Publié le 14/11/2024 à 16:03
Devenu patron des All Blacks après la dernière Coupe du monde, après avoir remporté sept Super Rugby avec les Crusaders, Scott Robertson avait joué pendant trois ans à Perpignan entre 2003 et 2006, où il a laissé un très bon souvenir.
Aimé-Giral est en fusion en ce jour de décembre 2003. L’Usap reçoit Biarritz pour le compte de la 5e journée de championnat. L’affiche est belle, d’autant plus que tout le peuple catalan est impatient de voir les débuts d’un All Black avec le maillot sang et or. Scott Robertson, plus de vingt sélections avec la Nouvelle-Zélande et un prometteur surnom de "The Razor", est présent sur le banc des remplaçants. À l’heure de jeu, le grand blond aux larges épaules enlève la chasuble et attend un arrêt de jeu pour entrer sur la pelouse. La suite appartient à l’histoire.
"Avant son entrée en jeu, Aimé-Giral rugissait, se souvient Bernard Goutta.
Tous les supporters scandaient son nom. C’était dingue. Lui entre sur le terrain en applaudissant, chauffant encore plus la foule." Ludovic Lousteau, numéro 9 dans le dos, poursuit :
"Je le vois mettre un énorme plaquage à un mec. Sur l’arrêt de jeu suivant, je dois introduire en mêlée. J’arrive et je ne vois pas de numéro 8. Je me retourne et je l’aperçois dans les bras des kinés." "Déchirure à un mollet, il doit quitter le terrain, enchaîne Bernard Goutta.
Cette anecdote nous a fait beaucoup rire."
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Preuve que Scott Robertson a beaucoup d’humour, il n’avait pas oublié ses premiers pas sous le maillot catalan quinze ans plus quand il a accueilli Ludovic Lousteau aux Crusaders.
"Je l’avais contacté en 2017 pour observer son travail pendant trois mois, du premier jour de la reprise de l’entraînement au premier match de Super Rugby. Il avait trouvé l’idée géniale et m’avait ouvert toutes les portes. J’arrive donc aux Crusaders en 2018 et devant toute son équipe, il a raconté cette anecdote en me présentant."
Scott Robertson avec l’Usap. Stephane Cervos / Icon Sport
Un maillot dédicacé en cadeau
Scott Robertson a disputé 54 matchs avec l’Usap en trois saisons, souvent coupé dans son élan par un corps peu habitué à un tel rythme de compétition et à des genoux légèrement grinçants. Pourtant, personne ne regrette sa venue et tout le monde en parle encore avec ce brin de nostalgie qui laisse penser que l’homme a laissé une trace, notamment pour le président de l’époque Marcel Dagrenat :
"C’était un garçon très ouvert qui s’est très vite adapté à nos us et coutumes, même à la bouffe, car je me souviens qu’il aimait la cargolade. C’était vraiment un bon mec. Il s’est fondu dans le groupe tout de suite. Il participait énormément, même quand il ne pouvait pas jouer, et il nous a fait des belles parties, notamment en Coupe d’Europe. Il nous avait aussi sorti de la mouise contre Bourgoin à Saint-Étienne. C’était un très bon joueur, très respecté dans le vestiaire. C’est un super mec, un bonbon, d’une politesse, d’une droiture."
Scott Robertson face à la presse. Sportsfile / Icon Sport - Sam Barnes / SPORTSFILE
La relation entre les deux hommes a dépassé celle d’un patron et d’un salarié. Marcel Dagrenat avait d’ailleurs pensé que le destin du Néo-Zélandais s’écrirait pour longtemps en Catalogne :
"Quand j’ai eu les premiers contacts avec lui, il m’a expliqué qu’il voulait finir sa carrière en Europe, tout en ayant la perspective de devenir entraîneur. Je me suis dit que l’on pouvait faire d’une pierre deux coups. Je l’ai donc recruté pour jouer troisième ligne et, dans ma tête, j’avais déjà une proposition pour qu’il devienne entraîneur. Il s’intéressait beaucoup à l’entraînement mais l’entraîneur que j’avais à l’époque (Olivier Saisset, N.D.L.R.),
ça ne l’intéressait pas beaucoup que Scott Robertson s’intéresse à son entraînement. J’avais dû l’expliquer à Scott et il l’avait compris. Mais je serais resté à l’Usap, Scott Robertson aurait été entraîneur de Perpignan. Quand je suis parti de l’Usap, il m’a appelé pour me dire qu’il avait un cadeau pour moi. C’est rare qu’un joueur fasse un cadeau à son président. Il était venu chez moi pour m’offrir son maillot des Blacks signé, avec le numéro 7. Je l’ai précieusement encadré." La légende voudrait que Scott Robertson ait donné Marcel comme second prénom à son fils, Macklan-Gaultier, né à Perpignan.
"Je pense que c’était une blague", tempère l’ancien président.
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Des appels du pied pour entraîner en France
Dans le vestiaire, l’actuel entraîneur des All Blacks a rapidement été adopté dans une équipe au caractère bien trempé.
"Tout d’abord, c’était un recrutement judicieux car il correspondait à l’identité catalane, explique Bernard Goutta.
