Reportages : un nouveau souffle pour les arbitres français
Avec la nouvelle structuration de l’arbitrage français, un stage d’un genre nouveau a été proposé aux arbitres de tout type. L’idée étant de créer une équipe soudée et donner une vision commune à l’arbitrage français.
C’est à la fois une tradition, et le premier du genre. Le stage estival des arbitres professionnels s’est tenu à Génos-Loudenvielle (Hautes-Pyrénées) la semaine passée, et la volonté a été de porter un nouveau souffle sur cette profession à part dans le paysage rugbystique. Pour la première fois, arbitres de champ, de touche, vidéos, représentants fédéraux et même staffs de Top 14 et de Pro D2 ont été invités à partager une réunion, une journée ou une semaine pour donner un nouveau cadre au rugby professionnel. Et déjà, donner aux arbitres une vision commune, comme le désirent de leurs vœux Romain Poite et Mathieu Raynal, placés à la tête de cette nouvelle cellule technique conjointement par la fédération et la Ligue. Le but étant de former une élite arbitrale dans le rugby professionnel et pas seulement.
Un stage de présaison à la manière des clubs
Au programme de ces quelques jours dans la vallée de la Neste du Louron, on a voulu faire en sorte de fonder une équipe :
"créer un lien en interne plus soutenu" pour avoir
"une image forte", comme l’explique Romain Poite. Certes, des réunions très universitaires sur les règles et leurs modifications ont été assurées. Mais on a aussi tenu à offrir aux arbitres une préparation physique digne de ce nom. Et, comme le font les clubs, des olympiades et une soirée conviviale ont été prévues. Les différents officiels de match se sont mélangés et affrontés par équipes pour favoriser
"la cohésion entre arbitres", qui n’ont dans la saison pas l’occasion
"de se croiser et d’échanger", témoigne Aurélie Groizeleau.
De la même façon, la venue des staffs de Top 14 et Pro D2 contribuera certainement à l’apaisement des relations lors des moments chauds de la saison sportive. Du moins, c’est le souhait exprimé par les deux anciens arbitres :
"On a listé tous les manques qu’on a constatés dans notre carrière d’arbitre et personnellement, comme Maxime Chalon d’ailleurs, que j’ai vus quand j’étais dans un staff, raconte Romain Poite, passé par le RC Toulon pendant deux saisons.
On y a travaillé d’arrache-pied pendant cinq mois pour les résoudre. Ce stage est une première réponse, mais ça n’est pas fini."
L'interview de Romain Poite et Mathieu Raynal : "On a besoin de beaucoup de cohérence"
Les nouveaux patrons de la cellule technique de l’arbitrage professionnel évoquent leur nouvelle fonction et ce stage XXL prévu pour les arbitres… Et les entraîneurs de Top 14 et Pro D2.
Vous avez été intégrés au sein d’une cellule technique de l’arbitrage professionnel. Pouvez-vous expliquer de quoi il s’agit ?
Romain Poite : On a été recruté tous les deux par la nouvelle gouvernance de la fédération au titre de cadres techniques du secteur pro des arbitres pour le Top 14 et le Pro D2. Les objectifs qui nous ont été fixés, et qu’on a partagés, sont de créer les outils de la performance pour les arbitres, créer un lien en interne plus soutenu et se connecter avec l’écosystème rugby, de manière à ce que tout le monde puisse se comprendre, se lire et être efficace sur le terrain. Que ce soit les clubs, les entraîneurs, les arbitres, les institutions…
Ce stage à Génos-Loudenvielle constitue donc la première étape de ce projet ?
R.P. : Les enjeux sont assez considérables. Nous nous sommes fixés des ambitions élevées. Nous voulions réunir tout le monde, car on souhaite que le collectif soit fort dans son identité. Donc c’était l’occasion de démarrer cette aventure avant les amicaux, pendant l’intersaison.
