Coupe du monde de rugby - Mathieu Raynal se confie après le Mondial : "Je suis inquiet pour l’avenir du rugby"
Romain Lafon
Rugbyrama
Seul arbitre de champ français présent au Mondial, Mathieu Raynal revient sur le sujet qui a alimenté les débats ces dernières semaines. Ce dernier devrait officier en Top 14 ce samedi lors d'Oyonnax-La Rochelle.
Quel regard global portez-vous sur l’arbitrage durant la compétition ?
C’est encore frais donc il est difficile d’avoir une vision exhaustive. Je dirais qu’introduire le bunker au dernier moment nous a exposés parce qu’on ne maîtrisait pas complètement cette nouvelle procédure et ça nous a mis en difficulté. Le manque d’explication des décisions au début, l’incompréhension autour du fait qu’on ne mettait plus de carton rouge sans passer par le bunker, et les différences de décisions pour des actions qui semblaient similaires aux yeux du grand public, ont été des moments qui nous ont desservis. Sans pour autant remettre en cause son utilité, il nous aurait fallu plus de recul sur le bunker pour le maîtriser et en faire une force. Pour le reste, notre groupe a travaillé dur pour essayer de rendre l’arbitrage lisible et juste, mais aujourd’hui, sur des matchs très exposés qui se terminent sur un faible écart de points, je me demande s’il est possible pour un arbitre de ne pas se retrouver au centre des discussions d’après match. On trouvera toujours des erreurs ou des situations qui prêtent à discussion. La puissance des images et les ralentis ont trouvé dans les réseaux sociaux une caisse de résonance importante qui favorise l’émergence de polémiques, où, la plupart du temps, des gens sans compétence étalent leurs points de vue et en font des vérités, ce qui, à mes yeux, fait glisser notre sport vers un terrain dangereux.
Avez-vous fait un débrief avec tous les arbitres et World Rugby ?
Les débriefings sont permanents au niveau international que ce soit lors d’une Coupe du monde ou lors d’autres fenêtres internationales. Ils sont faits individuellement, en équipe de 4 ou en présence de tout le groupe.
On a vu de plus en plus de joueurs parler à l’arbitre pour réclamer, contester etc. Comment y remédier ?
Je n’ai pas eu ce sentiment sur le terrain ni en regardant les matchs. Ce n’est pas quelque chose dont on a parlé ou qui nous a posé problème.
Y a-t-il des capitaines exemplaires dans cette communication avec les arbitres ? Antoine Dupont semble avoir cette image et pourtant on l’a vu beaucoup parler en quart de finale et être dur avec Ben O’Keeffe en conférence de presse…
Antoine est quelqu’un d’exemplaire sur et en dehors des terrains. Il l’a toujours été. Ce n’est pas parce qu’il se laisse aller à un commentaire dans un moment de grande frustration pour lui, que ça change quoi que ce soit à qui il est et à ce qu’il représente pour notre sport. Il n’appartient qu’à lui d’analyser, à froid, si c’était approprié ou non.
Mathieu Raynal a arbitré aux côtés de Ben O'Keeffe en demi-finale. Icon Sport
Il semble y avoir eu moins d’appels à la vidéo qu’en Top 14. Pourquoi ?
Je ne connais pas exactement les statistiques de cette Coupe du monde mais s’il y en a moins c’est peut-être parce que l’arbitre vidéo utilise le système Hawkeye avec deux techniciens dédiés. Donc il contrôle toutes les situations litigieuses et communique ensuite à l’arbitre central qu’il peut continuer le jeu sans passer par un appel formel à la vidéo.
Était-ce une volonté de World Rugby de rythmer les matchs ?
Que les matchs soient plus rythmés est une volonté claire de World Rugby. Le non-recours à la vidéo de manière abusive ou l’arrivée du bunker permettent de gagner quelques minutes de jeu. Après il faudra être plus rigoureux sur les mises en place de mêlées et touches, si l’on souhaite dynamiser le jeu. Les interventions des médecins ainsi que la règle des remplacements feront probablement partie des points sur lesquels on devra se pencher dans un avenir proche si l’on souhaite augmenter le temps de jeu effectif. Effectivement, le fait qu’il n’y ait pas d’appel vidéo formel a laissé le grand public penser que les actions litigieuses n’étaient pas revues à la vidéo. Mais elles ont été contrôlées à chaque fois. Et l’arbitre vidéo a ensuite communiqué à l’arbitre central sa réponse sur la situation donnée. Ça a permis de continuer le jeu sans l’interrompre trop souvent. Mais d’un autre côté ça a fait naître une certaine frustration chez les spectateurs. On aurait peut-être dû mieux ou plus communiquer auprès du grand public sur comment ces procédures étaient conduites.
Ces phases de ruck semblent sans solution. Des fautes semblent avoir lieu dans chacune d’entre elles. Comment rendre ça plus lisible pour le grand public ?
C’est lisible pour ceux qui sont partie prenante dans le rugby de haut niveau. Ça l’est moins pour le grand public, ce que je peux comprendre. Comment peut-on contribuer à les rendre plus claires ? En expliquant mieux. En communiquant plus pour éduquer le grand public sur les observables que nous avons définis avec joueurs et entraîneurs. En formant mieux les journalistes et commentateurs aux observables qui font consensus entre toutes les parties.
Le « bunker » a permis de gagner du temps mais a enlevé cette décision à l’arbitre de champ car c’est le TMO qui prend la décision finale. Est-ce frustrant ?
