d’apporter l’estocade.
Que vous reste-t-il de la joie qui a suivi ?
J’ai des flashs de l’après où on saute tous partout, on se prend tous. Il y a Jacques Brunel qui laisse un morceau de disque parce qu’il porte Sébastian Bozzi. Très, très dur. La communion, on va vers les supporters. Pour l’anecdote, un petit peu déçu aussi qu’ils aient fait un petit podium minuscule. Je sais que Nico, au moment d’avoir le bouclier, c’était tellement étroit qu’il ne passait pas. Du coup ce n’est pas lui qui le montre au public. Pas qu’on en ait souffert, mais on est assez fiers, assez fiers de pouvoir montrer ce qu’on avait fait en tant qu’équipe.
"Nicolas Mas, c’est devenu mon frère"
Au fil de l’interview, Guilhem Guirado a délivré quelques bribes de son éthique de travail. "
Malheureusement, une carrière, tu n’as pas le droit au moindre relâchement. Mais c’est aussi ce qui fait la beauté du sportif de haut niveau. Le compétiteur n’arrête jamais, il ne laisse jamais un mois ou deux pour profiter, savourer tranquille, se dire je suis épanoui, j’ai réussi quelque chose dans ma vie. Même dans les vacances, on a envie que d’une seule chose, revenir, travailler plus fort, plus dur, prouver en permanence" Outre son éducation, le talonneur a grandi à l’ombre de grands joueurs de l’USAP. Des légendes, le mot n’est pas trop fort, apôtres du travail et de la discrétion.
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Ma première année professionnelle, 2006-2007, a été fondatrice pour moi, explique Guirado. J’ai côtoyé des joueurs qui étaient sacrément expérimentés, qui nous ont inculqué des valeurs. Le fait d’avoir pu jouer avec Bernard Goutta, capitaine emblématique de l’USAP, ça m’a permis de vivre et réaliser un de mes rêves. Ça m’a permis de continuer mon éducation."
"Il y a des joueurs qui n’ont peut-être pas été champions mais qui ont été importants pour le groupe. Je pense à Michel Konieck, Christophe Porcu et pleins d’autres joueurs comme ça qui ont permis au club de rester tout en haut. Avec ce titre, même s’ils n’étaient pas sur le terrain et qu’ils n’ont pas eu la chance de lever le bouclier, c’est aussi une façon de leur rendre hommage parce que je sais ce qu’on leur doit."
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Nicolas Mas m’a pris comme son petit frère et moi son grand. Il y a eu cette transmission avec lui avec Pascal Meya, Steph’ de Besombes et Renaud Peillard. C’est ce qu’il a voulu retranscrire. Quand je dis qu’une ligne conductrice d’un club, c’est vraiment important. J’espère que ces valeurs-là vont rester, perdurer. Ce que j’ai vécu avec Nico, ça va au-delà du rugby. Je suis redevable déjà d’avoir pu jouer à ses côtés, parce que c’est peut-être un des meilleurs piliers au monde. Mais surtout, c’est devenu mon frère."
- "On avait pleuré dans notre chambre"
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On était tout le temps en chambre avec Nico, on discutait énormément. On parlait de tout, de la vie de groupe, de comment se préparer… On savait qu’on partait en tournée en Nouvelle-Zélande (avec le XV de France) et que si on était champions, on pouvait pas rentrer. On devait partir le lendemain, Maxime (Mermoz) et Damien (Chouly) aussi. J’aurais aimé que la famille communie avec moi. Avec Nico, on avait regardé les images dans la chambre en arrivant en Nouvelle-Zélande et on s’était mis un à pleurer parce que pour nous, même si on avait fait le boulot sur le terrain, on avait manqué la fête que tous les Catalans attendaient. C’était tellement historique qu’avec Nico, en tant que Catalan, c’était difficile à voir."