Mathieu Raynal : La communication, c’est la pierre angulaire de l’arbitrage. Tu dois être compris du plus grand nombre. On a la chance d’avoir des outils à disposition, que ce soit dans l’équipe de quatre qui officie pendant les matchs, ou le micro que porte l’arbitre de champ. Ça a une vraie portée pédagogique. Le rugby est un sport complexe. Mieux on l’explique quand on prend des décisions, plus on est visible, plus on est compris du plus grand nombre. Ça fait vraiment partie intégrante de notre fonction. Et la communication entre arbitres est super importante aussi. On veut que ce soit très professionnel, cadré. Et pas prêter le flanc à la discussion ou à la controverse.
Il y a, d’après vous, un manque de compréhension de la part du public et des observateurs vis-à-vis des arbitres ?
M.R. : On est parfois confronté à des situations très dures. On a besoin de lisibilité. Pour ça, la communication est un atout important. Ceux qui ont un œil averti sur le rugby et l’arbitrage ont toujours plus de facilité à lire une situation technique. Mais notre sport se démocratise d’année en année, s’ouvre à d’autres marchés et de nouvelles personnes pas forcément issues du sérail. Si on veut les conserver, on est obligé de faire ce travail pédagogique.
Alors quelles sont les actualités au sujet des règlements ? Sur quoi passez-vous le plus de temps pendant ce stage ?
M.R. : La sécurité des joueurs a toujours été primordiale. On y passe du temps car ce sont des situations difficiles que l’on retrouve assez souvent, et qui sont mises dans le domaine public en raison des appels vidéo. On a besoin de beaucoup de cohérence dans nos décisions, au sein d’un même match, week-end, et même tout au long de la saison. On met en place des procédures, et on souhaite que nos arbitres y adhèrent le mieux possible.
En somme, ce sont ces procédures qui aideront à supplanter les interprétations et uniformiser les décisions…
R.P. : On a renforcé tous les outils, en passant par la prise de décision, la communication et la relation humaine à travers l’équipe. Là, on pose les fondations du projet avec nos trois objectifs. Bien sûr qu’on va le développer tout au long de la saison. Et on remettra peut-être en question certaines postures, car elles n’ont plus de sens. C’est un retour à des procédures bien établies, qu’on avait peut-être un peu perdues. Là, on veut que tout le monde comprenne l’arbitrage : l’entraîneur, le joueur, le spectateur et le téléspectateur. Fondamentalement, il n’y a que trois changements de règle cette année : la prise crocodile (dans les rucks) qui va à l’encontre de la sécurité des joueurs, l’interdiction de prendre la mêlée après un bras cassé et la règle du hors-jeu dans le jeu courant, ce qu’on a appelé couramment la loi Dupont. Et quelques ajustements sur les chronomètres pour les transformations et les porteurs d’eau. Ça tient à ça.
On a la sensation, dans vos réunions, que vous cherchez à limiter au maximum le temps que prennent les appels vidéos. Que pouvez-vous nous dire sur ce débat récurrent de la vidéo ?
M.R. : Il n’y a aucune pression négative sur les arbitres à ce sujet car ce n’est pas forcément chronophage. La saison dernière, il y a eu en moyenne 0,9 appel vidéo par match de Top 14. Et une vidéo dure 1’ 30”. À titre d’exemple, on passe 45 secondes pour jouer une mêlée, et il y en a 14 par match. Donc on ne veut absolument pas presser les arbitres dans leur manière de traiter un appel vidéo. On souhaite simplement optimiser et que ce soit fait dans une procédure claire et visible.
R.P. : Et on a découvert aussi que la rigueur était élevée dans les clubs, dans leur façon de travailler. Et par ricochet, leur exigence est élevée aussi. C’est un sport très légiféré, qui peut être très complexe à suivre. Donc notre devoir est de donner l’outil qui rend confortable la prise de décision.
Vous proposez aux entraîneurs de Top 14 et de Pro D2 de prendre une décision simplement à partir d’un extrait vidéo. Cet exercice plus difficile qu’il n’y paraît va sans doute aider à apaiser les relations entre vous…
M.R. : Sur le jeu déloyal, on leur fait faire le même jeu qu’aux arbitres. On veut qu’ils sentent la difficulté d’être face à une situation et prendre une décision car ça va aller de carton rouge à « jeu » pour une même action. Et derrière, on veut leur fournir la procédure qu’on va demander à nos arbitres d’utiliser. On va leur montrer qu’en utilisant cette procédure-là, on arrive à plus de cohérence.