Il serait intéressant de savoir combien de temps de jeu le bunker a fait gagner sur cette Coupe du monde par rapport à des appels vidéos classiques. Frustrant personnellement non parce que je souhaite uniquement le bien de notre sport. Mais je dois reconnaître qu’avant on prenait des décisions sur le terrain, on discutait en équipe de 4 et les téléspectateurs pouvaient suivre ce cheminement. Ils n’étaient pas forcément d’accord avec la décision finale mais comprenaient pourquoi elle était prise parce qu’elle était justifiée avec l’appui des images. On avait l’avantage de l’explication. Désormais le bunker revient avec une décision et on explique aux capitaines sans mettre de mots sur les images. C’est une différence qui me semble importante parce qu’on n’utilise plus la puissance de l’image pour argumenter la décision.
Le « bunker » serait-il une bonne chose en Top 14 ?
Je ne pense pas que nous ayons les moyens humains ou financiers de le mettre en place. Une Coupe du monde c’est 48 matchs qui ne se superposent pas. Le Top 14 et la Pro D2, c’est plus de 420 matchs dont certains se jouent en même temps. Personnellement je trouve que c’est très bien comme c’est à l’heure actuelle.
Trouvez-vous qu’il y a eu des changements dans la façon d’exercer le métier d’arbitre depuis que tu as commencé ? Est-ce qu’on tend aujourd’hui à déresponsabiliser les arbitres centraux et même les assistants ?
On tend surtout à être allergique aux erreurs d’arbitrage et à tout expérimenter pour tendre vers le zéro faute. Vous n’y arriverez jamais. Vous pouvez mettre des bunkers, des drones, des puces dans les ballons ou des experts en blouse blanche, arrivera toujours le moment où, supporters, joueurs, entraîneurs ou autres, vous serez confrontés à l’erreur de jugement de l’arbitre. Y compris s’il est derrière un écran. Tout simplement parce que c’est un humain. On perdrait moins de temps, d’énergie et de moyens à apprendre à l’accepter qu’à essayer de changer ça.
Il y a eu beaucoup de contacts à la tête durant ce Mondial. Cela vient essentiellement de mauvaises attitudes du défenseur, mais comment faut-il les sanctionner ? Pourquoi est-ce que ce fut tantôt une simple pénalité, carton jaune et même parfois rouge ?
Il faut avoir conscience que tous les contacts à la tête ne conduisent pas nécessairement à une sanction. Le rugby est un sport de collision très codifié mais parfois un contact avec la tête reste accidentel et ne conduira à aucune sanction. Lorsque le contact à la tête résulte du jeu déloyal d’un joueur, il appartient à l’arbitre et à son équipe de juger le degré de danger et s’il y a ou non des facteurs d’atténuation. Donc on suit un arbre décisionnel (disponible sur le site de World Rugby) qui conduit à une décision en fonction du degré de danger et de la présence ou non de facteur d’atténuation. Raison pour laquelle chaque contact à la tête ne conduira pas nécessairement à la même sanction.
Raynal s'est notamment exprimé sur le "bunker", mis en place durant ce Mondial. PA Images / Icon Sport
Il y a des réunions avec les staffs dans la semaine précédant le match ? Est-ce le même dispositif en Top 14 et Coupe du monde ? Les échanges sont-ils positifs ?
Sur un format court comme la Coupe du monde, il n’y a pas de contact direct entre les arbitres et les staffs des équipes. Ils passent par notre manager qui partage ensuite avec nous ou qui répond directement aux équipes. À l’inverse, en Top 14 nous avons une visio avec chaque club dans la semaine pour préparer le match et une autre pour le débriefer après. Si ce travail est fait en bonne intelligence et avec objectivité il est très utile et extrêmement positif.
De plus en plus de menaces et d’insultes envers les arbitres polluent les réseaux sociaux… Comment vit-on avec ça en tant qu’arbitre ? Quelle réaction avoir ?
Les insultes ou menaces de mort sur nous ou nos familles sont une réalité. C’est encore plus vrai sur les matchs planétaires qui ont une caisse de résonance décuplée. Peut-on changer les choses ? Je ne pense pas. En a-t-on envie ? Je ne pense pas non plus. Je ne sens pas de volonté réelle chez les journalistes de tracer une ligne rouge et dire que notre sport ne la franchira pas. Je ne sens pas non plus d’envie réelle d’en finir avec l’impunité de parole accordée sur les réseaux sociaux. Je ne sens pas de prise de conscience collective sur l’importance de l’enjeu. Ce n’est pas pour moi ou mes collègues que je dis ça. Je le dis parce qu’on est en train d’abîmer ce dont on a hérité et qui fait que notre sport est si spécial.
Y a-t-il des cellules qui sont mises ou qui vont être mises en place pour les arbitres et les menaces reçues ?
Pas à ma connaissance. Notre cellule, c’est notre groupe. C’est une des raisons pour laquelle on est très proches les uns des autres.
Êtes-vous inquiet pour l’avenir de l’arbitrage ?
Pour l’avenir du rugby surtout. Le rugby est un sport qui véhicule de vraies valeurs. Les entreprises aiment s’attacher à l’image du rugby pour ça. Et ce qui fait que notre sport est si spécial doit être cultivé et protégé avec la plus grande attention. Si on abîme ça, on sciera la branche sur laquelle nous sommes tous assis.
Est-ce difficile de se remettre dans le bain du Top 14 après une Coupe du monde ?
Non. Le Top 14 c’est comme ma maison. Je suis heureux d’y revenir parce que je m’y sens bien.
Une adaptation est-elle nécessaire ?
Pas du tout.