Il aimait le combat, être dur sur l’homme. Il représentait tout ce que les supporters catalans aiment. Il collait à l’ADN du club. Après, Scott est fun et très intelligent, curieux de tout et qui a soif d’apprendre. Tout le monde l’appréciait dans le vestiaire car c’était aussi un boute-en-train. Il avait parfois des réactions surprenantes mais nous avons appris à connaître le personnage (rires)
et nous l’avons apprécié comme il était. C’est un mec exceptionnel, un peu fou par moments, pas tout seul dans sa tête (rires)." Ludovic Lousteau a aussi été marqué par la gentillesse de l’international néo-zélandais :
"C’était une énorme star mais on ne mesurait certainement pas la vedette que c’était quand il est arrivé. Il était tellement simple, humble, respectueux, sérieux sans se prendre au sérieux. Sa science de jeu était intéressante mais il n’est pas du genre à passer devant pour s’imposer. Ça s’est fait naturellement. Ce n’est pas quelqu’un qui voulait réussir à tout prix et qui ne respectait rien en pensant qu’il avait la science infuse. Il y avait des gens qui étaient là depuis longtemps, des capitaines. Il s’est fondu dans le collectif en nous amenant son savoir."En montrant l’exemple sur le terrain, notamment dans le secteur défensif où il avait gagné ses lettres de noblesse en Nouvelle-Zélande :
"Il aimait la défense, sourit encore l’ancien demi de mêlée.
Pour jouer à côté de lui, c’était impressionnant, tu entendais couiner les mecs. J’entendais des "hi han",
je me disais que c’était bon (rires)." Il a aussi réalisé quelques prouesses sur le terrain, avec des gestes techniques qui n’étaient pas encore très répandus dans l’Hexagone, comme le souligne Bernard Goutta :
"Il nous a appris le offload, la passe après contact (rires). Je me souviens encore d’un essai qu’il avait fait marquer à Grégory Le Corvec sur un offload après un départ de mêlée. En étant entraîneur aujourd’hui, je regrette que nous n’ayons pas plus utilisé un mec comme lui, avec son énorme expérience. Il venait du pays où on joue le mieux au rugby. On le voyait aux entraînements, quand quelque chose n’allait pas, il faisait sa tête en levant ses gros sourcils sans pour autant s’imposer, mais il donnait des conseils, ajustait des postures, car il était dans la précision sur des petits détails."
Scott Robertson dans son costume de sélectionneur des All Blacks. Sportsfile / Icon Sport
Scott Robertson a conquis les cœurs en Catalogne et l’histoire aurait pu être incroyable sur le plan sportif avec une finale de championnat malheureusement perdue face au Stade français en 2004. Le Néo-Zélandais avait les larmes aux yeux lors de son dernier match avec les Sang et Or à Aimé-Giral, un jour de mai 2006, porté en triomphe après un succès 52 à 0 face à Toulon. L’ancien troisième ligne n’a depuis jamais caché son intention de revenir en France. Croisé en 2015 à Calvisano, au soir d’une victoire écrasante sur les Bleuets avec les Baby Blacks (45-7) qu’il dirigeait alors, et quelques jours avant un sacre mondial face à l’Angleterre ; Scott Robertson s’était enthousiasmé en apprenant que nous étions du Midi Olympique :
"J’ai tellement aimé mes années à Perpignan. J’adorerais venir entraîner en France. Vous pensez que je pourrais trouver un boulot ?" Cette bouteille à la mer, lancée dans nos colonnes quelques jours plus tard, n’a pas trouvé de destinataire. Il avait réitéré sa volonté de revenir en France en 2020 après avoir été snobé par sa fédération pour prendre la tête de la sélection nationale. Ce samedi soir, il sera bel et bien de retour à Paris, mais à la tête des All Blacks.
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Ses anciens coéquipiers admiratifs de son maangement
Les anciens partenaires de Scott Robertson, Ludovic Lousteau, aujourd’hui dans le staff de l’Union Bordeaux-Bègles, et Bernard Goutta (ancien entraîneur de Clermont et manager de Colomiers et Agen) ne sont pas surpris par la réussite de l’ancien troisième ligne.
"Scott, c’est un tout, au-delà du rugby, tente d’analyser l’ancien demi de mêlée qui a eu la chance de voir Scott Robertson à l’œuvre en Nouvelle-Zélande
. C’est sa façon de manager les hommes. Je l’ai vu faire au quotidien et c’était impressionnant. C’était un père, un grand frère et en même temps le boss, avec beaucoup de respect mais sans jamais avoir un surplus d’autorité. Il a cette autorité naturelle. C’est pour cela qu’il peut se permettre de faire des danses pour fêter les titres. Il a cette aura naturelle parce qu’il maîtrise tous les sujets. Il arrive à emmener tout le monde avec lui." Les danses de "Razor", devenues célèbres, font partie de son management pour Bernard Goutta :
"Je suis sûr qu’il ne sera pas loin lors de la prochaine Coupe du monde. Il a un don : il est entraînant, très intelligent, les joueurs l’adorent, ils veulent gagner pour le voir danser. On comprend le processus qu’il a mis en route. Scott, c’est quelqu’un qui sait captiver les gens."
Digest
Né le : 21 août 1974 à Tauranga (Nouvelle-Zélande)
Surnom : The Razor
Poste : troisième ligne
Clubs successifs : Bay of Plenty (1995), Canterbury et Crusaders (1996-2003), Perpignan (2003-2006), Ricoh Black Rams (2006-2007)
Sélections nationales : 23, en équipe de Nouvelle-Zélande (1998-2002)
1er match en sélection : à Christchurch, le 1er août 1998, Nouvelle-Zélande – Australie (23-27)
Points en sélection : 20 (4 essais)
Palmarès : En tant que joueur : vainqueur du Super Rugby avec les Crusaders (1998, 1999, 2000 et 2002), vainqueur du NPC avec Canterbury (1997 et 2001), vainqueur du Tri Nations (2002). En tant qu’entraîneur : vainqueur du Super Rugby avec les Crusaders (2017, 2018, 2019, 2020, 2021, 2022, 2023), vainqueur du NPC avec Canterbury (2008, 2009, 2010, 2011, 2012, 2013, 2015, 2016), vainqueur du championnat du monde U20 avec les Baby Blacks (2015).